Piche a crevé l’écran dans la deuxième saison de Drag Race France, notamment lors du talent show, où elle a montré qu’elle savait à la fois chanter, danser et performer. Après le succès de Confess, la drag arlésienne gitane de 26 ans dévoile un premier album résolument rap. Drag à barbe, Piche a souhaité brouiller les codes des genres en assumant une part de masculinité dans son art, aujourd’hui l’ancien danseur va encore plus loin en s’appropriant les codes d’une culture urbaine que l’on a du mal à associer à la culture queer. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle faisait la promo du premier single de son EP : « Oh ma Piche ».
Drag queen badass et rappeuse
« Je pense que j’ai dû perdre 25 à 30 points de vie depuis que Drag Race s’est terminé », il faut dire que la queen ne chôme pas, elle a enchaîné les dates après la tournée mais a également signé chez Warner Chappell pour son projet musical. « On a écrit des chansons, préparé des visuels, on n’a pas arrêté, mais je suis très content parce que j’ai fait Drag Race pour ça, parce que c’était un tremplin, j’avais envie de dire des choses en tant qu’artiste et maintenant j’ai une plateforme et des gens qui m’écoutent. On dormira quand on sera morte et laide ! » Mike Gautier a toujours su qu’il ferait de la musique et il s’y consacre désormais accompagné de son frère, lui-même rappeur. Le talent show de Drag Race était la plateforme parfaite pour montrer les différentes facettes de son art. Le morceau Confess, écrit pour l’émission, a cartonné et lui a permis d’être reconnue pour sa musique. « Je l’ai fait pour faire kiffer les gens mais aussi pour montrer cette part de masculinité que j’assume dans mon drag et que j’adore. Je voulais montrer qu’on peut faire du rap tout en étant une drag tout en restant badass. » Piche voulait casser aussi les préjugés sur les drag queens dans la musique : « Il y a plein de gens qui ne voient pas que c’est le vrai projet de leur vie et qu’elles s’y mettent à fond et le professionnalisent ». Pour Piche, c’était vraiment le projet et elle a choisi de se donner à 100% dans son projet musical.
Casser les codes grâce au drag
Par ailleurs, Piche a su voir qu’il y avait un vrai public au sein de la communauté LGBTI qui écoutait du rap et n’attendait que ça, d’être représenté dans des sons qui reprennent des codes plus urbains. C’est en constatant l’engouement de ses proches pour certains morceaux de rap que Piche s’est rendue compte que c’était un style musical qui pouvait plaire, bien qu’associé à des préjugés de misogynie et d’homophobie : « Je me suis dit ‘let’s go, essayons d’être cette personne qui apporte de l’inclusivité et des messages positifs dans le rap’ » Le rap a ce côté brut qui permet d’assumer des choses qui ne sont pas nécessairement exprimées dans d’autres styles musicaux mais la musique reste le reflet de la société : « Quand j’étais jeune, je n’étais pas un fan de rap pour la simple et bonne raison que je n’avais pas l’impression d’être légitime là-dedans et les gens qui écoutaient ce style de musique me renvoyaient ça, que c’était pas pour moi. » C’est par le drag que Piche a reconnecté avec le rap, c’est grâce à la liberté totale qu’elle a en tant que performer : « C’est quand je suis en drag que je me sens le plus à l’aise avec ce style-là ».
Cette dualité entre l’ultra féminité du drag et les codes virils de l’univers du rap correspond bien à ce que veut exprimer la drag queen. Dans les meet and greet, il n’est pas rare de la voir enlever ses chaussures et faire des checks aux gens qui l’entourent : « C’est le truc le plus cliché que tu vas entendre sur les drag queens ce que je vais te dire mais c’est une extension de moi-même, Mike n’est pas fondamentalement différent de Piche. » L’artiste exploite à fond la liberté que lui offre le drag : « On ne peut pas me comparer à un tel ou une telle parce que personne ne fait ça, des drag queens qui font du rap : ça n’existe pas. » Elle crée un boulevard où elle espère voir s’engager d’autres performereuses qui ne s’autorisent pas nécessairement ce mélange des genres.
