Député LFI de Loire-Atlantique depuis 2022, Andy Kerbrat a fréquemment pris la parole à propos des droits LGBT au sein de l’Assemblée nationale. Parmi les rares élus ouvertement gays (il précise qu’il doit être le député à avoir le plus dit « pédé » dans l’hémicycle), on l’a également vu dans les manifestations contre la vague transphobe de ces derniers mois. Un engagement qui s’est traduit par son profond désir d’inscrire la promesse de l’inscription du changement d’état civil libre et gratuit en mairie au sein du programme du Nouveau Front populaire. Pour Friction Magazine, le député candidat à sa réélection est revenu sur l’enjeu politique actuel et la nécessité d’aller aux urnes pour défendre les vies LGBTI.
En tant que député, comment avez-vous vécu l’annonce de la dissolution dimanche 9 juin ?
On était en pleine soirée électorale avec des militant·es et des candidat·es de la liste de Manon Aubry et on a vraiment découvert l’annonce en direct. On sortait de campagne européenne, il faut imaginer des militant·es qui sont rincé·es. Et directement, il fallait relancer, car on a une responsabilité historique en tant que première force de gauche. Heureusement, à l’échelle nationale, ça a bougé très rapidement. Ça a bougé avec beaucoup de turbulences, on ne va pas se mentir, mais ça a bougé assez rapidement.
C’est intéressant ce choc que vous recevez tous et toutes en tant qu’élu⸱es, alors qu’on apprend que Pascal Praud aurait été tenu au courant avant… Ça dénote aussi d’une ambiance médiatique et politique assez particulière. Vous en diriez quoi de ça, justement ?
Je trouve que le bloc culturel réactionnaire était très préparé à cette question. C’est intéressant. On l’a vu avec l’émission de Sophie Davant et son remplacement soudain sur Europe 1 par Hanouna… L’extrême droite était prête, elle s’est préparée depuis des années et des années à cette situation.
La gauche, sur ce coup-là… Enfin, les insoumi·es ont toujours été prêt·es ! On l’était à chaque motion de censure quand on a pris le risque de faire tomber ce gouvernement. C’était notre objectif car, en réalité, il n’y avait pas de majorité sociale, de majorité politique : l’élection présidentielle de 2022 n’a pas résolu cette question centrale. L’élection n’a pas tranché entre les trois blocs politiques car il y a un quatrième bloc qui est majeur : celui du bloc absentéiste, avec un dégoût généralisé, une apathie…
Mais heureusement qu’on était prêt·es et qu’il y a eu la NUPES. Il faut imaginer que si cette situation était arrivée il y a cinq ans, la gauche était morte. On aurait été dans un scénario à l’italienne, avec plus vraiment de gauche en France ou incarnée par une sorte de centre-gauche mou… Heureusement, l’élection de 2022 a acté l’émergence d’une gauche de rupture avec le libéralisme, avec un fonctionnement écocide que produit le productivisme… Une rupture importante pour moi qui existe aussi sur les sujets dits sociétaux, même si je n’aime pas du tout ce terme, sur les droits humains.
Le Front populaire fait référence à la coalition électorale de gauche de 1936, un moment particulier de l’histoire politique du pays. Est-ce qu’à vos yeux, on vit le début d’une séquence politique historique ?
La séquence, c’est la bascule. On le dit tous et toutes, c’est galvaudé, c’est facile, mais en gros c’est 1934 : d’un côté, en France, les ligues fascistes marchent sur l’Assemblée nationale et de l’autre côté, en Allemagne, les nazis réussissent à prendre le pouvoir. Et ça amène à deux résultats : 36 en Allemagne, Hitler qui prend le pouvoir, 36 en France, le Front populaire. C’est ce moment.
Et dans ce moment on a une apathie, tout ce qu’ont créé Macron, François Hollande, Nicolas Sarkozy… on peut remonter jusqu’à Chirac (avec la respiration Jospin) et qui aboutit à ce climat anxiogène. Mais qui amène aussi une mobilisation sociale : des syndicats CGT, CFDT, FO, Solidaires, etc., des associations comme la LDH qui se mobilise… C’est un mouvement qui n’est pas seulement revendicatif mais aussi politique avec un choix de pousser vers un nouveau Front populaire.
Du côté des collectifs LGBTI, il y a eu la tribune des Inverti·e·s. Ils ont réactivé cette culture du Pink Bloc — qui existait déjà et à laquelle je suis très attaché en tant que militant queer — et tout le travail qui a été fait depuis la réforme des retraites. La question LGBTI redevient une question sociale, en la posant d’un point de vue matériel.
AIDES a également manifesté samedi dernier en mettant en valeur le parcours des séropos et l’historique sérophobe du RN.
Le député RN Jean-Philippe Tanguy est militant anti-PrEP convaincu, il considère que la PrEP est un médicament de confort et donc qu’il faut la dérembourser. C’est un risque immense. Je le dis tout de suite, le RN est le parti qui augmentera l’épidémie VIH par ce déremboursement de la PrEP, qui va attaquer les étranger·ères et leurs droits à la santé. Pour les personnes migrantes qui attrapent le VIH, une contamination sur deux a lieu sur le territoire français. C’est un truc classique : on les criminalise, on les renvoie aux franges de la société avec donc plus de risques de contamination. Dans ce contexte la campagne de AIDES est admirable. Car en effet, le RN au pouvoir, c’est davantage de séropos et des séropos moins bien soigné·es. Rien n’a changé depuis Jean-Marie Le Pen, en réalité.
