Pourquoi il faut sauver la BMD

Au 79, rue Nationale cohabitent pour le moment deux bibliothèques : la Bibliothèque Marguerite-Durand occupe un peu moins d’espace que sa voisine Jean-Pierre-Melville, une médiathèque « généraliste », mais ses ramifications s’étendent en revanche plus généreusement dans les sous-sols. « Deux kilomètres linéaires », précise Annie Metz, la conservatrice.

Mauvaise nouvelle : la mairie de Paris a annoncé qu’en 2018, les espaces fermeront pour rénovation et que seule la médiathèque Jean-Pierre-Melville rouvrirait. La Bibliothèque Marguerite Durand s’en irait elle rejoindre la Bibliothèque historique de la Ville du Paris, dans le Marais (IVe). L’association Archives du féminisme lance dès 2016 une première pétition puis la protestation est relayée par divers syndicats en 2017. C’est la CGT de la Direction des affaires culturelles de la Ville (DAC) a également pointé du doigt ce déménagement, cette « expulsion » programmée de la bibliothèque Marguerite-Durand. Le problème ? C’est que ce déménagement vient menacer la seule bibliothèque de France consacrée à l’histoire du féminisme.

La Bibliothèque Marguerite Durand, c’est quoi ?

Créée en 1932 à partir des fonds personnels de la journaliste féministe Marguerite Durand, la BMD (Bibliothèque Marguerite Durand) est un lieu exceptionnel en France. Marguerite Durand était une féministe convaincue du début du siècle dernier, elle a fondé en 1897 La Fronde, « journal féminin et féministe». Aujourd’hui, la bibliothèque, née du leg de la journaliste à la ville de Paris à condition que son fonds soit valorisé, est un véritable trésor qui rassemble des dizaines de milliers de documents retraçant non seulement l’histoire du féminisme mais plus généralement l’histoire des femmes au cours du siècle dernier.

Parmi eux, des livres universitaires qui témoignent des enjeux et combats féministes des deux derniers siècles, des photos de femmes, des caricatures, des manuscrits, aussi, dont celui des Histoires de ma vie de l’enseignante et illustre communarde Louise Michel. Ou encore des dossiers de presse, sortes de mémoires de l’époque, comme par exemple celle, pas si lointaine, du combat des femmes pour l’obtention du droit de vote. Bref, une mine pour les chercheurs et chercheuses, mais pas que, d’où leur ressentiment lorsqu’ils ont entendu parler de l’hypothèse du déménagement de la bibliothèque.

Pour l’historienne Christine Bard, à l’origine de l’association Archives du Féminisme, fer de lance de la mobilisation pour sauver la BMD : « C’est tout simplement la seule bibliothèque en France entièrement consacrée à « l’histoire des femmes et du féminisme » : tel est le périmètre défini en 1932 lors de sa création, quand Marguerite Durand donna à la Ville de Paris ses collections, à condition que Paris fasse vivre à l’avenir cette bibliothèque qui porte son nom. »

Que propose la Mairie de Paris ?

La Mairie de Paris a avancé de nombreux arguments en faveur d’un déménagement du fonds de la Bibliothèque Marguerite Durand : trop peu d’inscrits, pas assez valorisée, horaires d’ouverture au public restreints… Pourtant ce déménagement inquiète à plusieurs titres.

La BMD devrait rejoindre la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, située en plein Marais (IVe arrondissement). Or, si le lieu est plus central, ses locaux sont, eux aussi, exigus. Trop pour accueillir le fonds de la BMD. La Mairie de Paris dit vouloir valoriser le fonds de la BMD par son déménagement mais, selon Christine Bard : « Cette affirmation est fausse : la BMD a énormément à perdre dans ce déménagement d’une bibliothèque déjà saturée vers une autre bibliothèque également saturée ! Dire que la BHVP (Bibliothèque historique de la Ville de Paris), sensée accueillir la BMD dans ses locaux, valorisera la BMD est tout de même curieux. Parce que la rue Pavée est plus attractive que la rue Nationale ? Les habitant.e.s du 13e arrondissement apprécieront. D’ailleurs l’Association pour le développement et l’aménagement du 13e arrondissement nous soutient. La BMD actuelle, au 79 rue Nationale, est entourée d’universités, ce qui est très souhaitable pour une bibliothèque qui est surtout une bibliothèque patrimoniale, de recherche. »

