Gay bar : pourquoi nous sortions le soir – balade nocturne aux côtés de Jeremy Atherton Lin

Véritable succès en Angleterre et aux Etats-Unis, Gay Bar : Why We Went Out est un livre culte chez les pédales anglaises. Heureusement pour celles qui pratiquent plutôt la langue de Rimbaud, les éditions Tusitala nous ont récemment offert une belle traduction avec en bonus une préface signée Cy Lecerf-Maulpoix. On a donc enfin pu enfin se plonger dans cette tournée des bars menée par la plume de Jeremy Atherton Lin.

Déambulation chaotique entre les clubs et les établissements plus ou moins recommandables, Gay Bar se distingue par cette façon d’être à la fois un livre historique qui vient raconter la vie de certains lieux mythiques et les réflexions de Jeremy Atherton Lin sur ces endroits et sa propre vie. L’auteur raconte ainsi sa jeunesse, ses premières relations comme ses premiers plans cul et la façon dont il voit le paysage homosexuel anglais évoluer au fur et à mesure des années. Cet aspect autobiographique ne sonne jamais lourdaud ou vain, tant le récit est profondément réfléchi mais aussi particulièrement sincère. Jeremy Atherton Lin n’hésite pas à évoquer des anecdotes peu reluisantes mais surtout ses propres hésitations pédées, mentionnant ainsi une période où sa propre homophobie entachait ses relations et son rapport aux autres gays. La prose de l’auteur trouve toujours le juste milieu entre la vulgarité délicieuse de ses expériences nocturnes et les faits historiques qu’il aborde avec grand sérieux. Une bascule permanente de ton tout à fait rafraichissante, qui fait comprendre à quel point les lieux pédés, qu’on en soit grands habitués ou occasionnels visiteurs, façonnent notre vision de notre propre communauté et donc, sans qu’on s’en rende vraiment compte, de notre propre rapport à l’homosexualité. Le caractère historique du livre n’est jamais étouffé par l’aspect personnel du récit. Il s’agit simplement d’une merveilleuse façon, intime et touchante de glisser la petite histoire dans la grande, de mettre le soi dans l’archive et le théorique.

Gay Bar se montre terriblement pertinent dans son analyse économique des lieux communautaires, n’oubliant pas de rappeler les ambitions pécuniaires des patrons de certains établissements. Un rappel particulièrement nécessaire lorsqu’on songe aux lieux gays parisiens mais aussi aux nouveaux modèles économiques queers qui ont fleuri ces dernières années. Comment créer des espaces financièrement viables et ouverts aux plus précaires ? Comment protéger les lieux historiques de la gentrification ? Gay Bar, bien qu’ancré dans une réalité anglo-saxonne, ne souffre ni de sa transposition française ni du temps qui passe. Les propos de Jérémy Atherton Lin restent profondément actuels, évoquant les questionnements autour de la notion de safe place, la diversité raciale du public et la présence grandissante des hétéros dans nos espaces.

Il faut admettre que les images d’illustrations ne font pas particulièrement honneur aux descriptions pleines de vie de Jeremy Atherton Lin mais font surtout modeste figure face à la sublime couverture dessinée par Estocafish. On rêverait presque d’une édition « beau livre », nourrie par de nouvelles images d’archives ou à défaut, de photographies qui immortaliseraient des nuits queers plus récentes. De quoi faire joli sur la table basse d’un before avant d’aller enchaîner les verres dans son Gay bar favori, histoire que la boucle soit bouclée.