Alors qu’Israël bombarde Gaza depuis presque deux mois, les mobilisations en France se multiplient. En leur sein, des voix LGBTI et féministes se font entendre en soutien au peuple palestinien. Qu’est-ce qui pousse des collectifs queers et féministes à s’investir sur cette question ?
La question palestinienne : un sujet naturel pour de nombreux collectifs militants
Si la question palestinienne est souvent discutée au sein du milieu militant de gauche, les attaques du 7 octobre ont poussé de nombreux collectifs à réaffirmer leurs positions politiques sur le sujet. « On a commencé à parler de tout ça très rapidement, en allant dans les rassemblements à Paris comme dans d’autres villes. » expliquent les militantes de l’Assemblée féministe transnationale. Un collectif qui se dédie à l’auto-éducation et la transmission du savoir des luttes du monde entier. Le groupe s’est formé à la suite du soulèvement iranien « Femme, vie, liberté », où les féministes et queers étaient déjà très présent·es. « On a réfléchi à un texte qui s’appelait “Appel à rejoindre les mobilisations contre le génocide en cours”, contre l’islamophobie et contre l’antisémitisme. Un texte sur lequel on est beaucoup revenu parce que dès le départ, il y a eu la guerre des mots, des lexiques, des postures. »
Un climat politique tendu qu’elles ne sont pas les seules à avoir ressenti. « On a constaté un silence gêné de la part des organisations féministes et queers » déplore Sasha, militante chez Du Pain et des roses, collectif féministe, LGBT et révolutionnaire animé par des militantes de Révolution permanente. « Malgré quelques tweets de Fatima Ouassak et un billet de blog de Mona Chollet, les deux premières semaines qui ont suivi le 7 octobre il était difficile de trouver de vrais positionnements quant aux bombardements de Tsahal qui tuent des milliers de civils. »
Très tôt, le collectif s’implique dans les réunions hebdomadaires d’Urgence Palestine. Elles publient également une tribune, l’occasion pour elles de rappeler que la Palestine est une question féministe et que la lutte contre le patriarcat nécessite de lutter contre l’ensemble des oppressions, au nom d’un héritage militant anti-impérialiste et anticolonial. Cette tribune a reçu plus de cent signatures, aussi bien de personnalités féministes et LGBTI que d’organisations queers. Parmi elles, Les Inverti·es, collectif communiste trans pédé gouine. Elleux aussi ont exprimé leur soutien au peuple palestinien à travers un communiqué sur Instagram publié dès le 11 octobre. Un texte qui désirait revenir sur le contexte historique et politique de la situation. « La question de la libération des peuples a toujours fait partie de notre discours politique. Ce qu’il s’est passé est un fait en lien avec 75 ans de colonisation de la Palestine, il faut prendre tout ce qui se passe dans ce contexte-là. »
Une présence qui dérange
Ces collectifs manifestent depuis plusieurs semaines tous les samedis suite aux appels d’Urgence Palestine. Une présence qui peut soulever des vives réactions comme celle de Fiertés Citoyennes, un groupe jusque là quasi-inconnu, qui se revendique d’un militantisme LGBT « républicain » et qui a saisi cette occasion pour publier une tribune… dans Marianne intitulée « LGBT pro-Hamas : autant dire « les dindes votent pour Noël » ». Nombreuses organisations et militant·es LGBTI ont fait usage de leur droit de réponse, un texte dont Les Inverti·es sont d’ailleurs signataires.
Pourquoi certain·es personnes LGBT défendent autant les actions d’Israël, allant jusqu’à fermer les yeux sur ce qu’il se passe à Gaza ? Pour les Inverti·es, cela s’expliquerait par une montée généralisée de l’homonationalisme et une stratégie de pinkwashing de plus en plus importante venant du gouvernement israélien. « Les LGBT sont vu·e·s comme un signe de modération d’un État moderne et démocratique. Face à ça, les Palestinien·nes seraient des barbares homophobes. Et malheureusement, l’opinion de certains groupes LGBT tombent dans ce jeu de propagande. Quand on enlève le côté colonial de ce qu’il se passe en Palestine, on peut tomber dans des discours comme “les Palestiniens sont homophobes, les LGBT sont tués en Palestine, donc on est contre la Palestine, donc on est avec Israël”. On vide de sens la raison de cette guerre ».
Ainsi, cette photo d’un soldat israélien posant dans un champ de ruines à Gaza avec un drapeau arc-en-ciel où est inscrit « In the name of Love ». Une image partagée par le compte Twitter officiel du gouvernement israélien. « Ce qui fait partie de cette propagande, c’est aussi l’idée que les queers palestiniens n’existeraient pas parce que le Hamas, parce que l’homophobie. On trouve ça important de visibiliser la communauté LGBT, en relayant le plaidoyer de Queer Palestine qui demande de boycotter, de hausser la voix pour dire qu’ils existent et se lever pour la libération de la Palestine » explique Les Inverti·es.
