Nous brûlerons le vieux monde : nos manifestes

Le jour des élections européennes, nous nous sommes réunies pour un atelier d’écriture qui avait pour objectif d’imaginer les contours de la société telle qu’on la veut. En réponse à ce moment de l’Histoire inédit, nous avons décidé de brûler le vieux monde.

La déconstruction de la binarité des genres n’est pas la destruction.

Cathy (@eggiegrey)

La déconstruction de la binarité des genres n’est pas la destruction.

Elle implique une remise en question d’apprentissage séculaires, mortifères.

Elle ne cherche pas à vous retirer des droits.

Ce n’est pas parce que vous ne le voyiez pas, que vous ne le voyiez plus, que nous n’existions pas, que nous n’existons pas.

Oui, il n’est pas aisé de sortir d’une norme imposée. On le sait, parfois cela nous tue.

Ce n’est pas parce que cela ne vous concerne pas qu’il vous ait permis de juger, de maltraiter.

Oui il n’est pas aisé d’être mal à l’aise. Non, il n’est pas compliqué non plus de nous écouter.

Il n’est pas de société saine et en paix sans égalité entre tous∙tes∙

On s’est battu∙e∙s contre le concept d’un sexe faible, on a gagné. On s’est battu∙e∙s contre une hétéronormativité toute puissante, on a gagné. On se battra contre vos conceptions genrées rétrogrades, on ne va rien lâcher.

Le chemin est encore long mais on ne va rien lâcher.

Nos corps, nos cœurs, nos genres, nos choix, vos gueules.

Il y a dans les diffluences de nos rivières une forme de convergence des luttes. 

Ludmila @uncridanslafoule

Il y a dans les diffluences de nos rivières une forme de convergence des luttes. Les eaux qui nourrissent notre terre se sont déployées pour aller de la langue qui lape à la langue qui milite. Entendez-vous la femme noyer dans les eaux ce qui s’est noyé dans son corps ? Elle confie à la rivière son mal de ventre la nuit, seule, dans une rue loup-garou et déverse dans le cour d’eau la léthargie corps soumis d’une nuit terreur. L’eau la berce et la console. Elles sont des milliers à se réparer dans les ruisseaux des sommets isolés. 

On tue les torrents qui abreuvent nos vies comme on tue les cris qui abreuvent nos combats. Vivre dans ce monde, c’est y mourir. Les hommes ont brassé la vase des courants tranquilles, en ont rempli l’estomac des corps qu’ils pensaient faibles pour les soumettre au silence. Comment contenir les eaux troublées si ielles ouvrent la bouche ? Nos colères nous immergent. 

Ils ont canalisé les rivières, les pensées et les discours. En maîtrisant la nature, ils ont maîtrisé nos voix et nos corps. Nous n’avons plus d’autres choix que les leurs. Dans le clapotis de la rivière que vous entendez, nous entendons le grondement d’hurlements raisonner. Ce sont les gémissements de celleux qui n’avaient plus aucun espace de lutte, plus aucun chant militant. Les hurlements de celleux que les tempêtes avaient tout pris. Car seules les tempêtes viendront éteindre le feu de ce vieux monde qui brûle. Iels se sont agenouillés près de la rivière. Comme une dernière prière. Ils se sont immergés pour crier aux eaux leurs désespoirs. Tendez l’oreille et vous n’entendrez plus que ça. 

La société patriarcale a eu peur. De la terre, de l’eau, de la forêt. La forêt était une force féministe bien avant que ne naisse la première femme, alors l’homme en a coupé tous les arbres. L’océan était un fluide féminin bien avant que ne coule le désir entre nos jambes alors l’homme l’a desséché. La terre conservait les pouvoirs des femmes bien avant que ne naisse la première sorcière alors l’homme l’a brûlé. Mais la nature ne sait se taire et elle est devenue bruyante. C’est ce que vous appelez l’hystérie. Méfiez-vous de l’hystérie. Elle est légitime. Tout comme nos colères féministes, nos désirs, nos pouvoirs. 

Nous sommes le vent, la rivière, l’orage, la forêt, les mers, les étendues de prairie, la terre, les pierres et les glaciers. Nous sommes le vivant. Et nous brûleront tout, nous nous brûlerons nous. Nous nous immolerons.

Nul·le n’est libre sur une terre qui ne lui appartient pas. 

Leslie Préel (@leslie.preel

Nul·le n’est libre sur une terre qui ne lui appartient pas. Pour qu’un individu s’émancipe, il doit appartenir à une communauté libre et qui possède sa terre. Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur le racisme et l’histoire coloniale qui ont nourri nos histoires politiques. Le « Sud global » est le fruit politique qui grandit aux branches du capitalisme. Nous secouerons l’arbre pour que tombent enfin l’oppression des peuples par d’autres peuples. La terre n’appartient qu’aux hommes et aux femmes, à celleux qui brisent le joug qui blessent leur histoire. Décoloniser ne sera plus déstabiliser : nous ne tolèrerons plus la soumission des un·es aux passions mortifères des autres.

Condamnons moralement mais voyons plus grand : « Paix entre nous guerre aux tyrans, […] / Crosse en l’air et rompons les rangs /  S’ils s’obstinent ces cannibales /  À faire de nous des héros ». Notre lutte est la lutte pour que la terre appartiennent aux peuples qui l’habitent, plus un territoire non-autonome. Nous refusons ce partage du monde que l’Histoire a établi sur une idéologie raciste.

Libère-toi, Kanaki, libère-toi, Palestine. Et partout nous crierons notre soutien à vos luttes. Nous danserons sur les vestiges des colonisations. Nous chanterons les luttes pour l’émancipation de tous les peuples. Demain, il n’y aura plus un territoire à déclarer non-autonome. Aux peuples leurs terres.

Et nos luttes n’auront plus de hiérarchie. Nos combats sont multi-dimensionnels et puissants. Nous nous battrons pour qu’un jour nos idées et nos imaginaires soient enfin décolonisés et déracialisés. Nul·le n’est libre si son peuple est opprimé.