Militer, c’est bien. J’aime ça. Ma vie adulte est jalonnée d’engagements militants, à la fois communautaires et syndicaux. Et c’est rien de dire que j’y ai laissé quelques plumes au passage. On pourrait penser que les coups les plus violents sont portés par des ennemi·es politiques, mais ceux qui te mettent vraiment au sol, ce sont quand les attaques viennent de notre propre camp. Alors, le travail bénévole, est-il vraiment gratuit ? Il m’arrive de penser que son coût est pourtant élevé.
Friction est né en 2017. Je ne m’étendrai pas à lister les invectives reçues depuis. Je ne suis pas rancunière (si) et par ailleurs, haters gonna hate, je n’ai pas l’intention de donner l’heure à celleux qui pensent qu’on leur doit quelque chose. Ceci étant dit, c’est quelque chose qui donne à réfléchir.
La base même de l’engagement militant est d’être bénévole, désintéressé, gratuit. Ce qui implique que souvent, on fait souvent ce qu’on peut. Et toujours, je crois, du mieux qu’on peut. Il y a d’ailleurs, ces derniers temps, une tendance à inscrire le militantisme dans des logiques ultralibérales, faisant des appels à bénévoles des recrutements qui n’ont rien à envier aux pires entretiens d’embauche. Au lieu de se demander ce que veulent apporter les gens par leur engagement, ce dont ils ont envie, on attend des compétences précises, on fixe un volume horaire d’heures à effectuer, des critères pour remplir tel ou tel rôle. Je pense que nos milieux militants sont innervés par un esprit pseudo-entrepreneurial tout à fait à même de décourager les plus convaincu·es d’entre nous.
Et d’ailleurs, je ne compte plus mes proches écoeuré·es qui s’éloignent, alors même que le militantisme était quelque chose d’important pour elleux. Je crois qu’on ne le répètera jamais assez, le militantisme, c’est souvent quelque chose que l’on fait en plus. Parfois il s’agit de se battre pour vivre dignement, parfois dans l’espoir de faire advenir un monde autre. Militer, c’est penser que son action de fourmi s’inscrira dans un mouvement plus large qui transformera le monde. Mais iels sont peu nombreux·ses, les militant·es de métier, la majeure partie d’entre nous, nous militons sur notre temps libre. En plus de notre travail et de toutes les tâches du quotidien. Prendre part à l’action collective, avoir l’impression que je peux servir à quelque chose, si minuscules que soient les retombées de ces mobilisations d’ailleurs, c’est quelque chose d’important pour moi.
Pour autant, parfois, je sens que ça m’abîme et m’use. Parfois, j’ai juste envie de rappeler que j’ai passé des jours à écrire un article, à organiser des événements, lire des livres, écouter des podcasts, des mixtapes, des EP, voir des films sur mon temps libre, gratuitement, quand j’aurais pu chiller à la terrasse d’un bar avec mes ami·es en descendant des verres de prosecco. Je ne dis pas que notre travail militant est parfait : il est forcément perfectible pour cette raison-même qu’il n’est pas notre travail (lui-même perfectible, évidemment). Peut-être même que la visibilité accrue nous donne une certaine responsabilité, et c’est même au fond, quelque chose d’appréciable.
J’irai même plus loin : je ne suis pas la dernière à soulever tel ou tel désaccord de fond, telle ou telle divergence de point de vue politique. C’est comme ça qu’on avance et que se nourrissent la pensée et l’expérience. Mais enfin ? Les messages amers, les coups bas, les chicaneries pour l’emploi d’un mot au lieu d’un autre ? Que l’on sorte de certains échanges le ventre noué, la gorge serrée et même les larmes aux yeux ? N’est-ce pas cher payé pour un loisir ? De quel bois faut-il être fait·e pour accepter de payer un prix plus élevé que celui de notre travail salarié ?
Encore une fois, si les désaccords étaient politiques, si la violence venait d’ailleurs, pourquoi pas. Être le poil à gratter d’un système hétérosexiste et patriarcal (mais aussi, capitaliste, raciste, validiste…) mérite bien d’emmerder un peu les fachos et qu’ils nous le rendent allègrement. Mais les pires des querelles sont intestines, et c’est bien elles qui nous retournent le ventre. Au final, je les comprends, celles et ceux qui décident de s’éloigner du militantisme. Qui décident que la thérapie et les prescriptions d’anxios devraient être réservées au travail salarié. On a suffisamment à faire avec la société qu’on veut changer et qui nous broient. Il me semble qu’on pourrait peut-être éviter de s’abaisser à son niveau.
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