Au sein des mouvements féministes, le débat fait tout autant rage. Plusieurs personnalités ont par exemple signé une tribune appelant à qualifier l’attaque du sept octobre perpétrée par le Hamas comme un « féminicide de masse ». Sasha de Du Pain et Des Roses, qui rappelle sa condamnation des exactions commises sur les civils lors de l’attaque du Hamas, souligne le danger d’une instrumentalisation de la lutte contre les féminicides de la part de militantes qui défendent la politique de l’Etat d’Israël et n’ont pas un mot pour les Palestiniennes. Elle revient également sur la date de publication de cette tribune : « Elle est publiée un mois après le 7 octobre, alors qu’un génocide est en cours à Gaza, et sans en dire un mot. En ce moment, on assiste en Palestine à une destruction des hôpitaux, un déplacement des civils, des quartiers entiers réduits en cendres. Pourquoi se focaliser sur les morts d’un seul camp ? Pour moi c’est vraiment une tentative de susciter de l’empathie pour un seul camp, pour dire qu’une vie compte plus que celle des autres. »
Malgré ce positionnement déjà affirmé dans leur premier communiqué, Du pain et des roses a fait l’objet d’accusations d’antisémitisme suite à la manifestation du 25 novembre, tout comme Nous Toutes qui subit une vague d’harcèlement massive depuis le rassemblement, prenant parfois la forme de menaces de viols. Les accusations sont liées à la mise à l’écart d’un cortège muni d’une banderole « Violées, mutilées, tuées par le Hamas. Qu’attendez-vous pour condamner et agir ? »
« On est beaucoup à entendre dans les collectifs de gauche que la parole aurait pu être plus massive et plus récurrente sur les violences commises par le Hamas. » racontent des membres de l’Assemblée féministe transnationale. Toutefois, elles évoquent aussi la pression qui est exercée sur les militantes sur le sujet : « Évidemment on est contre les massacres, contre les atrocités commises le 7 octobre, mais nous sommes aussi pour les résistances palestiniennes, réduites au Hamas dans le discours mainstream, ce qui est loin d’être la réalité. Il y a eu cette guerre lexicale et il aurait fallu presque répéter tous les jours qu’on pleurait les victimes israéliennes pour être considérées comme audibles. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un contexte de colonialisme qui existe depuis 75 ans, et désormais dans un processus génocidaire avancé. Les gouvernements en Israël sont de plus en plus atroces, d’extrême-droite et suprémacistes. Durant la trêve qui vient de s’achever, il y a eu des centaines de morts et de nouvelles arrestations arbitraires en Cisjordanie et on n’entend presque rien à ce sujet dans les médias. Pourquoi ? Nous accuser de ne pas prendre en compte les israélienNEs revient souvent et surprend, paralyse encore le corps de lutte : ce qui nous prouve qu’à gauche, nous sommes moins éduquées à l’historique de la lutte pour la paix et la justice en Palestine qu’on ne le pense, lorsqu’il s’agit de contre-discours et de capacité d’anticipation à faire face à la propagande. Cela nous enferme dans une dynamique de réaction. On devrait savoir que c’est une habitude de la droite de nous attaquer sur ce sujet pour bloquer toute capacité d’action et de réflexion. »
Le collectif revient également sur l’identité des personnes se présentant comme organisateurices du cortège écarté du rassemblement : « Le reste du temps, ces personnes ne sont pas féministes, il suffit de voir leurs réseaux sociaux. À aucun moment elles ne parlent non plus des atrocités commises par l’État israélien, elles ne parlent pas de pinkwashing, de toutes ces personnes queers palestiniennes qui ont été menacées, poussées à être des taupes dans leurs propres peuples. ». La manifestation du 25 novembre s’est par ailleurs déroulée dans un contexte tendu, où les militant·es craignaient la venue de groupes d’extrême droite et au sein des manifestantes écartées du cortège, plusieurs disent avoir vu des personnes membres de la Ligue de défense juive, un groupe qui jouait les services d’ordre pour Marine Le Pen lors de la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre et qui a passé à tabac un cycliste ayant invectivé la présidente du RN. Cette présence ayant fait l’objet d’alertes depuis la veille, mentionnant même le risque d’armes blanches, les collectifs étaient sur le qui-vive créant une ambiance de peur, conduisant les forces de l’ordre à écarter le cortège.
Mais le soutien au peuple palestinien fait aussi l’objet d’une répression de l’État lui-même, notamment avec plusieurs interdictions de manifester dès le début de la lutte. Sasha explique que le problème persiste : « Des autorisations sont données à des organisations nationales mais quand des associations plus petites ou le NPA essaient de déposer des parcours de manif, c’est tout de suite interdit par la préfecture ».
