Drag Race France : Rose et Punani, le bilan un an après

Cet été, après la ferveur de la saison 3 de Drag Race France, on a pris le temps de regarder dans le rétro en essayant de faire le point sur l’impact qu’a eu l’émission pour les queens qui y ont participé (ou non). On s’est intéressé·es au duo Rose et Punani, deux drags de la saison 2 qui ont eu des parcours très différents dans l’émission mais qui continuent d’évoluer ensemble. Rencontre.

Rose et Punani ©Jules Faure

Vous vous êtes fait connaître en tant que duo, est-ce que vos relations ont changé avec l’émission ?

Rose : Alors, contre toute attente, pas du tout ! Toutes les deux, on imaginait que ça allait changer, sachant qu’on n’a pas du tout atteint le même objectif avec l’émission, je suis partie en première, elle est partie dans les finalistes, donc il y avait un peu cette inquiétude. En parallèle de ça, j’avais lancé mon émission Diva(n) où je recevais les reines éliminées de Drag Race et ça m’a permis d’exister pendant l’émission et on a toujours un Instagram commun, donc les gens ont compris qu’on était toujours un duo et que ça n’allait pas changer. Nos relations n’ont pas du tout changé et ça, c’est très chouette.

Punani : Je suis ami d’enfance avec Rose que je connais depuis 20 ans, on était ensemble à l’école et on a beaucoup créé dans toutes ces années avant Drag Race. Nos relations n’ont absolument pas changé, c’était extrêmement intéressant aussi de voir un peu comment l’un et l’autre allait préparer l’émission : créativement ça nous a beaucoup appris l’un et l’autre.

Est-ce que participer à l’émission a changé votre façon d’envisager le drag ? Votre démarche artistique ?

Rose : Oui, vraiment. Comme c’est une émission qui fait énormément d’audience à un niveau national et international, ça nous a donné une espèce d’obligation, presque, de performance et de donner le meilleur de nous-mêmes et à toujours dépasser nos limites, ce qu’on faisait déjà avant mais ça nous a obligées à faire ça de manière encore plus puissante, encore plus intense. On était déjà perfectionnistes, mais ça a modifié notre manière de faire du drag. Notre perception artistique aussi, oui, quand on essaie de se perfectionner, on découvre d’autres horizons, d’autres domaines et on essaie des choses et on voit que ça fonctionne pas forcément ou que ça fonctionne et puis on le garde.

Rose ©Jules Faure

Punani : Ça m’a amené à explorer plein de choses. L’émission, on la connaît, on l’a déjà regardée, j’avais vu la saison 1 et je regarde aussi quelques formats internationaux aussi. On a déjà une image préconçue de ce que Drag Race implique. Pour faire l’émission, j’ai voulu faire plus grand, plus beau, plus impressionnant. Je viens d’un drag de seconde main, j’ai donc collectionné beaucoup de vintage et c’est quelque chose que je continue de faire, j’ai eu envie de montrer cette partie de moi dans l’émission, de montrer qu’on pouvait créer en utilisant des matières premières qui avaient déjà existé. J’ai toujours cette approche maintenant mais avec beaucoup plus de liberté dans la couture. J’arrive à me lancer dans des créations. Je pense que Drag Race a changé une approche où l’on a plus envie de faire des choses custom. Je trouvais des tenues de belles marques qui sont dures à trouver, j’ai une grande fascination pour Mugler, j’ai une collection énorme, de peut-être 200 pièces et quand je les sortais, j’avais un drag différent des autres. En sortant de l’émission, j’ai eu plus envie de costumes et de choses vraiment créées pour des performances en particulier. Oui, ça a beaucoup changé ma démarche, mon approche et ma façon de me costumer et d’être vue.

Punani ©Jules Faure

Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis la fin de l’émission ?

Rose : Il y a beaucoup de choses qui ont changé depuis la fin de l’émission, déjà il y a eu la tournée, que je vais inclure dans l’émission parce que c’est un package, un tout… Beaucoup de choses ont changé, parce que les gens nous reconnaissent dans la rue, déjà, et c’est quelque chose de très étrange, qui nous arrivait très peu avant, mais ça fait bizarre quand les gens veulent prendre des photos avec nous, qu’ils nous font des déclarations, on a des gens qui pleurent aussi quand ils nous voient… Il n’y a pas très longtemps, à Cannes, une fan qui nous reconnaît et elle se met à pleurer et j’avais un mouchoir dans un sac que j’avais et je lui donne et elle me dit « ce mouchoir, je le garderai tout le temps » et je l’ai revue il y a quelques temps et effectivement, elle avait gardé le mouchoir. Et ça, ça fait bizarre, parce que de notre point de vue, on est juste des personnes humaines et comme les autres ! C’est la chose qui a grandement changé. Les types de bookings qu’on peut avoir aussi, on nous demande plus qu’avant donc ça nous demande beaucoup plus de travail en amont, plus de création, beaucoup plus de réflexion. C’est devenu véritablement une activité professionnelle à part entière, là où auparavant on avait chacune notre activité en parallèle.

