Premier en Suisse romande, le festival Everybody’s perfect expose, depuis sa création en 2010, les expressions lgbtiq+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes et queer) mondiales. Chaque année en octobre aux cinémas du Grütli, à Genève, le festival se déploie sur 10 jours, articulés autour des grands thèmes liés aux personnes lgbtiq+. Entre performances, expositions, ateliers, musique et soirées festives, le festival libère les expressions et permet à chacun·e de partager ses ressentis et de confronter ses identités. Le jour de l’ouverture du festival Everybody’s perfect, on a eu l’occasion de rencontrer Sylvie Cachin, elle-même cinéaste et directrice générale et artistique depuis 2018.
« Le festival est un festival de cinéma mais propose aussi d’autres arts, des arts de la performance, des concerts, des DJ sets, c’est assez large. On travaille avec beaucoup de partenaires, notamment associatifs, c’est une façon de faire de la cohésion sociale à travers l’art. » nous explique Sylvie. Elle nous raconte également que lorsque le festival a été créé, l’équipe s’est souvenue d’une réplique de la scène finale de Certains l’aiment chaud, dans laquelle un homme tombe amoureux d’une femmes sans savoir qu’il s’agit d’un travesti. Lorsqu’il finit par lui dévoiler qu’il est un homme, son amoureux lui dit : « But nobody’s perfect ». C’est de là qu’est venu le nom du festival.
Pour Sylvie Cachin, l’étiquette de « cinéma queer » a plusieurs acceptions que la programmation s’attache à embrasser toutes. « Ça rassemble toutes les identités LGBTIQ+, identités et orientations affectives et sexuelles, et en même temps, on parle de thématiques traitées à l’écran mais un critère essentiel est qu’elles soient traitées avec un regard concerné et authentique. Le cinéma queer peut aussi se retrouver dans d’autres thématiques, pas forcément LGBT, mais il s’agit de films qui sont le fruit d’un regard critique transversal sur la société qui cherche à bousculer des normes établies ou que certains prétendent être naturelles. »
Cette année, le festival a choisi de mettre en avant des thèmes en particulier. La programmation se construit avec la production actuelle et dont émergent parfois certaines thématiques. « Cette année, on a voulu mettre en avant deux thématiques. L’une qui a été une construction de notre part, c’est celle de la joie lesbienne : on a tenté de trouver des oeuvres qui représentent des femmes lesbiennes de façon positive, et c’est une entreprise pas simple qui n’a pas forcément abouti et c’est la raison pour laquelle nous avons fait appelle à Jenifer Prince qui a décidé de détourner une certaine imagerie des années 1950 pour en faire des images de lesbiennes qui s’aiment librement. » Jenifer Prince est donc l’artiste à l’honneur de cette édition du festival et elle a participé à une table-ronde avec Claire Burger dont le dernier film évoque la relation entre deux jeunes femmes. « C’est drôle d’avoir présenté ce film comme un film sur le couple franco-allemand, comme si ce n’était pas deux jeunes femmes qui se rencontraient. » Cette thématique « joie lesbienne » donne également lieu à une séance de courts-métrages et l’équipe du festival a également choisi de programmer des longs métrages qui permettent de sortir du misérabilisme dans le regard porté sur les lesbiennes dans le cinéma. L’autre thématique majeure du festival rend honneur au porno gay français, aux films qui sortaient en salle dans les années 1970 : cinq films sont présentés qui pour la plupart n’avaient pas été diffusés en Europe et une table-ronde est organisée autour de cette thématique également. Par ailleurs les festival programme des films de tous les continents : on peut y voir de nombreux films brésiliens qui sont particulièrement créatifs.
Sylvie Cachin est également très heureuse d’accueillir Annarita Zambrano, la réalisatrice italienne de Rossosperanza, film qui nous plonge dans les années 1990 à Rome. C’est un film assez explosif et subversif qui mélange les genres. « C’est dommage que ce genre de films qui pourraient nourrir les réflexions parce qu’ils sont provocateurs ne soit pas diffusé. C’est un film qui n’est sorti ni en France ni en Suisse. Il est sorti en Italie au mois d’août et est resté en salle pendant deux semaines.» Autre coup de coeur de la directrice générale et artistique : Young Hearts d’Anthony Schatteman qui raconte une histoire d’amour qui finit bien « et ça fait du bien ! »
Pour sélectionner les films programmés, l’équipe d’Everybody’s perfect épluche les programmes de tous les festivals LGBTI dans le monde : « c’est un travail de plus mois. On récupère des liens de visionnage, parfois les films ne sont pas sous-titrés donc il nous faut produire des sous-titres aux frais du festival. » Mais Everybody’s perfect est désormais une institution bien implantée dans le paysage du cinéma queer, les distributeurices proposent aussi leurs films et les cinéastes émergent·es soumettent aussi leurs films via la plateforme filmfreeway. Les équipes essaient aussi de fréquenter les autres festivals européens malgré un budget limité. Everybody’s perfect collabore avec Écran mixte son homologue lyonnais. Everybody’s perfect, c’est aussi une compétition, avec trois prix différents, les perfect awards : le prix du jury des jeunes, le prix du public et le prix mémoires lgbtiq+ de la ville de Genève qui est le seul prix doté : « La ville de Genève est extrêmement engagée, ça vaut la peine de le souligner, pour aider la diversité et l’inclusivité, ce prix en est vraiment la preuve. »
Le festival en est à sa onzième édition et depuis 2010, il n’a cessé d’évoluer. Lors des premières éditions, la programmation était très axée sur des documentaires engagés et militants : « il y avait beaucoup de malheur et de luttes. On a tenté d’aller chercher davantage de choses positives mais aussi on a voulu améliorer la qualité des films sélectionnés en étant plus sélectives. Il est hors de question de prendre des films prétextes pour remplir une sélection parce que c’est LGBT» Un travail énorme a été fait aussi pour montrer une image professionnelle aux différents partenaires, notamment dans le canton et avec la ville de Genève : « on a investi le champ culturel en sortant de la dimension associative de niche et je pense qu’on a réussi. Ça fait deux trois ans qu’on est reconnu comme une initiative culturelle qui doit être soutenue par les autorités. La vraie évolution du festival, c’est d’être sorti d’une niche pour avoir une vraie assise dans le paysage culturel. » Le niveau d’exigence d’Everybody’s perfect se voit à tous les niveaux de la programmation et pour Sylvie Cachin, c’est aussi un moyen de donner du pouvoir à tous·tes ces cinéastes LGBTI. C’est une ligne à laquelle elle n’a pas dérogé et qui montre cette année encore qu’elle a fait ses preuves.
Everybody’s perfect, Genève du 4 au 13 octobre : toute la programmation ici