C’est la preuve qu’ils ne peuvent pas être aux affaires, que ce serait une catastrophe sanitaire générale. Heureusement qu’ils n’ont pas eu à traiter le Monkeypox, ça aurait été terrible.
On parlait du bloc associatif et de collectifs queers, mais on voit aussi que certain·es artistes et militant·e·s ont perdu la foi dans l’idée que le changement viendrait des urnes. Qu’est-ce vous auriez à dire vis-à-vis de ça et à ces gens-là ?
Le changement, il va venir des urnes… mais en négatif, là. C’est le risque, malheureusement.
Il y a cette phrase que j’ai dit au ministre et que j’ai répétée en manifestation : « Je suis pédé depuis assez longtemps pour savoir que je ne peux pas faire confiance aux hétérosexuel·les pour s’occuper de nos affaires. » Elle est sincère. À aucun moment, je considère les hétérosexuel·les comme étant des opposant·es mais la question centrale, c’est que sans nous, c’est contre nous : c’est le fameux vieux slogan ! Ça fonctionne de la même façon pour les personnes racisées : on fait depuis tellement longtemps dans les quartiers populaires sans les personnes des quartiers populaires.
Donc je comprends que des personnes LGBT abandonnent les urnes. Cependant, là, c’est le péril. Après, on fera tout ce qu’on veut, ça sera le Nouveau Front populaire. Après, elles auront le droit, le devoir d’aller nous taper dessus si on est au gouvernement pour nous dire : « Sur ça, vous merdez, sur ça c’est pas bien. » On a dans le programme le changement d’état civil simplifié, l’augmentation des budgets des associations, la filiation par reconnaissance, la PMA pour les personnes trans, les protections menstruelles, l’égalité femmes-hommes, le plan d’éradication des violences contre les LGBTI, une politique de santé sexuelle sur le chemsex ! On a des trucs… mais après ce sera à la société de venir nous chercher. Et à nous d’être réceptifs et réceptives à la société, de ne pas être fermé·es. Il y aura tout à faire après.
On n’est pas parfait la gauche. Caroline de Haas l’a très bien dit : la gauche n’est pas parfaite, elle n’est pas bonne sur les sujets trans, elle n’est pas bonne sur les sujets des féminicides et du féminisme. Mais putain, en face ce qu’on risque est tellement plus grave. Et c’est tellement important que si on ne conscientise pas les gens sur le fait que c’est un enjeu vital… On risque quelque chose de dramatique. Moi, j’assumerai le combat quoi qu’il arrive.
Vous êtes candidat à votre réélection en Loire-Atlantique. Sarah El Haïry est également candidate en Loire-Atlantique. Que peut-on répondre à ces propos qui condamnent de la même façon le fait de « casser du pédé » et de casser des abribus ?
C’est le cynisme total. Elle était fière de ce qu’elle disait parce qu’elle s’est dit : « J’’ai fait un bon coup. » L’équivalence, Sarah, l’équivalence, elle est où ? Il y en a qui perdent leurs vies. Et cette semaine, elle a été terrible pour les personnes LGBT. Là, le dernier acte où un policier gay s’est fait harceler moralement avec la menace — et là, l’intersectionnalité est essentielle — de lui faire « comme aux rebeux, comme on fait aux bicots ». Il y a un déferlement de violence et une libération de la parole, avec un gudard qui dit « dans trois semaines on pourra casser du pédé.» C’est ça la réalité.
Et la ministre en faisant cette équivalence, elle nous met encore plus en danger. Elle se dit que ça sera repris, elle le sait, c’est calculé, pensé. C’est une ministre. Elle a une équipe de com. Elle a une responsabilité historique, surtout en tant que personne concernée. Et après ce genre de conneries, pas d’excuses. Elle n’en a même pas été capable. C’est bien la preuve que la macronie ne s’est jamais intéressée aux questions LGBTI.
La campagne est très courte, quelles sont les actions que l’on peut mener pour y participer ou la soutenir ?
Il faut cibler les circonscriptions en danger. Et dans ce cas-là il faut se rapprocher des militants politiques, aller sur le terrain. Le truc c’est l’abstention. Comment on fait pour qu’on soit pas à 48 % mais à 30%, 20% ? Il va falloir encourager les gens à aller voter, il faut une mobilisation générale.
D’ailleurs l’effervescence militante, l’effervescence artistique, elle est totale ! C’est génial. Ne faites juste pas ça tout seul·e·es, c’est prendre un risque car les fachos sont là. Mais participez à la politique, participez aux actions, renseignez-vous ! Entrez en mouvement. Même si ce n’est que pendant la période des élections législatives, allez-y. Parce que le moment est tellement grave que s’il n’y a pas de mobilisation générale, on prend un risque.
Mon objectif, c’est 300 sièges pour le Front Populaire, c’est qu’il existe une nette différence entre nous et le score du RN. Car s’il n’y a pas ça, on prend le risque de continuer la fracture dans ce pays. Ensuite, on s’engueulera entre nous parce qu’on est des politicien·nes, on est con·nes, c’est pas nouveau mais l’importance est de réussir ce cap-là, de renvoyer les fachos à ce qu’ils sont.