L’Asile en terre hostile : un rapport préoccupant

En juin dernier, le Collectif Asile Ile de France a publié un rapport intitulé L’Asile en terre hostile. Fruit de plusieurs années de travail de terrain, alliant observations et accompagnement de personnes demandeuses d’asile, ce livre noir recense les pratiques illégales et abusives constatées en Île-de-France. Il s’agit de documenter plus spécifiquement les problèmes liés à l’enregistrement de la demande d’asile, à la procédure Dublin, à la suppression des conditions matérielles d’accueil, ainsi qu’aux lacunes de l’accompagnement social dans les structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA). Nous avons échangé avec Solenne Lecomte de La Cimade pour en savoir plus.

Pouvez-vous nous présenter ce rapport ? Que désignez-vous par pratiques illégales lors de l’enregistrement des demandes d’asile ? Quelles sont les organisations qui ont contribué à la rédaction de ce rapport ?

Il s’agit d’une initiative collective portée par le collectif à Asile Île-de-France. 

Ce collectif est composé de 14 associations franciliennes qui proposent des permanences d’accès à l’information et au droit, généralistes ou plus spécifiques pour les personnes demandeuses d’asile et refugiées.

Dans les associations signataires, on retrouve l’Ardhis, l’ACAT, le Cèdre, Watizat, Paris d’exil, Solidarité Jean Merlin, l’ATMF, Dom’Asile, le Comede, le Gisti, la Cimade, le GAS et JRS France.

Il s’agissait pour nous de mettre en mot ce que nous observions quotidiennement dans le cadre de nos permanences. De mettre un mot et donc de faire lire ce parcours de dysfonctionnements, d’illégalités, d’abus, vécu par les personnes demandeuses d’asile en Ile-de-France, en contradiction avec certaines déclarations publiques d’accueil et d’humanité. 

Ce rapport s’appuie sur des témoignages de personnes exilées : pourquoi avoir choisi cette forme ? 

Nous nous sommes appuyé.es sur plusieurs années d’observation mais principalement les deux dernières pour une question d’actualité. En ayant aussi bien conscience que la nouvelle réforme allait à nouveau modifier et faire évoluer les pratiques.

On constate un durcissement des politiques migratoires ces dernières années, pourquoi ?

Nous parlons ici de pratiques allant de dysfonctionnements simples jusqu’à la violation de droits. Concrètement nous partageons plusieurs types de situations :

  • De l’absence d’accompagnement et des retards pris dans l’ouverture de certains droits, comme les droits de santé par exemple, avec des conséquences importantes pour l’accès aux soins.
  • Jusqu’aux pratiques illégales en violation du droit et des conventions internationales comme les refus d’enregistrement de certaines demandes d’asile ou encore les tentatives d’expulsion de personnes demandeuses d’asile ou refugiées depuis les centres de rétention.

Ce rapport s’appuie sur des situations vécues concrètement par les personnes reçues dans nos permanences, avec leur accord, après discussion sur le projet. Certaines parmi elles ont souhaité aussi témoigner de vive voix de ce parcours d’asile, de ses multiples obstacles surtout. Parmi elles, Sandra, Sayed, Praveen et Shehan, qui accompagnent la lecture du rapport avec leurs citations et enregistrements audios que nous avons aussi diffusés.

Bien souvent, nous le savons, les drames sont tragiquement réduits à des statistiques. Nos gouvernements successifs et influenceurs politiques ont trop souvent tendance à transformer les personnes, particulièrement les personnes étrangères, en séries de données, « flux », pourcentages, et catégories indivisibles. Il faut sans cesse rappeler qu’il y a des personnes derrière les concepts et les chiffres, des personnes avec des voix et des aspirations.

Ce rapport se nourrit aussi des observations d’autres personnes actrices que nous avons souhaité associer comme notamment, les avocat.es, d’autres associations ou d’ancien.nes salarié.es des administrations et associations sous contrat avec l’État.

On constate un durcissement des politiques migratoires ces dernières années, pourquoi ?

Vaste question, à laquelle je ne peux répondre que de manière très parcellaire.

Alors oui, les politiques migratoires se durcissent en Europe et en France, qui est loin de se limiter à ces deux trois dernières années. C’est une politique à l’œuvre depuis la fin des années 90, qui a connu une accélération ces 10 dernières années. En France, ce ne sont pas moins de 19 réformes du droit des étrangers depuis 1996.

Ce durcissement est bien sûr lié à ce qui se passe dans le monde, qui inquiète et provoque un certain repli mais aussi, malheureusement à certaines stratégies politiques de polarisation sur certains sujets liés à la figure de l’étranger.

