10 ans de musique et de promiscuité : on vous a demandé ce que vous pensiez de Menergy

Depuis dix ans, Menergy s’est imposée comme un monument du clubbing gay. De la house, des lasers rouges et des mecs torse nu… Benjamin a voulu profiter de cet anniversaire pour rassembler les opinions parfois contradictoires des pédés parisiens sur une soirée au sujet de laquelle tout le monde semble avoir son avis…

Deux garçons se tiennent dans leurs bras lors d'une Menergy, un string dépasse.
Crédit photo :  Édouard Brane

Je ne vais pas mentir : je ne vais jamais à Menergy sans une certaine… appréhension. Ou plutôt : un mélange de crainte et d’excitation. À force, je sais pourtant ce que je vais y trouver : de la bonne musique, des lasers rouges et des garçons. Mais il y a des soirées qui ont une réputation, une aura. Quelque chose. Et celle-là en fait partie.

Le samedi 26 octobre au Gibus, Menergy célèbre ses dix années à faire danser (et pas que) les pédés en invitant Chloé. Et si ce n’est pas une soirée anodine pour moi, ça ne l’est pas non plus pour mes potes et au-delà : en 10 ans Menergy est devenu un monument du clubbing gay parisien et tout le monde semble avoir un avis bien tranché (et pas forcément positif). Je ne sais pas ce qui rend une soirée mythique (et a-t-on vraiment envie d’en connaitre la recette ?) mais puisque rien de ce qui est pédé ne m’est étranger, je vous ai demandé de m’en dire plus sur vos ressentis, vos sentiments et vos expériences de Menergy pour les confronter à ceux de Yannick Barbe (Babybear) et Oscar Héliani (Wonderbear) ses deux créateurs.

La musique… mais pas seulement

« Musique dingue », « programmation toujours à la pointe », « très bons DJ » : la première chose qui ressort quand on parle de Menergy, c’est la qualité de la musique. Mais une volonté d’être « pointus » ? Pas selon ses créateurs : « L’idée était de créer un rendez-vous où le clubber gay qui aime écouter, danser, emballer sur de la house se sente chez lui, et qu’il ait envie de revenir. » nous dit Oscar. Personnellement, Menergy restera avant tout LA soirée où j’ai pu voir Andy Butler, dont la musique a tellement compté dans ma vie. 

D’ailleurs, passer de la musique qui compte pour soi, c’est peut-être ça la clé selon Yannick : « on a commencé par programmer les artistes qu’on adorait ». Enfin, la musique… mais pas que : « Avant, pour avoir une ambiance kinky, j’étais obligé d’aller dans des soirées gays où la musique ressemblait davantage au programme essorage rapide d’une machine à laver. » 

Une ambiance kinky qui se déploie naturellement dans les coins et recoins du Gibus ? Ce n’est pas évident pour tout le monde : parmi ceux qui ont bien voulu me répondre, Corentin s’y sent « comme à la maison »… mais Jules ou Louis m’ont parlé d’un « son horrible », du manque de place pour danser, d’un « lieu pas fait pour accueillir autant de gens ». Mais après des débuts au Social Club et un passage temporaire au Faust, Menergy se sent chez elle au Gibus et ce n’est pas un hasard. Yannick explique que la configuration des lieux a une importance capitale dans l’ambiance qu’il a créée : « On tient beaucoup à l’idée du dancefloor comme étant le cœur de la soirée, une sorte de cocon circulaire où les corps se frôlent, se matent, se draguent, s’observent et plus si affinités. Le Gibus est parfait pour ça. » Mais le Faust, plus aéré avec son plafond lumineux, c’était sympa non ? Oscar raconte qu’« au bout de quatre ou cinq éditions, des habitués trouvaient que c’était froid parce que trop en longueur, qu’on passait son temps à perdre ses amis et que la promiscuité sur le dancefloor du Gibus leur manquait. »

Oscar et Yannick se tiennent dans les bras dans la lumière rouge, lors d'une Menergy
Oscar Heliani et Yannick Barbe. Crédit photo : Édouard Brane

Sensualité, promiscuité, masculinité

Oui, parce qu’à Menergy, il faut apprécier la promiscuité. Une idée assez bien rendue par la communication d’ailleurs : du rouge et du noir (« inspiré des premiers bars cuir et SM » et non de Jeanne Mas me dit-on), des images sensuelles, des mecs beaux. Trop beaux peut-être ? En tout cas, qui semblent mettre mal à l’aise une partie du public potentiel comme Julien qui n’a « jamais osé y mettre les pieds, je me sens pas dans le moule ». 

