Cette période des législatives a été particulièrement éprouvante pour les minorités de ce pays. J’en veux pour preuve les agressions homophobes et transphobes ayant eu lieu ces dernières semaines mais aussi la montée des agressions racistes dans toute la France. Un phénomène parfois évoqué sur les plateaux télés et autres médias par les figures politiques du Nouveau Front Populaire, nous faisant bien comprendre que le seul rempart face à la montée du racisme, c’était eux. Car s’adjoignait au dévoilement de leur programme plein d’espoir la formulation d’une menace bien réelle : soit c’est nous, soit cette société aux idées rances et à la violence inouïe. Mais qu’est-ce que cet antiracisme « de campagne » a promis aux personnes racisées françaises ? Et surtout, ces promesses seront-elles vraiment tenues ?
Beaucoup de figures de l’antiracisme ont pris part sans la moindre hésitation aux mouvements militants du Nouveau Front Populaire. Ce fut le cas de Fatima Ouassak, autrice et militante écologiste, féministe et antiraciste. Malgré cet engagement rapide en faveur de l’union des gauches, elle rappelait également la nécessité de construire une auto-organisation au sein des quartiers populaires, ajoutant qu’il ne suffirait pas de se contenter d’appeler uniquement au vote. Les semaines s’écoulent, on finit par gagner de peu et pourtant, l’autrice écrit le 9 juillet que nous avons davantage assisté à un « barrage républicain » qu’à un « barrage antiraciste ».
Difficile de ne pas lui donner raison quand dès les premières semaines du Nouveau Front Populaire, plusieurs voix s’élèvent pour appeler à une ligne antiraciste moins timide de la part de cette coalition. Cela passe entre autres par un appel pour un front antiraciste populaire publié dans L’Humanité. Dans ce texte, militant·es, élu·es et allié·es rappellent la trop grande absence de mesures concrètes au sein du programme NFP. Sont ainsi évoquées la question de l’eau potable dans les DOM et ROM mais également la nécessité d’abroger les lois Darmanin et Cazeneuve.
Alors quel a été l’écho de ces revendications de la part de nos candidat·es fraîchement élu·es ? On craint que toutes ces exigences antiracistes se soient envolées dans la tornade politique des derniers jours. Féris Barkat, chroniqueur LCP et fondateur de Banlieues Climat, nous avait déjà alerté·es sur la façon dont la gauche parlait aux quartiers populaires pendant les campagnes électorales : « Avant toute chose, on devrait poser le regard sur cette violence symbolique, celle qui consiste à venir de nulle part et avec un ton moralisateur pour exiger le vote des banlieues et des premiers concernés ».
Une fois sur le terrain, encore plus difficile de fermer les yeux devant ce comportement typique d’une gauche parfois déconnectée de certains territoires. Il faut dire que les Convois de la victoire ont envoyé aussi nombre de militant.es et de citoyen·nes de gauche un peu partout. On y retrouvait des expériences et des affinités politiques parfois variées, ce qui était plutôt une bonne chose et une expérience très enrichissante pour tous·tes. Mais en tractant moi-même dans une circonscription de l’Oise où la moitié des électeur·ices avaient voté RN, j’ai découvert que le premier argument de certain·es d’entre nous était ce fameux barrage contre le racisme. À un jour seulement de la trêve électorale, pas le temps d’évoquer le programme : l’arme principale était l’inquiétude des personnes racisées et « leur vote émotionnel ». Un argument qui s’entend mais qui donnait le sentiment d’une « mentalité de berger » chez certain·es nouveaux·elles militant·es. Un argument, d’ailleurs, qui a été très vite contré par un habitant de la petite ville où je me trouvais. Cet homme noir a balayé mon discours anti-RN très rapidement par cette phrase : « je ne veux pas voter par peur. » Même s’il comprenait tout à fait le péril raciste que j’évoquais, il tenait à voter pour des idées et un vrai programme. Assez de barrage, assez de front républicain. Il m’a également rappelé qu’il en avait marre qu’on vienne le voir uniquement pendant les périodes électorales avec un grand épouvantail à la main, laissant sous-entendre que les personnes racisées de ce pays seraient des corbeaux qu’il faudrait effrayer jusqu’aux urnes.
Moi-même, je tractais un chouille plus par peur que par conviction et même si je croyais profondément au programme du NFP, j’avais du mal à ne pas comprendre son point de vue. Je comprenais ce qu’il signifiait et j’avais bien du mal à ne pas juger mes camarades de gauche de tous horizons qui évoquaient parfois les personnes racisées comme une masse à protéger, quand bien même nombre de personnes dans l’équipe de cette campagne avaient des origines étrangères, quand bien même nous nous battions chaque jour avec elleux depuis plusieurs semaines. Nous faisions partie de l’effort collectif, nos inquiétudes étaient parfois plus grandes que les leurs et aller tracter au sein de circonscriptions RN était particulièrement difficile pour nombre d’entre nous. Cette France-là me rappelait celle de mes vacances d’enfant, passées auprès de ma grand-mère dont les commerçant·es se moquaient de l’accent cambodgien. Ce sont des souvenirs douloureux, encore aujourd’hui. J’y ai reconnu les mêmes réflexes racistes, les mêmes regards méfiants, le même silence gêné quand on évoque le racisme.