Punani : Ça a apporté beaucoup de bouleversements, de belles rencontres, des projets. On est reconnues, on est appréciées, même si y a des gens qui nous aimaient bien parce qu’on avait déjà une certaine visibilité sur les réseaux sociaux et qu’on nous connaissait déjà un peu avec Rose, là, il y a une sorte de proximité qui s’est créée avec les gens du fait d’avoir été visibles à la télé pendant plusieurs semaines, ça crée un attachement. Je me suis aussi beaucoup découvert pendant l’émission, des choses que je ne me pensais pas capable de faire… Je suis toujours pas la danseuse de l’année mais j’ai pris beaucoup de confiance dans mon drag et hors drag aussi.

Rose et Punani ©Jules Faure

Le drag est un art par essence politique et engagé : est-ce que cette dimension est compatible avec une plus grande visibilité ?

Rose : Oui, carrément, et même, d’autant plus, je dirais. Parce que l’émission est passée sur une chaîne du service public, par définition, c’est une chaîne qui est payée et une émission qui est produite par les gens et donc on est obligées d’amener cette dimension politique. C’est essentiel car on a cet éclairage, on se doit de se dire de présenter le drag comme un outil politique. Beaucoup parlent d’arme politique, on nous a beaucoup reproché cette dimension de combat, dans un combat, on cherche à vaincre quelqu’un, dans le drag on ne cherche pas à vaincre mais à convaincre. La télé est un outil extrêmement efficace et si on n’utilise pas la politique à travers ce vecteur là, on n’a pas totalement compris ce qu’est le drag.

Punani : L’un ne va pas sans l’autre, il y a forcément une essence politique dans le drag. Ça questionne forcément des normes de genre très binaires, homme-femme, on transcende cette binarité et cette normalité. On est plus visibles, donc si on prend la parole, on est plus écoutése. Le fait de questionner tout ça, ça permet une ouverture d’esprit. Les drags ont toujours été au premier plan des Marches et des luttes pour la communauté, c’est aussi le résultat de plusieurs années de luttes et de visibilité.

Est-ce que vous vous sentez contraintes et limitées dans votre expression artistique du fait de votre visibilité et des sollicitations, partenariats commerciaux ? Comment conciliez-vous créativité et visibilité ?

Rose : On ne se sent pas du tout contraintes, je pense que ça se sent, ou que ce qu’on fait plaît, mais on nous laisse très souvent carte blanche y compris pour des grandes marques avec qui on peut collaborer. Je prends l’exemple de Netflix qui est quand même un géant, quand on travaille avec eux, on a carte blanche. Evidemment, ils repassent après pour relire ce qu’on propose ou ce qu’on projette de créer mais très rarement on va venir nous dire que tel truc convient pas. Je pense aussi qu’on travaille intelligemment avec Punani, on connaît nos partenaires et les marques avec qui on travaille : on a un minimum d’intelligence et de réflexion pour pouvoir se dire que telle ou telle chose ne plaira pas. Même quand on travaille avec des associations, comme Aides avec qui on travaille beaucoup, ça a beau être quelque chose de très sérieux, s’ils font appel à nous, c’est aussi pour avoir de la légèreté qu’on ne va pas se gêner d’utiliser. Jamais on nous a repris sur quoi que ce soit. On n’a jamais eu ce problème-là, mais c’est aussi parce qu’on sait s’adapter et on sait être intelligentes par rapport aux personnes qu’on a en face de nous.

Plus on est visibles, plus il faut être vigilantes : on a une communauté qui grossit et qui nous regarde et on a moins droit à l’erreur que lorsqu’on est moins observées. Mais il ne me semble pas qu’il nous soit arrivé de faire un pas de travers de ce côté-là. Quand on a été très engagées au niveau des législatives, on n’a pas réfléchi au fait qu’on pouvait perdre des gens dans notre communauté. On s’est dit qu’on avait aussi un avis à donner et qu’il était important, si on perd une communauté à cause de ça, on s’en fout. C’est une communauté qu’on n’a pas envie d’avoir de toute façon. C’est aussi intéressant d’être suivies par des gens qui n’ont pas les mêmes convictions et c’est aussi notre travail de les instruire. Et parfois, il y a rien à faire, donc ciao bye et tant pis !

