Sam Lefebvre de l’association Représentrans a souhaité réagir à la chronique diffusée sur France Inter intitulée «La transidentitié de genre » qui donnait la parole à M. Roquette, directeur de la rédaction du Figaro Magazine. Cette réponse a déjà été adressée à la médiatrice de Radio France. Nous la reproduisons ici.
Dans ce papier nous souhaitons revenir sur la chronique « En toute subjectivité » du 28 février 2023 titrée « La transidentité de genre ». Cette chronique reprend des idées transphobes et répand des informations fausses, voire pourrait être interprétée comme un appel à la haine anti-trans.
Le titre présente déjà une erreur : La transidentité de genre. C’est un pléonasme, en effet la notion de transidentité suffit à impliquer que l’on parle de genre. Si cette erreur n’est pas préjudiciable en elle-même, elle démontre un manque d’intérêt et de recherches sur le sujet de la part de son auteur. Le terme d’identité sexuelle, s’il n’est pas faux, est ambigu car il peut aussi désigner l’orientation sexuelle d’une personne, ce qui n’a rien à voir. Il aurait été plus judicieux de choisir le terme “identité de genre” qui, lui, ne porte pas à confusion
Ensuite, nous relevons tout au long du texte des phrases connotées voire empreintes de jugements et de surcroît fausses de la part de M. Roquette. Je citerai ici l’échange suivant :
Présentateur : « Un sujet hautement sensible, la transidentité. »
M. Roquette : « Sensible, c’est le mot, c’est même l’un des sujets de société les plus complexes qui soient. […] À dire vrai, le vocabulaire employé dans ce domaine est très abscons. »
Ces deux phrases parlent de la transidentité comme un sujet de société sensible, complexe, au vocabulaire incompréhensible, ce qu’elle n’est pas : de très nombreuses ressources de vulgarisation existent à ce sujet et sont facilement accessibles, encore une fois le présentateur n’a-t-il pas pris le temps de faire des recherches ? Les termes liés à la transidentité qualifiés d’abscons disposent également de définitions simples et consensuelles, tout à fait accessibles en ligne (notamment le dictionnaire Larousse en ligne, www.larousse.fr). M. Roquette enchaîne en prétendant expliquer la transidentité (qu’il vient de décrire comme hautement complexe) en citant d’abord une définition plutôt datée, la plus ancienne, et en ajoutant verbalement des guillemets à l’expression genre assigné. L’usage de guillemets connote ici une mise à distance du terme qui fait pourtant consensus dans les études de genre et dans la vie courante.
Dans la suite du segment, l’augmentation du nombre de personnes trans est qualifié de phénomène d’allure épidémique. L’usage du mot épidémique connote ici une maladie qui se répand, se transmettant d’une personne à l’autre, or il est prouvé que la transidentité n’est pas une maladie, et qu’elle n’est pas transmissible, bien que ses causes soient inconnues. Le manuel MSD qui est une référence reconnue par la vaste majorité des expertes et experts précise d’ailleurs que l’incongruence de genre en elle-même n’est pas un trouble mais seulement la dysphorie de genre qui peut en résulter quand celle-ci porte atteinte au bien-être de la personne concernée :
« L’incongruité de genre ou non-conformité de genre, n’est pas considérée comme un trouble.(…) Cependant, lorsque le déséquilibre perçu entre le sexe de naissance et l’identité de genre provoque une détresse ou une invalidité importante, un diagnostic de dysphorie de genre peut être approprié, l’accent étant mis sur la détresse de la personne plutôt que sur la présence d’une incongruité de genre. »
[ Voir dysphorie de Genre : ici ]
Nous arrivons alors au coeur du sujet précis de cette chronique :
M. Roquette : « Et la caisse d’allocation familiale relaie désormais officiellement la théorie de l’affirmation du genre, en soutenant le mois dernier que, je cite, « le genre n’a rien à voir avec la sexualité ».»
Précisons ici que la théorie de l’affirmation du genre n’existe pas, pas plus que la théorie du genre ou le transgenrisme parfois dénoncés par des groupes anti-trans. M. Roquette explicite ensuite cette soit-disant théorie comme affirmant que « le genre n’a rien à voir avec la sexualité », impliquant que cette théorie est fausse ou bien discutable. Il est vrai et avéré que le genre et la sexualité ne sont pas liés : la sexualité désigne l’ensemble des comportements sexuels, reproductifs ou non, d’individus comme l’orientation ou les pratiques sexuelles. Aucune de ces notions ne sont liées à l’identité de genre d’une personne : une personne peut être cisgenre et homosexuelle, hétérosexuelle, bisexuelle etc, tout comme une personne transgenre peut l’être. Confondre ou assimiler les deux est un non-sens reconnu.
