Rencontre avec une « journalope » : Camille Emmanuelle

Camille Emmanuelle est journaliste pour de nombreux supports, comme les Inrocks, Brain Magazine ou Le Plus du Nouvel Obs. Elle est également l’auteure de Paris couche toi là et plus récemment de Sexpowerment paru en avril dernier aux éditions Anne Carrière. Elle y évoque, entre autres,  la masturbation, le clitoris, les travailleur.se.s du sexe, les féministes.  Elle a co-créé « La Chose, revue pop porn » (avec Brain Magazine) que l’on peut trouver dans toutes les bonnes librairies à partir de jeudi 26 mai. Rencontre. 

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Vous avez choisi d’adopter l’épithète de journalope que vous a attribué un jour un hater sur Twitter. Vous faites quoi exactement dans la vie ? 

Oui, on ne remercie jamais assez les membres de la fachosphère pour leurs néologismes ! Celui-là m’a été attribué suite à un reportage que j’ai fait sur la Manif Pour Tous. Dans la vie je suis auteur et journaliste. J’écris principalement sur la culture érotique, la culture porn, les sexualités, le genre, et les féminismes.

Vous écrivez et avez écrit pour de nombreux supports mais il semble que le point commun à vos écrits est la volonté de redonner leurs places aux questions en lien avec les sexualités ? Comment en arrive-t-on à se spécialiser sur ces questions-là ?

Alors que je bossais dans une agence artistique, j’ai commencé à écrire il y a six ans pour un petit site, Lorenzo de Paris, sur la culture érotique. Je lisais à l’époque sur le web beaucoup d’articles sur le sexe, mais peu de choses la culture du sexe : les films, les livres, les expos, les lieux parisiens historiques, les lieux actuels les personnalités, etc liés aux sexualités. J’allais interviewer un acteur porno des années 70, comme je parlais de dessin érotique ou encore de soirées fetish parisiennes. Donc j’ai écrit ce que je voulais lire, haha ! Puis j’ai de plus en plus parlé de culture porn, de sexualités alternatives, mais aussi de sujets politiques, comme les travailleuses du sexe ou bien les nouveaux réacs.

Vous rédigez un ouvrage résolument féministe mais dont le ton reste léger et accessible. Pensez-vous que le message des féministes sex-positives reste encore trop peu entendu, trop confidentiel ?

Oui. J’ai eu la chance de lire des auteures sex-positives nord-américaines, lorsque j’étais étudiante au Canada il y a 15 ans (putain le coup de vieux…), puis de rencontrer ensuite des féministes françaises sex-positives, comme Ovidie, Emilie Jouvet, ou encore Louise de Ville, mais c’est vrai que c’est une pensée peu médiatisée, et peu connue du grand public, en France. D’où mon livre, qui n’est pas un ouvrage de spécialiste, mais qui se veut accessible à toutes et tous.

Le titre de votre ouvrage est formé de la contraction de « sex » et « empowerment ». Votre but est-il de dire que l’émancipation passe par une démarche forcément sex-positive ? 

Non, je ne dis pas qu’il faut être sex-positive à tout prix. Encore moins qu’il faut être d’accord avec toutes mes idées ! A ce propos j’ai reçu un très beau mail, d’une lectrice, qui était en accord avec ma pensée sur le corps et les sexualités, mais en désaccord profond avec celle sur la prostitution. C’était intéressant son message, car sa réflexion était liée à son parcours personnel (sa grand mère était prostituée, et elle était abolitionniste), comme la mienne est liée aux reportages de terrain que j’ai fait, où j’ai rencontré des travailleuses du sexe. Mais pour répondre à votre question, je défends en effet l’idée que l’émancipation passe par un discours sur le sexe libéré des injonctions médiatiques ou religieuses. On doit sortir du « il faut » (être une femme bien comme il faut mais jouir trois par jour, être chic mais naturelle, être désirable mais pas trop désirante), pour aller vers le « on peut » (connaître mieux son corps et son sexe, coucher le premier soir sans être traitée de fille facile, explorer la sexualité dans toute sa richesse, jouer avec le genre au sein du couple, etc)

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On pourrait s’étonner du sous-titre (« Le sexe libère la femme (et l’homme)») ainsi que du rose de la couverture… Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce que cela relève d’un choix de votre part ?

C’est drôle, c’est la première interview où l’on me parle du sous titre ! Enfin ! C’est un clin d’œil à une pub des années 60, « Moulinex libère la femme ». Mais personne ne l’a relevé. Ce clin d’œil était une façon de dire qu’aujourd’hui, c’est plus le discours sur le corps, le sexe, et les féminismes, qui vont libérer les femmes. Pas les robots-mixeurs.

Quant à la couverture rose, sachez qu’au départ elle l’était encore plus ! Mais suite à une discussion avec mon éditeur on l’a « dérosifiée ».

Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la naissance de La Chose ?


La Chose, c’est une revue pop, porn et queer, que nous avons créé, avec Anais Carayon et Josselin Bordat, de Brain Magazine. L’idée a émergé il y a deux ans, après plusieurs pintes en terrasse, et on pourrait la résumer ainsi: « Mais bordel, il n’y a aucune revue de qualité qui parle de sexe, de porno, hétéro, gay ou lesbien, qui soit à la fois drôle, originale, excitante, et intellectuellement bandante! » Donc voilà, après deux années de travail intense (et de rire aussi, faut pas déconner) pendant lesquelles on a rassemblé des auteurs, des journalistes, des illustrateurs et illustratrices, et des photographes, la revue, éditée par Michel Lafon, sort en librairie le 26 mai. On est dans le mélange des genres: peut aussi bien y lire un texte universitaire sur le gode-ceinture, comme une citation « poétique » d’Afida Turner sur le désir. C’est un projet ambitieux, et j’oserais même dire courageux (comme il y a des images explicites, on est interdits à la vente aux moins de 18 ans), dont on espère qu’il rencontrera son lectorat, pour faire des Choses numéro 2, 3, 4, etc. Car ce n’est pas comme si les sujets et les images, inédits et de qualité, sur le sexe et le porno, manquaient.

 

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