Entre 1990 et 2020, la part des personnes migrantes dans le monde a très peu progressé, seulement de 1 point en 30 ans. Toutefois, ce qui va marquer les esprits, c’est ce qui a été appelé « crise migratoire » en 2015, même si de nombreuses acteurs et actrices de la société civile parlent de préférence d’une crise de l’accueil. C’est l’arrivée plus importante qu’auparavant de personnes qui fuient des conflits, mais pas seulement, et qui viennent se présenter aux portes de l’Europe.

Peu importe finalement, si la majeure partie des personnes qui fuient se déplacent d’abord dans leur propre pays ou migrent dans les pays limitrophes. On préférera retenir l’imaginaire d’une Europe envahie, et par extension, d’une France débordée, indépendamment des chiffres, justifiant un certain nombre de contre-mesures mortifères. Je pense notamment aux 2000 km de clôtures et murs, aux refoulements des bateaux en mer, à la création de camps fermés pour étranger.ers ou encore à l’errance généralisée en Europe des personnes demandeuses d’asile en procédure Dublin.

En Europe, la France accueille peu, comparativement aux voisins et pas toujours dignement, contrairement aux déclarations. Par contre, elle précarise massivement les personnes étrangères, dénie leurs droits, fabrique des sans-papiers, discrimine, enferme, et bannit.

Une des expressions récentes du durcissement à l’œuvre est la dernière réforme du droit des étrangers, avec par exemple la disparition des catégorie protégées contre l’expulsion, par exemple les personnes malades ou encore les parents d’enfants français.

Comment lutter contre la dégradation des conditions d’accueil des personnes migrantes, quels moyens d’action ?

Peut-être rappeler que « les personnes migrantes » sont multiples, avec des situations administratives très diverses, et des « accueils » extrêmement variables. En tous cas, impossible par exemple aujourd’hui de parler d’accueil en préfecture, avec la dématérialisation à marche forcée des services publics, qui touche tout autant les personnes étrangères, que les Françaises et Français.

On l’a vu dans le rapport, concernant les personnes demandeuses d’asile même lorsque l’accueil est organisé par la loi, il peut être défaillant. 

Dans les moyens d’action, on pense donc d’abord à l’importance de rappeler les droits existants, les faire respecter, si besoin en faisant appel au juge national et international. Avec la limite d’un cadre légal qui se durcit.

Mais l’application du droit reste insuffisante, surtout quand on parle d’accueil des personnes étrangères, il faut aussi pouvoir communiquer, informer et sensibiliser autour de nous. Rendre la parole et donner la place aux personnes concernées. Ne pas laisser ces pratiques prospérer dans l’ombre, les dénoncer, les pointer du doigt.

Ne pas oublier aussi que la notion d’accueil déborde nos administrations et politiques françaises et concerne toutes les personnes qui habitent la France. De nombreuses initiatives, individuelles ou collectives, sont menées sur tout le territoire pour accueillir dignement, à l’opposé de certains discours haineux qui se banalisent. 

Il nous faut aussi renforcer nos réseaux, muscler nos collectifs et faire du lien avec d’autres luttes sœurs, tant elles sont proches.

Enfin, ce qui s’annonce ce n’est pas seulement une lutte pour faire respecter le droit, ou en tout cas une certaine idée de justice et de dignité, c’est aussi une lutte, pied à pied, contre un certain imaginaire trompeur, qui renvoie dos à dos les plus précaires et encourage le rejet et la violence. 

Bruno Retailleau a, dès sa prise de fonction, pris des positions extrêmement préoccupantes quant aux questions en lien avec l’immigration. Comment vos associations ont-elles accueilli ses propos ? 

Nous sommes nécessairement inquiètes quand un ministre de l’intérieur fait de telles déclarations. Les déclarations intempestives des ministres de l’Intérieur ne sont pas nouvelles, mais elles se sont multipliées ces dernières années surtout sur les questions liées à la migration, de même que la remise en cause de l’état de droit.

Et c’est en effet inquiétant, que de plus en plus de personnalités politiques expriment leur volonté de s’affranchir du cadre légal et constitutionnel qui aujourd’hui garantit encore, un certain équilibre et un certain respect de libertés et de principes fondamentaux et fondateurs de notre démocratie. 

Enfin, M. Retailleau s’est permis de pointer le travail des associations, notamment dans les centres de rétention. Il s’inscrit dans la droite ligne des attaques de plus en plus fréquentes et décomplexées à l’encontre des associations, qui pallient pourtant de plus en plus souvent la défaillance de l’État.