Plusieurs problèmes se posent donc, à commencer par celui de la place et d’une perte d’autonomie. Christine Bard explique encore : « On peut imaginer le pire quand on « manque de place » : il n’y a pour la BMD que 500 mètres linéaires à la BHVP alors que la BMD a déjà 2000 ml. Les archives jugées non « prestigieuses » seraient stockées hors de Paris, il faudrait les commander 48 heures à l’avance ; les livres ou périodiques déjà présents à la BHVP pourraient être « dédoublonnés » (éliminés), on porterait ainsi atteinte à l’intégrité des collections historiques, faites des dons de plusieurs générations de féministes. Pour le moment, le conflit avec la Ville de Paris interrompt la collecte des archives en direction de la BMD. Quelle féministe aurait envie de donner ses archives à une bibliothèque qui perd son autonomie, son identité, sa dynamique, ses capacités, son rayonnement ? La fermeture temporaire de la BMD est déjà en soi un problème pour les usager.e.s, mais le déménagement à la BHVP c’est pour la BMD une mort programmée, par dissolution et éclatement, par perte d’autonomie. »

La fronde s’organise

Face au tollé suscité cet été par la nouvelle du déménagement, la Mairie de Paris a décidé d’un semblant de concertation. Le 12 septembre, l’historienne Christine Bard et l’écrivaine Florence Montreynaud ont donc été reçues à l’Hôtel de ville par le conseiller de Bruno Julliard (premier adjoint chargé de la culture pour la maire de Paris, Anne Hidalgo) pour les bibliothèques.

On peut effectivement imaginer des alternatives à ce projet, car le manque de place à la BMD est bien réel. Toujours d’après Christine Bard, il est possible de « repousser un peu le début des travaux à la médiathèque Jean-Pierre Melville et [de] trouver dans Paris un lieu approprié, si possible dans le cadre d’un projet vraiment ambitieux, une « Cité des femmes et du genre » par exemple, avec des espaces d’exposition, des salles de réunion, et de la place dans les rayonnages et les magasins, pour donner envie aux féministes de continuer à donner leurs archives. La Ville de Paris vient d’annoncer que des locaux, dans une des mairies du centre parisien, seraient affectés à un Centre d’archives LGBT, et je m’en réjouis. Elle doit rechercher activement un lieu à la hauteur de ce que représente la BMD pour la recherche féministe (incluant d’ailleurs une dimension LGBTQI+ : les archives de Catherine Gonnard, ancienne rédactrice en chef de Lesbia Magazine, sont par exemple à la BMD). »

L’historienne poursuit : « Et puis la BMD est beaucoup plus qu’une bibliothèque : elle est un des rares lieux de mémoire identifié aux femmes et au féminisme, dans un pays où ils sont particulièrement rares. C’est aussi pour cela que notre colère est grande : en traitant ainsi la BMD, Paris s’inscrit dans une longue histoire de maltraitance à l’égard du féminisme. L’ampleur de la mobilisation universitaire et féministe, en France et à l’étranger, pour défendre la BMD ainsi que l’unanimité des syndicats sont tout de même éloquents. C’est un funeste projet, qui est de fait antiféministe. »

Le 12 septembre a également été créé le collectif « Sauvons la BMD » qui réunit d’ores et déjà de nombreux syndicats (une intersyndicale prévoit d’ailleurs de se réunir très prochainement pour évoquer la question), des personnalités publiques (journalistes, historien.ne.s) mais aussi des associations favorisant les recherches de genre (comme Mnémosyne) ainsi que plusieurs associations féministes… Le collectif organise un rendez-vous devant la BMD le 18 novembre prochain, mais a également lancé une pétition que nous vous invitons à signer pour la préservation du matrimoine que constitue le fonds de la Bibliothèque Marguerite Durand.

 

Signer l’appel : https://www.change.org/p/mairie-de-paris-sauvons-la-biblioth%C3%A8que-marguerite-durand

Plus d’infos : http://sauvonslabmd.fr/

 

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