[DÉFOULOIR] Qui a peur de la maladie psychique ?

La maladie mentale fait peur. C’est un fait. C’est quelque chose que l’on peut constater tous les jours. De très nombreuses expressions de la langue française engagent l’idée de folie. C’est un truc de fou, ou de ouf, c’est dément, c’est de la folie. Récemment, on nous parlait des suspects des attentats de Marseille ou de la Tour Eiffel en mettant en avant leurs troubles psychiques. [i]

On jette généralement l’opprobre sur la dépression. Souvent, le ou la dépressif·ve est vu·e comme une personne qui se laisse aller, alors qu’il ne lui faudrait qu’un peu de grand air, de repos et de légumes verts en plus pour en finir avec la maladie. Or, il est impératif d’en finir avec la banalisation de la maladie psychique.

 

Des maladies (pas tout à fait) comme les autres.

Serait-il de bon ton de recommander à un·e accidenté·e de la route de se mettre au vert ? Sérieusement ? La maladie psychique – nous utilisons à dessein ce terme pour traiter d’un spectre très large de pathologies souvent très diverses – a pour caractéristique première de ne pas être visible. La partie malade et en souffrance est cachée. Pour autant, ces maladies invisibles touchent un nombre très important de personne. L’OMS estime que près de 350 millions de personnes sont atteintes de dépression dans le monde.

Dans le cas de la dépression par exemple, le fonctionnement de certains neurotransmetteurs (ces molécules qui véhiculent les informations d’un neurone à l’autre) se trouve déséquilibré. C’est d’ailleurs parce qu’elles ont des origines biologiques que les maladies psychiques sont traitées par des médicaments. En somme, un peu comme lorsque l’on soigne la constipation en prescrivant des laxatifs.

 

Queer et malades ?

Evidemment, on ne saurait réduire les maladies psychiques à de simples histoires de chimie, et la dépression, par exemple, est multifactorielle. D’ailleurs la psychanalyse, qui n’a généralement pas pour elle son ouverture d’esprit en matière de genre et d’orientation sexuelle, a montré à quel point les structures dans lesquelles nous évoluons conditionnent notre « Moi adulte ». La psychanalyse n’est pas tendre avec les « anormaux », avec les « pas classiques » au nombre desquels nous, queer et autres marginaux·ales nous comptons. Aujourd’hui, Freud passe tantôt (coucou Michel Onfray) pour un sexiste homophobe renégat tantôt pour l’instigateur d’une réelle évolution dans la perception de l’homosexualité (bien qu’il la comptât toujours aux nombres des perversions sexuelles…).

Prenons par exemple l’ouvrage du psychanalyste Moussa Nabati, dans lequel il se propose d’aborder la dépression non pas comme une maladie mais comme une « crise maturante » par laquelle certain·e·s passeraient pour « guérir leur enfant intérieur ».  Si de nombreux éléments de l’ouvrage peuvent résonner à l’esprit d’un·e malade ou de quelqu’un·e accompagnant un·e malade dans sa dépression, le poids de la norme sociale est terrible. Les réflexions sur les figures du père, de la mère, sur la construction de l’enfant (intérieur ou pas d’ailleurs) reposent toutes à la fois sur des schémas hétéronormés et sur une conception essentialiste de l’Homme et la Fââââme,  ce qui peut conduire logiquement à s’interroger sur certains fondements (ou certaines dérives) de la démarche psychanalytique.

Validisme et autre capacitisme

Les personnes souffrant de maladies psychiques se voient contraintes d’évoluer dans un monde qui ne les prend pas en considération. Le remboursement des soins liés aux maladies psychiques par la Sécurité Sociale est dérisoire et les conditions d’accueil des malades dans les structures publiques déplorables – nous avons vu de nos propres yeux des cafards errer à leur aise dans les locaux d’une structure d’accueil de crise.

L’adjectif neurotypique est né dans la communauté autistique pour qualifier les gens qui ne sont pas atteints par des troubles du spectre autistique. Mais le terme est devenu au fil du temps un mot désignant toute personne « sans différence neurologique », et le spectre des syndromes qu’il recouvre est plus ou moins large selon les conceptions et les groupes militants. Toutefois, la multiplication de l’usage des termes neuroatypique et neurotypique pour renvoyer à des réalités parfois très diverses peut avoir pour effet de dépolitiser la question et soulève pas mal d’interrogations.

L’hétéro-patriarcat s’immisce jusque dans nos têtes, et les malades souffrant de pathologies psychiques sont minorisées et perçues comme anormales. Notre société est validiste ou capacitiste (on appelle validisme toute forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap).

Pour lutter contre les préjugés inhérents aux représentations des maladies psychiques, on a pu voir ces dernières années se développer un mouvement de revendication des troubles psychiques, à travers l’organisation de Mad Pride[ii], par exemple, ou la création de groupes d’échanges et de paroles pour personnes neuro-atypiques. La psychophobie, comme le validisme en général, se mêle à d’autres formes d’oppressions telles que le sexisme, les LGBTphobies, le racisme, etc. C’est la raison pour laquelle elle doit être prise en compte au même titre que les autres oppressions. C’est la raison pour laquelle elle doit être combattue au même titre que les autres oppressions. C’est aussi la raison pour laquelle nos luttes ne peuvent que converger, parce que nous revêtons parfois des couches d’oppression plus ou moins épaisses, plus ou moins nombreuses mais bien réelles.

Peut-on être fiers ou fières de souffrir d’une maladie ? Peut-être. En tout cas, une chose est sûre c’est que l’on doit combattre encore et toujours un système qui fait du majoritaire un « normal » et un « acceptable » et du minoritaire un « autre » qui se retrouve brutalement à la marge.

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Et pour finir, on se détendra en lisant les articles du site Troll des jardins sur les psychophobies dans Buffy contre les Vampires.

Et pour poursuivre la réflexion, on naviguera dans les pages du zine : ★ Zinzin Zine : le psychologique est politique

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[i] On lira à ce sujet l’article du Huffington Post « Abribus à Marseille: Terroriste ou fou? Pourquoi cette distinction n’est pas pertinente »

[ii] https://www.streetpress.com/sujet/1465827824-bipolaires-schyzos-paranos-paris-mad-pride-photos

https://lamadpride.fr/charte-la-mad-pride/

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