Car lors de cette journée de tractage, j’ai entendu une parole xénophobe très libre, qui ne se cache plus ou ne s’est peut être jamais cachée. Et même dans ma position de petit parisien eurasien, difficile de ne pas se sentir bête lorsqu’on évoque le racisme montant face à des personnes racisées vivant là toute l’année. « Mais oui, il y a beaucoup de racisme ici, nous le savons bien » m’a dit un vieux monsieur d’origine asiatique, son regard se plongeant dans le mien avec un air complice. Mais au final, non, nous ne le savons pas bien. Lui, oui mais moi seulement en théorie, habitant une ville qui tape du 70% pour la gauche aux législatives. Et peu importe la nouvelle composition de cette Assemblée, cela ne changera probablement rien aux propos ignobles de son voisin que j’avais entendus quelques minutes plus tôt. Ces personnes vivent dans cette France-là, avant, pendant et après les législatives. Cette réalité ne doit pas sortir de nos esprits après cette victoire. L’antiracisme a été mis en échec depuis longtemps et des élections ne feront pas bouger ce constat. Il va falloir faire mieux et se mobiliser plus.
Nous devons garder à l’esprit la façon dont le racisme nous atteint tous·tes d’une façon différente, racisé·es de grandes villes, de quartiers populaires ou ruraux. J’ai beaucoup entendu la gauche évoquer la reconquête des campagnes, dans un discours souvent empathique avec le vote d’extrême-droite qui y monte. On en pense ce que l’on veut, de cette position, mais je crois sincèrement qu’il ne faut pas oublier aussi que les personnes racisées font partie de ces gens délaissés et désabusés, de ces personnes exploitées par le capitalisme mais aussi par l’ordre racial. Celles-là sont doublement punies, subissant en plus la discrimination de personnes issues de la même classe sociale qu’elles, vers qui elles devraient avoir la possibilité de se tourner et créer une solidarité. C’est aussi à ces gens-là qu’il va falloir s’adresser, ceux qui se mobilisent quand même dans les urnes pour se protéger eux et non pas des postes de député·es de gauche. Beaucoup de personnes de notre frange politique ont parfois l’air de faire un travail immense pour comprendre voire excuser le vote raciste là où celui du vote désabusé et inquiet du·de la français·e racisé·e est très rapidement oublié lorsqu’on n’a pas besoin de l’instrumentaliser en période électorale.
Aujourd’hui, je crois que beaucoup de militant·es antiracistes craignent la compromission. On s’inquiète lorsque l’on voit cette séparation faite entre « les ouvriers » et les « quartiers » qui revient dans certaines bouches. Pourtant, nos parents et grands-parents se sont tués la santé en construisant ce pays, en le faisant marcher. On s’inquiète lorsqu’on voit un Hollande faire son retour à l’Assemblée et qu’on se souvient des violences policières qui ont eu lieu sous son mandat. On s’inquiète lorsqu’on voit que le keffieh de Rima Hassan peut créer la polémique chez certaines personnes de notre camp. Nous avons bien conscience qu’une partie de la gauche est prête à diluer sans hésitation un peu de son antiracisme déjà trop timide pour quelques voix potentielles. Pourtant, ce que nous a bien enseigné l’ère macroniste, c’est que céder du terrain aux idées d’extrême-droite ne fait qu’alimenter le RN. Nous ne devons pas bouger d’un pouce quant à nos convictions antiracistes, non seulement par allégeance à nos idéaux mais par allégeance à ces personnes que nous prétendons tant défendre face à un RN de plus en plus puissant. Ces personnes qui sont bien là, bien présentes et qui militent sur le terrain sans qu’on les invite suffisamment à prendre le devant de la scène. Plus que jamais, nous avons la chance d’avoir un mouvement antiraciste fort, pluriel, expérimenté, révolté, nourri d’intellectuel·les et de militant·es porteur·euses d’espoir. Il est du devoir d’une gauche plus blanche, celle-là même qui est entrée à l’Assemblée comme le rappelait à juste titre Rokhaya Diallo, de travailler avec elle, de demander son expertise sur les dossiers urgents qui nous concernent en premier lieu.
J’ignore si nous avons gagné cette campagne grâce à la peur ou grâce à l’espoir d’un programme social. Ce que je sais, c’est que la crainte ne permettra pas indéfiniment de mobiliser les personnes racisées les plus éloignées de la vie politique. Plus que jamais, il va enfin falloir les regarder, sans jugement et sans moralisme, les comprendre et les inviter à prendre part à une lutte qui ne doit plus se faire sans elleux.