Eloise Bouton – Madame Rap

Eloïse Bouton est autrice, journaliste indépendante et militante féministe « sans étiquette ». Il y a un peu moins d’un an, elle a lancé le tumblr « Madame Rap » qui met en lumière les femmes dans le hip hop, rassemble plus de 900 rappeuses du monde entier et déniche de véritables pépites. Elle a accepté de nous parler de la genèse du projet, des raisons qui l’ont poussée à se lancer dans l’aventure et des développements à venir. Rencontre.

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Souslajupe : Comment est née Madame Rap ? Qui est derrière cette initiative ?

Eloïse Bouton : Madame Rap est née d’une lassitude à force d’entendre des réflexions du genre : «  Tu aimes le rap ? Mais comment tu peux être féministe et écouter ce genre de trucs ? ». J’en avais assez de ces remarques, que je considère ultra clichées, surtout provenant de la part de personnes qui ne s’intéressent pas à cette musique ou cette culture. Plutôt que de m’énerver vainement dans mon coin, j’ai décidé de répondre par une démarche que j’espère constructive et de montrer que bien que les femmes ne jouissent pas de la même visibilité que les hommes dans le rap, elles existent ! Et elles assurent ! J’ai rencontré la DJ et soundesigner Emeraldia Ayakashi en septembre 2015 et elle a décidé de rejoindre l’aventure. Elle est un véritable couteau-suisse et nous sommes très complémentaires. Elle crée des visuels et des mixtapes, gère le graphisme, le développement du site et une partie du community management. Aujourd’hui, Madame Rap c’est nous deux.

Pourquoi avoir choisi de faire un blog sur la plate-forme Tumblr et non un site web ?

Parce que c’était le plus simple dans un premier temps. Mais nous sommes en train d’élaborer un nouveau site (un vrai) qui sera en ligne au plus tard à la rentrée et qui n’aura rien à voir avec celui-là !

Des vidéos, des interviews, des playlists, le tumblr a-t-il pour vocation de se développer encore ?

Oui ! En plus du site web, Madame Rap est désormais une association de loi 1901 qui vise à célébrer les féminismes, l’art et les cultures urbaines et leur offrir une réelle visibilité. Madame Rap sera bientôt un véritable espace d’information et d’éducation alternatif, avec l’organisation d’événements, la promotion d’artistes, du contenu éditorial, l’animation et la participation à des ateliers et à des conférences et un shop en ligne.

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C’est une démarche féministe, de mettre des artistes femmes en lumière dans un univers plutôt réputé pour être masculin et homophobe ?

Oui, le rap est un milieu masculin, sexiste et homophobe, comme tout le monde de la musique et la société dans son ensemble. Non, le rap n’est pas plus misogyne que d’autres courants musicaux, il use de codes différents, frontaux, et sans fioritures. Dans le hip hop, le culte de l’ego trip et d’une hypervirilité exacerbée crée des personnages caricaturaux et des textes qui glorifient les biens matériels et les femmes objets. C’est vrai que ce format plus cash rend le sexisme plus visible, mais les autres musiques le sont tout autant, la seule différence est qu’elles produisent un sexisme plus mainstream et plus pernicieux, presque indécelable.

Notre culture de la chanson est truffée de misogynie, mais tant que ce sont des hommes blancs, « présentables », à la masculinité acceptable, on les érige en références populaires. On applaudit tous ces messieurs de la variété qui parlent de leur désir pour les femmes, souvent objectivées et dont on ignore le degré de consentement, car le tout est enrobé dans du prétendu « romantisme » et de la chanson d’amour. Résultat, on nous colle des stéréotypes désastreux dans le crâne et on nous apprend que ces chanteurs normés sont des gentlemen. Quand Marc Lavoine déclare « Une femme qui boxe ça reste une femme avec des petits seins, un petit sac à mains et du bordel dedans »  ou Michel Sardou nous balance son sexisme à papa, ça ne dérange personne. En revanche, quand Booba dit « pétasse », il se fait incendier.

Comment découvrez-vous les artistes que vous mettez en avant ? Ce n’est pas trop difficile ?

Je fais des recherches sur internet, notamment sur Soundcloud, où l’utilisation de mots-clés facilite le processus. Après, j’écoute et j’essaie de comprendre les textes. C’est parfois très compliqué quand il s’agit de langues « rares » car je veux m’assurer de ne pas relayer des artistes aux propos haineux. C’est parfois difficile de trouver des rappeuses dans certains pays, où la liberté d’expression et l’usage d’internet sont limités, et où les outils promotionnels s’avèrent parfois différents.

Une de choses particulièrement intéressantes dans Madame Rap, c’est que vous ne vous contentez pas de l’Amérique du Nord ou de l’Europe. C’est important, pour Madame Rap, de mettre en avant des artistes qui viennent d’autres espaces géographiques ? Pourquoi ?

D’abord merci. Et oui c’est essentiel pour moi de sortir de ce regard occidental et franco-américano centré. Je trouve important d’ouvrir un espace qui rassemble des femmes de toutes origines, religions et orientations sexuelles. Le fait que l’on trouve des rappeuses dans tous les pays du monde prouve bien que leur présence n’est pas anecdotique ou limitée à certains contextes culturels.

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Pourquoi avoir choisi le hip-hop alors que musicalement, je crois avoir lu (dans Confession d’une ex-Femen, il me semble) que toi-même tu faisais de la musique, plutôt rock indé que rap hardcore ?

J’ai toujours adoré le hip hop. C’est notamment par cette culture que j’ai découvert le féminisme. Au lycée, j’écoutais autant de rock (riot grrrl, metal, indé) que de hip hop, et surtout beaucoup de rappeuses américaines (Queen Latifah, Missy Elliott, Salt N Pepa, MC Lyte, E.V.E, Da Brat, Lady of Rage, Bahamadia, Rah Digga, Lil’ Kim, Foxy Brown…). J’ai ensuite creusé le sujet à la fac. Dans le cadre de mes études d’anglais, je me suis spécialisée dans le féminisme africain-américain et les mouvements des droits civiques aux Etats-Unis. Par ailleurs, j’ai fait de la danse hip hop pendant de nombreuses années, à un moment à un niveau quasi-professionnel, avant d’arrêter quelque temps pour reprendre une pratique « amateure ». Selon moi, le point commun entre le hip hop et le rock est qu’il s’agit de musiques ancrées dans le réel, de témoignages sociaux, empreints de révolte politique et d’empowerment. Les codes sont différents, mais l’énergie est la même.

Depuis que tu collectionnes les titres hip-hop dus à des femmes, tu peux nous parler de tes coups de cœur ? Qu’est-ce que tu nous recommandes ?

C’est très difficile de répondre parce que ça change tout le temps, au fur et à mesure de mes découvertes. En ce moment je dirais la Sénégalaise Eve Crazy, l’Américaine Queen Key, la marocaine Tendresse, et l’Iranienne Justina.

Crédit photos : P-Mod

Graphisme : Emeraldia Ayakashi

Leslie Preel / @lpreel