Yannick le dit lui-même : « J’ai beaucoup de copains qui me disent “je ne viendrai jamais à ta soirée parce que je ne ressemble pas aux poster boys ». Oscar reconnaît : c’est « un point de vue esthétique tranché et je peux comprendre que cela puisse donner une certaine image de la soirée. » 

Peut-être que, plus que pour d’autres soirées, aller à Menergy nécessite d’être à l’aise avec son propre corps ? À moins de simplement considérer que le point de vue esthétique de la soirée… n’est que ça : un point de vue esthétique ! Ce dont les habitués (« Dans la réalité tu croises des twinks à côté de François Sagat ») comme les organisateurs (« une gym-queen en harnais peut danser à côté d’un gros daddy sans que cela ne déclenche la troisième guerre mondiale ! ») conviennent. C’est de la com, c’est assumé comme tel… et c’est efficace : « C’est aussi pour cela qu’on intrigue beaucoup et j’ai envie de dire : tant mieux ! » confie Yannick. 

Bon, de la bonne musique et des mecs torse nu :  ça donne quelle genre d’ambiance au final ? On me l’a décrite avec des mots plus ou moins poétiques : « une énergie sensuelle et sexuelle », « une soupe de viande » (je crois que c’était positif)… C’est même parfois le but de la sortie : « j’y vais pour les barbus poilus en jockstrap ». Et la question de la masculinité qui revient souvent : « mélange de masculinités », « masculin mais pas viriliste » voire masculinité « bienveillante ». Là encore, « On ne va pas s’en dédouaner » nous dit Oscar : « la soirée s’appelle Menergy, hommes et énergie ! ». L’occasion aussi de constater que la masculinité — si ce mot a un sens appliqué ici — vécue par les pédés n’est pas tout à fait celle des mecs hétéros. Un fait qu’on vérifie… chez les meufs qui viennent à Menergy. Notre Leslie Préel en parlait il y a quelques mois, mais ce n’est pas la seule raconte Yannick : « Il y a des filles qui dansent seins nus chez nous ! Et Hortense Raynaud, jeune photographe lesbienne à qui on a déjà donné des cartes blanches disait récemment qu’elle ne se sentait jamais autant dans un espace safe qu’à Menergy… contrairement à pas mal de soirées pourtant estampillées queers. »

Ce qui m’amène à ce que me raconte Corentin, qui fréquente Menergy depuis la première soirée en 2014 : « Ça reste une soirée pédée à l’ancienne, qui fait peur aux hétéros. » C’est une question qui nous intéresse chez Friction… et c’est peut-être une autre clé de son succès ? « En tout cas moi je trouve ça bien qu’on fasse peur aux hétéros ! » rigole Yannick.

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« L’ennemi juré de la nuit, c’est la routine »

Mais en 10 années de fêtes, les choses ont dû changé quand même ? Oscar : « Au moment de la création, la soirée était confidentielle. Elle était le rendez-vous des initiés qui venaient écouter Robert Owens, Andy Butler et d’autres. À mesure que les années passent, la clientèle s’est élargie ». Au point même de redéfinir une partie du clubbing gay : « plusieurs clubbers gays ont cessé d’écouter la musique labellisée “circuit” en boudant les grands rassemblements : entraînés par un ami, un amant certains sont venus pour découvrir d’autres musiques et d’autres publics et j’ai l’impression que ça leur a plu. »

Un élargissement du public qui a été l’occasion de commentaires… contradictoires. Certains pensent avoir remarqué que la soirée est devenue « un rassemblement de gymqueens barbues » quand d’autres soulignent au contraire « la fréquentation qui se diversifie ». Ce qui fait rire Yannick : « Le “c’était mieux avant” est inhérent au clubbing », dans tous les cas « l’ennemi juré de la nuit, c’est la routine. Si tu retrouves toujours les mêmes, à la même place sur le dancefloor, quel ennui ! » Et en terme d’évolution, on voit surtout « de plus en plus de clubbeurs étrangers, avec un gros fan club new-yorkais ».

Bref, dix ans après ses débuts, si Menergy et son public continuent d’évoluer tout en restant fidèle au concept d’orgine, la soirée n’a pas fini de faire parler d’elle. Y compris chez certains qui n’ont jamais osé y mettre les pieds… Mais la soirée d’anniversaire est peut-être l’occasion, non ?

Menergy – 10 ans – Chloé
Samedi 26 octobre 2024 à partir de minuit
Gibus – 18, rue du Faubourg du Temple (Paris 11e)
Préventes à partir de 16€

Et pour aller plus loin : Les 10 ans de Menergy avec Chloé, Hortense Raynaud, Niz Denox, Yannick Barbe & Oscar Héliani sur Tsugi