La répression s’est également illustrée par l’arrestation et l’expulsion de Mariam Abu Daqqa, une militante féministe palestinienne ou tout récemment, l’annulation par la mairie de Paris d’un évènement porté par Tsedek!, collectif de juif·ves décoloniaux·ales luttant contre l’occupation. Une politique d’interdiction qui s’inscrit dans un continuum répressif adopté par le gouvernement français depuis un certain moment, comme le rappelle Les Inverti·es, que ce soit contre les Gilets jaunes, la mobilisation pour Nahel M. et bien d’autres encore. Le collectif juge également que l’État français encourage une vision binaire, avec seulement deux camps : « Soit on est avec Israël, soit on est avec le terrorisme et avec l’antisémitisme. Il y a aussi des partis politiques qui, lorsqu’ils ont partagé des communiqués, ont été accusés d’apologie du terrorisme, parce qu’ils ont pris des positions contre la colonisation.» Les Inverti·es soulignent aussi que les macronistes semblent surtout suivre l’opinion qui les arrangent, avec un soutien à Israël se disant « inconditionnel » de Yaël Braun-Pivet, avant qu’elle ne le nie quelques jours plus tard. « Ils commencent à changer d’avis grâce à la pression sociale et à la situation à Gaza qui peut se définir comme un génocide. La succession des événements est assez marquante, où tant que le discours dominant va dans le sens du conservatisme, on peut réprimer les manifs et les luttes. Dès qu’on sent qu’il y a un basculement dans le discours dominant, là on autorise les manifs. Mais je ne pensais pas ne pas pouvoir manifester pour la liberté d’un peuple un jour. »
En plus de la répression de l’État, Les Inverti·es ont dû également faire face à la suspension de leur compte Instagram suite à leur communiqué en soutien au peuple palestinien. Depuis, leurs stories et leurs posts sont shadowban, c’est-à-dire invisibilisés par l’algorithme du réseau social. Une situation dans laquelle se retrouvent de nombreux militant·es. « Ça aussi rentre dans le système d’oppression de l’opinion que le gouvernement et les entreprises soutiennent. C’est un problème marquant, qui nous pousse à se demander comment lutter contre ce système autrement aussi. » affirment Les Inverti·es. Encore une fois, la rue et les manifestations semblent être indispensables pour se faire véritablement entendre.
Ne pas lâcher
Depuis plusieurs semaines, L’Assemblée Féministe Transnationale et Les Inverti·es participent à l’Assemblée générale internationaliste, qui dispose notamment d’un pôle féministe LGBT. Après une action au Pont des Arts qui visait précisément le pinkwashing d’Israël, ils espèrent poursuivre leurs efforts : « la lutte continue tant que cette colonisation perdure. »
Du pain et des roses espèrent une massification de cette lutte qui viendrait également contrer cette volonté de la criminalisation du mouvement en soutien à la Palestine: « Il faut que le mouvement touche la jeunesse, le mouvement ouvrier, le mouvement écologiste. » exprime Sasha. « Il faut montrer qu’il existe un féminisme qui se positionne contre la colonisation mais aussi la coopération des puissances comme les États-Unis, la France, l’Allemagne qui offre un soutien politique et/ou militaire très important. » Le collectif est heureux du cortège commun mené avec Urgence Palestine au sein de la manifestation du 25 novembre, conduisant à l’intégration d’un discours féministe mais aussi anti-impéraliste au sein d’un tel rassemblement.
« Tous les groupes féministes du monde entier ont eu la même démarche » explique d’ailleurs l’Assemblée féministe transnationale, en contact avec de nombreux mouvements féministes, qu’ils soient à Berlin ou en Amérique latine, par exemple. « Ils ont eu le désir de montrer que le courant féministe est anti-colonialiste et anti-impéraliste et que c’est le moment où il faut faire poids, créer des discussions, voir ce qu’il se passe chez les unes et chez les autres. ll y a vraiment des liens qui se créent pour diffuser les mots d’ordre et montrer que c’est un mouvement global qui se met en place. » Un effort que le collectif aimerait être également local, jugeant que les mouvements féministes œuvrant ailleurs qu’à Paris mériteraient d’être davantage inclus dans les discussions militantes. Elles évoquent aussi la nécessité de se faire relais des Palestinien·nes qui luttent mais également de pointer la complicité française.
Après un cessez-le-feu déjà compromis, la mobilisation des collectifs queers et féministes nous invite à ne pas cesser l’effort collectif, aussi bien en tant qu’organisations politiques qu’individuellement.
Car la question palestinienne est depuis longtemps un exemple criant de rapports coloniaux qui perdurent à travers le monde et sur lesquels la gauche militante est depuis toujours engagée. Les collectifs féministes et les LGBTI d’aujourd’hui ne font pas exception et rappellent que nos communautés méritent et doivent être de toutes les luttes.