Punani : Je pense qu’on n’est pas trop contraints ni limités, on ne peut pas faire non plus tout et n’importe quoi mais je pense que les gens qui nous contactent et veulent collaborer avec nous veulent notre touche, notre humour, notre sens de l’absurde. Notre touche fraîche et pimpante dans les créations qu’on fait, on a eu la chance d’avoir une certaine liberté jusqu’à présent et c’est hyper agréable. On a pu collaborer avec des marques ou des personnes qu’on admire. Ça crée des ponts et de belles rencontres de créativité. On avait fait une campagne, il y a quelques années pour La Belle Fleur Terrible de Jean-Paul Gauthier. Ce sont des choses auxquelles on a accès en drag grâce à notre visibilité et notre esthétique et c’est… hyper motivant et très wow ! Moi, je rêve quand il arrive des choses comme ça, on a beaucoup de chance à ce niveau-là.

Punani ©Jules Faure

Vous performez dans des shows et des salles où les tarifs sont généralement élevés, comment gardez-vous contact avec le public qui vous suivait avant Drag Race France ?

Rose : Je suis pas forcément trop d’accord quand tu dis qu’on performe dans des lieux où les tarifs sont élevés, c’est quand même rarement le cas, évidemment c’est subjectif. Est-ce qu’un show de deux heures à 20€ l’entrée est cher ? Ça le sera toujours pour les gens qui ne peuvent pas se les payer mais à partir du moment où il faut payer des artistes pour qu’ils puissent vivre quand c’est leur métier… Je dirais qu’on garde le contact dans les moments où on va à la rencontre de notre public dans des shows qui parfois sont gratuits, je pense par exemple au festival Interieur Queer… On fait aussi des choses gratuites et ouvertes à tous et toutes. On garde quand même un point d’honneur à aller à la fin des shows à la rencontre de notre public. C’est évidemment un peu compliqué mais on le fait quand même. Un exemple très concret : pour la finale de la saison 3, je performais à une viewing party et en fait, c’était super parce que c’était complètement gratuit et à la fin j’ai rencontré les gens, on apporte notre merch aussi si les gens veulent repartir avec un souvenir, c’est l’occasion de prendre des photos, de parler avec nous… C’est aussi comme ça qu’on garde contact. Et bon, les réseaux sociaux, même si ce n’est pas du contact direct, mais il y a toujours cette impression, quand les gens répondent à nos stories ou quand ils commentent, de proximité. On lit tout, tous les commentaires, toutes les réponses à nos stories, tout le temps. Même si on y répond pas tout le temps, on le fait tout le temps. Comme on est deux à gérer ce compte unique, on a deux fois plus de capacité à tout voir et c’est ultra chouette !

Punani : Principalement via les réseaux sociaux, on a toujours été assez présents là-dessus. Au tout début, on était dans un groupe de performers, il y avait des personnes qui faisaient du burlesque, de l’effeuillage, du chant, ce qui nous a amenés à faire plusieurs scènes. On a fait aussi beaucoup de bingos, qu’on a commencés à à la folie mais qu’on a emmenés ensuite dans plusieurs lieux de la capitale, c’était aussi super de montrer l’art du drag dans plusieurs espaces et à plusieurs types de public aussi. Les tarifs ne sont pas forcément élevés – je ne suis pas d’accord avec cette question ! – nous, comme les autres drags de Drag Race France ou hors Drag Race France, on propose aussi des événements gratuits ou à tarif libre : c’est vraiment pour toutes les bourses, sans mauvais jeu de mots.

Rose : On est en train de construire notre show et ça, ça va être évidemment un contact privilégié avec notre public.

Est-ce que vous pensez que Drag Race France a permis de faire évoluer les représentations sur les communautés LGBTI et les artistes drag ?

Rose : Oui, ça a absolument fait évoluer les mentalités, et je le vois au niveau de ma famille ou des amis, des gens auxquels j’avais pas forcément dit que je faisais du drag. Je pense à mon père ou à ma belle-mère qui ont tous les deux regarder l’émission, en sachant que j’étais dans la saison deux, qui ont continué à regarder quand j’ai été éliminée mais qui m’en parlaient. Il y a une véritable évolution, parce qu’il y a eu ce truc de « On vous laisse pas le choix, on est là, on est sur votre écran et si vous ne voulez pas nous voir, la seule solution c’est de zapper mais on est sur une chaîne, on vous prend cet espace et on est là, on y est et pour plusieurs saisons ». C’est très fort, il y a des gens qui ont été presque obligés de regarder, je pense par exemple à des familles où le fils ou la fille est fan et où il n’y a qu’une télé. Donc à défaut la famille regarde avec et ils découvrent cette émission et puis au début il y a un peu cette idée que ça les intéresse pas trop mais on commence à se prendre dans l’intrigue et on veut connaître la suite. Et c’est ultra chouette. On peut le voir aussi dans le nombre de personnes et le type de personnes qui nous suivent. La première fois que j’ai été reconnue, c’était dans mon Monoprix par un homme hétéro en couple qui est venu me voir et qui m’a dit « Avec ma femme, on adore ce que tu fais, bravo pour ton épisode, on voulait vraiment en voir plus de toi ». C’était génial et j’ai été hyper étonnée. C’était la première fois qu’une personne hétéro osait me dire ça. On voit aussi de plus en plus les drags là où on ne les voyait pas avant, dans des entreprises, auprès de marques…