« Je dirais pas que j’aime choquer mais on va pas se mentir, je suis pas contre une petite provoc » : comme elle le disait dans son portrait dans Drag Race, Piche choisit de montrer à celleux qui lui reprochaient sa différence à quel point elle peut l’assumer. En s’inspirant du clip d’ « Industry Baby » de Lil Nas X, Piche a choisi de détourner l’imagerie associée aux bars à chicha dans le clip de « Oh ma Piche » : « Je me suis demandé quels étaient les endroits où les minorités de genre et les femmes ne rentraient quasiment jamais et j’ai réalisé : les PMU et les bars à chicha. C’est aussi bête que ça en vrai, ça m’a fait marrer et je me suis dit que ça pourrait faire marrer d’autres gens du coup. C’est quelque chose d’important pour moi, je suis très perfectionniste et j’aime que les choses soient calées mais je n’aime pas qu’on se prenne au sérieux. » C’est encore cette dualité que l’on retrouve dans le clip du premier single de l’EP.
« Où est-ce que les queers qui écoutent ces musiques-là vont chercher du réconfort dans la musique ? »
De la même façon, c’est la dualité de l’image associée aux communautés LGBTI que Piche souhaite exprimer dans ses textes. « J’ai l’impression qu’il y a deux pans : soit on est des victimes soit on est des hystériques qui faisons la fête à outrance. » Ainsi on retrouve des textes festifs qui reprennent des codes du rap, avec de l’ego trip et des punchlines auxquels la drag queen donne un twist engagé à l’instar du single « Oh ma Piche ». Parfois il suffit de déconstruire certaines punchlines pour apporter de l’inclusivité aux textes. L’EP contient toutefois deux morceaux plus profonds « Atmosphère » et « Respire » qui abordent les difficultés que rencontrent les queers. « Je me suis dit ‘où est-ce que les queers qui écoutent ces musiques-là vont chercher du réconfort dans la musique ?’, il n’y a aucun texte qui parle d’eux et qui leur dise de tenir bon. C’est ce que j’ai voulu faire. » Donc si la dimension festive et joyeuse de l’EP est très importante aux yeux de la drag queen, elle n’en oublie pas pour autant les luttes et les combats.
Quand on lui demande comment elle arrive à jongler avec ces différentes facettes de son art, elle part d’un éclat de rire et répond : « Avec de la difficulté ! » mais c’est la raison pour laquelle elle est allée vers le drag, pour ce « pot-pourri » de compétences qui entrent en jeu. Danseur de formation, Mike a dû changer souvent de style entre la danse classique, contemporaine, hip-hop mais se sentait emprisonné dans un carcan trop rigoureux. La comédie, le stand-up, le chant, le rap : plusieurs disciplines l’attiraient : « le drag c’est un art compliqué parce qu’il exige de tout savoir faire mais j’étais déjà dans cette situation-là avant, le drag est un écrin qui me permet de tout réunir. » Il prend l’exemple d’artistes anglosaxon-es qui chantent, dansent et font de la comédie et déplore à demi-mot que les disciplines soient si cloisonnées en France. Le drag offre cette pluridisciplinarité qu’il n’aurait pas trouvée ailleurs : « la magie du drag, c’est qu’on ne se déplace pas pour une discipline mais pour un univers artistique ».
La drag queen reste bien occupée et espère pouvoir performer ses morceaux en live dans son propre show. En attendant, on pourra la retrouver dans de nombreux gigs aux côtés d’autres artistes, notamment au Zénith de Montpellier pour la Pride, et avec les différents contenus qui accompagneront la sortie de l’EP le 10 mai. D’ici là, on peut streamer dès aujourd’hui « Oh ma Piche » sur toutes les plateformes.