1441 aka Karim est un artiste basé à Rennes. Il vient de dévoiler le clip de « Mandatory Happiness » dans lequel on voit évoluer la ballroom scene bretonne. Les bénéfices du morceau, à prix libre sur bandcamp, seront reversés à l’association Acceptess T qui oeuvre pour les droits des personnes trans.
Salut Karim, est-ce que tu peux nous parler de ton parcours en tant qu’artiste et te présenter un peu ?
Alors avant de me lancer dans la musique électronique, j’ai joué dans plusieurs groupes de musique plutôt orientés post-hardcore et noise, et je n’avais jusqu’à récemment pas vraiment d’attrait pour la techno, même si j’ai retrouvé sur une des vieilles cassettes, sur lesquelles j’enregistrais des émissions de radio au collège, un tube trance des années 90 à savoir Lost In Love de Legend B. Et c’est à l’occasion d’un festival de musique électronique en 2019 que le déclic concernant la techno s’est fait. C’est sans doute le moment où j’ai compris, d’un point de vue sensible, le tissage entre la musique techno, la fête, un certain rapport collectif à la musique et à la trance. Car je pense que pour rencontrer certains styles de musique il faut parfois une disposition, une ouverture, qui peut dépendre d’un contexte, d’un espace-temps favorable. Et suite à ça, j’ai commencé à creuser pour comprendre l’histoire de la techno, les différents sous-genres notamment. Puis à l’occasion du premier confinement j’ai débuté l’apprentissage du DJing. Rapidement j’ai eu envie également de produire pour donner plus de place à la créativité, experimenter, et pouvoir jouer des morceaux qui sans doute me ressemblent plus. Et c’est presque instantanément devenue une sorte de passion dévorante, à la limite de l’obsession, car les possibilités sont littéralement infinies et recouvrent de nombreux savoir-faire différents, des domaines à appréhender en parallèles, tels que le sound design, le mixage, en plus de la composition. À peine avais-je finis mon premier morceau, que naïvement je l’ai envoyé à plusieurs labels un peu partout en Europe, et j’ai eu une première réponse positive, ce qui est extrêmement encourageant quand on débute. Puis j’ai continué ainsi à découvrir, apprendre et en même temps sortir des morceaux ou EPs sur différents labels français ou européens, faire de la scène et comprendre un peu mieux ce milieu musical.
Pourquoi as-tu choisi de monter ton propre label, Hemca records?
Il y a plusieurs raisons qui nous ont amené à monter notre label – on est deux pour l’instant. La première est sans doute l’envie de pousser une certaine vision de la musique techno. Qui va à la fois recouvrir les différents styles qui nous parlent, mais aussi y lier intimement une éthique, du sens, finalement mettre de la politique dans la musique, à l’instar d’autres collectifs ou labels. Par exemple sur les questions de représentations dans la musique. Le milieu de la techno, comme partout ailleurs, est empreint des mêmes biais sexistes ou homophobes par exemple, et qu’on le veuille ou non, une structure tel qu’un label prend un parti en mettant en avant certain.e.s artistes. C’est pourquoi, sans que ce soit une ligne précise pour Hemca Records, le label, rentrent en compte en plus du côté artistique « pur » des facteurs comme celui-ci dans ce qu’on veut proposer. Tout comme pour l’instant la plupart des sorties prévues seront caritatives, une autre manière concrète d’appuyer notre vision de la musique, et de soutenir des causes qui nous sont chères. Ensuite il y a aussi l’envie de se faire plaisir en faisant des sorties regroupant des artistes qu’on adore, mais également sortir de jeunes artistes en essayant de construire un réel partenariat, de vraiment essayer d’accompagner et mettre les artistes au centre. Et enfin, d’un point de vue plus personnel, l’envie de plus d’autonomie dans mes propres sorties, avoir plus la main sur la direction artistique et la temporalité par exemple.
Parles-nous de « Mandatory Happiness » quel message cherches-tu à faire passer par le biais de ta musique ?
Globalement ce que je cherche à faire passer à travers ma musique part toujours du même postulat qui est que je considère la techno comme une musique de danse et de fête. Donc un morceau que je fais doit me donner envie de danser, c’est une condition sine qua non. Et comme je lie ça également à la fête j’y rattache plutôt des émotions joyeuses, quand bien même la techno peut aussi être nostalgique, triste, rageuse, finalement peut recouvrir toutes sortes d’émotions. Mais ça doit rester énergique dans son rapport à l’émotion proposée. Le plus souvent la techno est une musique sans discours, car instrumentale, et a donc pour seul discours son titre. Ici le titre de ce morceau parle de l’injonction au bonheur, qu’on retrouve partout, du simple « salut, ça va ? » qui déjà oriente et ferme la réponse sur une positivité, aux réseaux sociaux qui montrent presque uniquement une version merveilleuse de la vie.
Comment s’est faite la collaboration avec TechnoGermany ?
La collaboration avec Techno Germany s’est faite assez simplement car j’avais sorti un morceaux ce printemps sur leur compilation « Rising Artists » et donc le contact était déjà là.
Tu as choisi de reverser les bénéfices du morceau à Acceptess T. Pourquoi ? Comment cela va-t-il se passer concrètement ?
Le choix de reverser les bénéfices du morceau à Acceptess-T s’est fait presque en même qu’a été formulée l’idée du clip et son contenu. Je connais l’association depuis pas mal d’années, dont Giovanna Rincón la co-fondatrice, et trouve que cette asso fait un super taff, entre autre au près des personnes Trans en prison, ou des TDS. Et vue l’histoire de la scène ballroom, initiée entre autres par des personnes Trans, ça faisait un sens global avec le clip. Concrètement on leur fera un simplement virement quand on aura fait suffisament de vente du morceau, disponible à prix libre sur bandcamp, qui sera renouvelé dès que nécessaire.
Dans le clip, on peut voir des membres de la ballroom scene de Rennes. Pourquoi cette visibilité est-elle importante ?
Si on parle des personnes queers en général, la scène ballroom est historiquement constituée principalement des minorités au sein même de la minorité queer (personnes trans, queers de couleur, séropositives, TDS). Donc dans une communauté, je considère que parler de lutte ou de soutien ne vaut vraiment que si on prend en considération les franges les plus marginalisés de cette même communauté. Disons que cela est pour l’aspect politique. Concernant l’aspect artistique, je connaissais déjà des personnes de la scène rennaise, et on s’est rencontré avec toutes les personnes qui sont dans le clip pour parler du projet sur lequel tout le monde à embarqué directement. Et ça permet de lier de manière organique un sujet politique et sensible à la danse.
Que penses-tu de la scène queer et underground bretonne ? Quels sont les enjeux militants actuels ?
La scène Queer et underground bretonne est très forte et très riches, depuis longtemps et se renouvelle beaucoup, en étant aussi plus visible, plus présentes dans différents milieux. Même si il m’est difficile de donner un avis général car on ne voit les choses qu’à travers sa propre œillère. Les enjeux sont à la fois externes et internes. Les enjeux externes vont concerner par exemple tous les blocages pour une égalité de droit qui vont de pair avec la montée de l’extrême droite ou encore la psychiatrisation des personnes trans. Et plus en internes, les problèmatiques d’intersectionnalités, à savoir le croisement entre les enjeux de classe sociales, de genre, d’orientation sexuelle et de race.