Punani : La force de l’émission, c’est d’avoir pu montrer l’humain derrière le personnage. Ça a humanisé cet art qui est un art de scène avant tout où on n’a pas l’habitude de se questionner pour savoir qui est derrière le personnage, l’émission montre cet aspect-là. C’était important pour le public et les artistes qui font l’émission de pouvoir montrer aussi une part de vulnérabilité mais aussi de montrer d’ où on vient, quels sont nos parcours qui ne sont pas toujours faciles. Ça a aussi amené les personnes qui regardent l’émission à questionner qui était derrière et en quoi c’est un art de scène qui implique énormément de travail en amont, de créativité et de force.

Rose : Je rajoute aussi un petit truc mais au-delà de ça, on le voit aussi dans les programmes politiques. Je me souviens d’une époque où on n’entendait jamais parler de la communauté LGBTQIA+. Lorsque la Gay Pride a été créée, c’est peut-être la première fois qu’on entendait parler de la communauté gay. Aujourd’hui dans les programmes politiques, il y a toujours quelque chose dit là-dessus, soit quelque chose de positif soit de négatif mais il y a des questions qui se posent autour de ça.

On a vu que Minima Gesté avait été victime d’un violent harcèlement quand elle a porté la flamme olympique, est-ce que malgré tout les choses ont évolué positivement depuis l’émission ?

Rose : Déjà, ce qui est arrivé à Minima Gesté est inadmissible et impardonnable, en revanche, c’est explicable. Ce sont des personnes qui ne sont pas instruites, je ne dis pas qu’il suffit de les instruire, parfois le travail est plus long – c’est mon côté ancien psychologue qui parle – mais il y a quand même une évolution des mentalités. Je ne vais pas me faire l’avocat du diable en disant ça, mais si on en parle, c’est positif. Toute cette horreur qui est arrivée à Minima et à d’autres, qui arrive dès qu’une drag est mise en avant (quand Punani et moi avons fait une campagne en slip de bain pour Jean-Paul Gaultier, on a eu des commentaires atrocissimes sur les réseaux sociaux) ça témoigne du fait que les gens sont de plus en plus touchés par ça. Ça touche dans un rayon plus large qu’avant où il n’y avait que la communauté qui s’intéressait aux choses de la communauté. Les drags étaient au courant de ce que faisaient les drags et c’est tout. Maintenant, il y a plus de gens qui sont touchés, qui ne comprennent pas et réagissent de façon très négative. Je mets ça en lien avec une forme de peur de l’inconnu : on a peur de ce qu’on ne connait pas, et par rapport à la peur on a plusieurs manières de faire : soit on se fige, soit on s’enfuit, soit on combat. Et ce sont des gens qui tentent de combattre cette peur d’une manière négative. Si les gens réagissent davantage, c’est aussi parce que ça a évolué. Je préfère voir aussi du positif parce qu’il faut pouvoir se dire que ces réactions négatives ont permis aux médias de s’y intéresser à cette affaire-là et donc de faire parler la communauté et notamment Minima, qui a pu s’exprimer sur le sujet, dire comment elle a vécu la chose, comment elle a ressenti les choses, d’expliquer ce qu’elle fait, pourquoi elle le fait, etc. Ce qui permet aussi de donner des éléments de compréhension. J’y vois du positif dans l’évolution des mentalités, mais, pardon d’être vulgaire, il y aura toujours des cons qui ne voudront pas comprendre et qui penseront que leurs croyances sont les bonnes.

Punani : Les choses ont évolué positivement mais on pratique un art qui dérange. Mais c’est positif qu’il y ait plus de drags visibles dans les médias, les événements : on se réapproprie une part de la rue et de la fête. Je pense que les gens sont beaucoup plus au courant qu’avant. Pour les personnes d’un certain âge, le drag, c’est vraiment fête, nuit, drogue et rock’n’roll. Beaucoup d’amalgames existaient à l’époque entre drag, transformiste, travestis, prostitution : je pense que ça a ouvert et éduqué beaucoup de gens. Quand je vais à des événements en taxi et que je suis totalement prête, les gens me disent directement « Ah, vous êtes drag queen » alors qu’il y a quelques années, ce n’était pas du tout le cas. Maintenant les gens sont plus au courant et c’est hyper positif d’avoir montré ça, et aussi sous toutes ces formes parce que dans Drag Race et dans la scène il y a énormément de types de drags différents. C’est un beau moment d’éducation.