Au gré de mon propre cheminement vers la sobriété, j’en suis venue à considérer la DJ Louisahhh comme un role model incontournable. Icône lesbienne de la scène techno française, l’Américaine avait sorti il y a deux ans quasiment jour pour jour son premier album The Practice of freedom. C’est de cette liberté qu’elle a trouvée dans l’abstinence et la sobriété que j’ai voulu parler avec elle.
Tout d’abord, bien sûr, je tiens à redire que je me sens vraiment chanceuse de pouvoir avoir cette discussion avec toi et je t’en remercie. J’ai toujours perçu ton nom de scène comme un cri. Est-ce le cas ? Et si oui, est-ce que tu peux nous parler de toutes ces choses que tu dois extérioriser ?
Ta perception est la bonne, bien que je suppose que le « AHHH » pourrait aussi être un soupir de soulagement ou un faible grognement. Je ne suis pas sûre que nous ayons le temps de parler de toutes les choses que je dois faire sortir, mais j’espère canaliser quelque chose qui me semble réel et vrai dans mon travail et je trouve qu’actuellement, il y a beaucoup de choses à dire.
Je voulais te parler parce que tu es un modèle pour moi : je dois prendre soin de moi et arrêter de consommer des substances et c’est un chemin que tu as déjà emprunté. Comment fais-tu pour continuer à te rendre dans des soirées qui sont aussi des lieux d’excès alors que tu es sobre ?
Je suis flattée que tu me considères comme un modèle et je vais essayer de faire honneur à cette position. Je ne peux parler que de mon expérience personnelle en matière de désintoxication, qui peut être différente pour tout le monde, mais ce truc m’a permis de rester clean, sobre et (surtout) saine d’esprit depuis 2006, lorsque les drogues détruisaient activement mon corps, mes relations, mes ambitions et mon estime de soi. Voilà ce qui a fonctionné pour moi :
Je participe activement aux réunions en 12 étapes [douze étapes du programme des Alcooliques Anonymes, ndlr].
J’ai centré ma vie quotidienne sur le fait que mon objectif premier est de rester sobre et d’aider d’autres alcooliques ou toxicomanes à le devenir. Tout le reste est secondaire.
Je sors dans un but précis : pour faire mon travail, pour me rapprocher d’amis ou de collègues, pour contribuer à la bonne ambiance d’un club ou d’une fête. Si je me sens mal ou si je n’ai pas de bonne raison d’aller quelque part, je n’y vais pas. Rien dans ce monde ne vaut la peine de risquer mon rétablissement.
J’ai été en cure de désintoxication pendant les neuf premiers mois de mon rétablissement et cela m’a été très utile pour me montrer qu’il était possible de vivre sans drogue ni alcool. Je ne suis pas sûre que j’aurais été capable de le faire par moi-même, surtout à ce moment-là de ma vie. Cela m’a aussi aidée à clarifier de manière très nette pourquoi la vie nocturne était importante pour moi (en dehors du fait de me défoncer), et à apprendre à vivre d’une manière qui s’aligne sur ces nouvelles valeurs que j’essayais d’incarner (principalement pour sauver ma propre vie). Bien que je réalise que la cure de désintoxication n’est pas une option pour tout le monde, je pense qu’il est important de souligner que, quelle que soit votre situation, il est normal de ne pas sortir dans des endroits où il y a des drogues et de l’alcool, surtout au début de la sobriété, lorsque tout est tentant. Les nouvelles habitudes de rétablissement prennent du temps à se former. Soyez doux avec vous-même. Si quelqu’un se bat contre la dépendance ou l’alcoolisme et a besoin de conseils, mes DM sont ouverts.
Ton album s’appelle The Practice of freedom : comment atteindre la liberté lorsque on évolue dans des environnements avec autant de contraintes que le monde de la nuit ?
Je suppose que je ne limite pas ma liberté au monde de la nuit. En abandonnant les comportements ou les substances qui me volent mon âme et ma volonté sans mon consentement, j’ai eu accès à de nouveaux modèles et à une plus grande profondeur de la vraie libération. La question qui se pose alors est la suivante : « Jusqu’à quel point voulez-vous être libre ? » L’abandon, hélas, ne se fait pas d’un seul coup.
La sobriété est punk à souhait
C’est un album aux influences très punk : parles-nous de ce qui t’inspire… Ta musique a-t-elle évolué avec les choix de vie successifs que tu as faits ? Aime-t-on et fait-on la même musique en étant sobre ou non ?
La sobriété est punk à souhait. Je pensais que ma vie devrait devenir plus étriquée et que je devrais être ennuyeuse et tranquille si j’arrêtais de consommer, mais en fait, cela m’a forcé à vivre dans l’intégrité sans anesthésie. Cela m’oblige à vivre selon les conditions de la vie, ce qui exige du courage et de l’honnêteté : mes propres conneries vont me tuer. Je suppose que musicalement, cela a donné un son beaucoup plus féroce et brut, et ce progressivement : plus je reste sobre, plus je découvre, je découvre et jette les choses (généralement en moi) qui font obstacle à la vérité ou à la libération.
La sobriété a-t-elle fait évoluer tes goûts ? C’est une vraie crainte pour moi : ne plus aimer la musique avec de gros kicks violents, ne plus aimer la vie nocturne que j’aime tant, etc.
La sobriété m’a rendu intolérante aux conneries performatives. Je sens que mes goûts sont plus vrais, j’aime ce que j’aime plus passionnément. D’après mon expérience, le rétablissement est très hardcore. De plus, je suis très heureuses que la plupart de mes héros soient sobres, que ce soit essentiellement une école supérieure pour faire la fête, et non un couvent.
Si tu devais donner un conseil à une personne aux prises avec une dépendance, quel serait-il ?
Allez à une réunion en 12 étapes, trouvez un parrain, suivez les étapes, emmenez quelqu’un d’autre suivre les étapes, répétez. C’est essentiellement ce qui m’a appris à vivre et qui rend la vie amusante et excitante, en regardant d’autres personnes se libérer et en riant ensemble de la façon dont nous sommes tous foutus. C’est une bonne affaire.
Merci mille fois pour cette interview qui est un énorme moteur dans mon propre voyage. J’ai hâte de vous revoir et de vous entendre sur scène.
J’espère te voir dans la fosse !
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