Questionné ensuite sur les réactions suscitées par cette prise de position de la CAF, M. Roquette répond : « Des personnalités respectées comme comme la pédopsychiatre Caroline Eliacheff ou la philosophe Élisabeth Badinter l’ont jugée subjective et dangereuse. »
Caroline Eliacheff est la co-fondatrice de l’Observatoire Petite Sirène, qui refuse l’autodétermination des personnes transgenre et affirme que les enfants sont de plus en plus nombreux à être transgenres, voire à être rendus transgenres par des influences extérieures, ce qui n’a aucune valeur scientifique. Élisabeth Badinter, quant à elle, si elle développe de nombreux ouvrages et essais autour du féminisme, ne possède aucune expertise à propos de la transidentité ni du transféminisme. Si ces personnes sont citées, c’est qu’elles ont contribué à la publication d’une tribune dans le Figaro pour exiger ceci : « La CAF doit cesser de promouvoir l’idéologie trans ! ». Citer des personnes dont les positions anti-trans sont reconnues, avérées et totalement assumées est un appel à la haine, et non pas à un débat sain.
La désinformation continue dans le reste du segment :
M. Roquette : « On insiste sur la gravité des traitements qui leurs sont proposés : d’abord des bloqueurs de puberté puis des hormones de substitution, œstrogènes ou testostérone, puis des traitements chirurgicaux parfois irréversibles.»
Ces traitements, s’ils existent bel et bien, ne sont pas graves et ne sont jamais forcés (contrairement aux mutilations subies par les personnes intersexes dès leur naissance). Les bloqueurs de puberté sont complètement réversibles dès l’arrêt du traitement, les hormones de substitution sont fortement encadrées par un ou une endocrinologue et ne sont pas délivrées à tort et à travers (pour une certaine part, les effets sont également réversibles). Celles-ci ne possèdent d’ailleurs que très peu d’effets indésirables par les personnes qui suivent un protocole de traitement hormonal de substitution.
Le paragraphe de conclusion achève d’enfoncer le clou :
M. Roquette : « Sur un sujet aussi délicat, le mieux est sans doute d’écouter l’académie nationale de médecine, qui recommande une grande prudence médicale chez l’enfant et l’adolescent, compte tenu de la vulnérabilité, en particulier psychologique, de cette population et des nombreux effets indésirables, voire des complications graves, que peuvent provoquer certaines des thérapeutiques disponibles. Ce serait bien que ces paroles de sagesse soient davantage entendues. »
Premièrement, s’il est important d’écouter l’Académie nationale de médecine, il l’est encore plus d’écouter les personnes concernées qui sont dans bien des cas mieux renseignées. La prudence médicale est déjà de mise, l’idée selon laquelle des hormones sont distribuées à n’importe qui et à tout va est complètement fausse. Les parcours de transition médicalisée sont strictement encadrés pour les jeunes et pour les adultes, voire trop au vu de certaines pratiques illégales qui ont encore lieu, notamment de la part de la CPAM (la demande d’attestation psychiatrique pour rembourser certains traitements, alors qu’elle n’est plus obligatoire).
Le seul traitement que peuvent choisir de prendre les mineurs transgenres sont des bloqueurs de puberté, complètement réversibles. Si la préoccupation majeure M. Roquette est le bien être des jeunes, alors le taux de suicide des adolescents transgenres n’ayant pas accès à des traitements appropriés devrait être son point de mise en garde. Pour ce qui est des complications graves que peuvent provoquer certaines des thérapies disponibles, aucune source fiable ne fait actuellement état de complications graves causées par les hormones de substitution ni les chirurgie.
Les seules thérapies ayant des complications graves à ce jour sont les thérapies de conversion, récemment interdites (sauf pour les personnes intersexe qui subissent toujours des opérations de réassignation sexuelle non consentie dès la naissance et tout au court de leur développement, aux conséquuences bien souvent traumatiques). Ces pratiques médicales dangereuses ont été dénoncées par de nombreux organismes, mais ne semblent à priori pas préoccuper M. Roquette.
Deuxièmement, l’exemple des États-Unis nous montre bien où toute cette désinformation mène. Après des années où des personnes transphobes ont partagé leurs opinions à la télévision comme à la radio, des lois sont votées pour interdire les transitions médicales et l’existence même des personnes trans. L’État du Tennessee est le plus récent, mais plusieurs centaines de propositions de lois sont comptabilisées pour les deux premiers mois de 2023, faisant suite à d’autres années records en 2022 et 2021.
Nous, Représentrans, demandons à ce que En toute subjectivité fasse intervenir des personnes concernées et expertes du sujet telles que Mme Karine Espiñeira, sociologue des médias, autrice de Transidentités et transitudes : Se défaire des idées reçues (2022), Mme Maud-Yeuse Thomas, intellectuelle et co-fondatrice de l’Observatoire des Transidentités, Lexie Agresti, militante et autrice de Une Histoire de Genre (2021), M. Emmanuel Beaubatie, sociologue, chercheur et auteur de Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre (2021), ou encore Océan, artiste et réalisateur de la série documentaire En infiltré·e·s (2021).
Sam Lefebvre pour Représentrans