Le projet Vision not Victim, mis en place par l’ONG International Rescue Committee, permet aux jeunes filles d’incarner leur futur. Il ne s’agit pas d’un simple projet de photographie, il s’agit de faire en sorte que des femmes et des petites filles de zones de conflit ou particulièrement touchées par la pauvreté deviennent elles-mêmes leurs propres héroïnes. Non seulement, Vision not Victim leur permet de construire une image positive d’elles, mais le projet véhicule une image positive des femmes de ces zones du monde. Il s’agit de construire un meilleur futur pour ces filles et ces femmes, en les impliquant dans une démarche concrète, mais il s’agit aussi de changer l’image que le monde occidental se fait d’elles, d’utiliser ces clichés comme un outil pour abolir les stéréotypes.
Nous avons rencontré Meredith Hutchison, la photographe américaine à l’origine de Vision not Victim.
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Comment en êtes-vous venue à la photographie ?
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J’ai toujours aimé la photographie et toujours eu l’impression que c’était un outil très puissant pour combattre les stéréotypes et raconter des histoires, surtout en ce qui concerne la question de l’injustice. Souvent, nous utilisons l’appareil photo pour capturer l’image d’un événement ou d’une personne, tout en état détaché.e.s du sujet de l’image elle-même. Et très souvent, ce sujet ou cette personne a assez peu de prise sur la façon dont l’image va être utilisée. Donc j’ai commencé à réfléchir à la photographie en tant que processus et espace pour permettre aux personnes de construire les images qui reflèteraient ce qu’elles voulaient dire d’elles-mêmes et de leur situation.
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Même si permettre l’émancipation des filles et des femmes est clairement une démarche féministe, diriez-vous que vous êtes féministe ?
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Evidemment, je dirais que je suis féministe. Je pense que je suis devenue davantage féministe encore, ou peut-être une meilleure féministe en réalisant ce projet, car j’ai mieux vu l’oppression des femmes et des filles de façon globale et dans ses différentes manifestations concrètes, et j’ai eu le privilège absolu de travailler avec des femmes et des filles formidables qui m’ont inspirée et qui se battent pour leurs droits et les droits des femmes partout dans le monde.
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Pourriez-vous nous en dire plus sur l’organisation non-gouvernementale International Rescue Committee ? Ce projet était-il votre idée, ou était-ce une demande de l’ONG ?
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J’ai travaillé pour une formidable organisation locale en République Démocratique du Congo dans le cadre d’un stage à l’université, autour de la question des projets médiatiques participatifs. Un après-midi, alors que nous discutions, j’ai demandé au groupe de filles avec qui j’étais qui étaient leurs modèles, qui étaient les héros qui les inspiraient. Après avoir réfléchi quelques minutes, l’une après l’autre, à tour de rôle, elles ont toutes cité un homme occidental : Benjamin Franklin, Martin Luther King etc. Ces hommes, ces individus qu’elles voyaient comme des modèles étaient tous des dirigeants puissants auxquels nous pouvons tou.te.s nous référer mais il y avait un décalage entre leurs chemins de vie et les obstacles que ces filles affrontent actuellement au Congo. Et pendant mon séjour là-bas, j’avais rencontré tellement de femmes Congolaises remarquables : des entrepreneures, des artistes, des dirigeantes qui étaient une source d’inspiration pour moi, mais leurs histoires n’étaient pas dans les médias et n’atteignaient pas ce groupe de filles. Une fois mon stage terminé, je suis retournée à l’université où j’ai analysé le traitement médiatique des régions en conflit ou pauvres. Il était évident que le spectre de visibilité des femmes dans ce contexte était extrêmement restreint, c’est-à-dire que les femmes de ces endroits-là que l’on voit sont presque toujours représentées comme des victimes.
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A ce moment-là, j’étais en train de faire de la photographie ma principale activité, je voulais trouver un moyen de créer et de mettre en lumière des images positives des femmes et des filles originaires d’endroit comme la RDC, des modèles pour elles-mêmes et pour les autres, qui renversent les stéréotypes.
Donc j’ai proposé une idée, le projet Vision not Victim, à l’ONG International Rescue Committee (IRC) dont je savais qu’elle faisait un super travail avec les femmes et les filles. Et ils m’ont répondu. Nous avons testé le projet au Congo en 2013, dans le cadre d’un partenariat, puis plus tard en Jordanie avec des filles réfugiées Syriennes, puis en Côte d’Ivoire. Désormais je travaille avec eux pour développer l’initiative dans d’autres lieux – pour toucher davantage de filles et leurs communautés.
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Dans quelle mesure les femmes et les filles réfugiées font-elles face à des problèmes spécifiques ?
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Durant un conflit, les femmes et les filles sont confrontées à différentes formes de violence, quand elles fuient, en tant que réfugiées dans un pays étranger, et même, une fois qu’elles se sont installées dans un nouveau pays. La plupart des filles de ces images ont vécu le conflit en Syrie : le bombardement sur leurs maisons et leur voisinage, la perte de leurs proches etc. Réfugiées, elles ont fui vers la Jordanie, où elles sont confrontées à d’autres formes de violence, une violence différente et en même temps qui n’en est pas moins dangereuse. Elles sont harcelées dans la rue, elles font parfois l’expérience de violences domestiques chez elles, elles sont confrontées à l’exploitation, on leur refuse le droit à l’éducation, souvent leurs parents ont tellement peur pour leur sécurité qu’ils ne les laissent pas quitter la maison, et elles sont alors totalement isolées… et elles risquent d’être mariées tôt et de force.
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Et j’ajouterais… dans la plupart des endroits où nous travaillons, y compris en Jordanie, pour les adolescent.e.s, le monde des garçons s’étend tandis que tandis que celui des filles rétrécit. Leur identité et leur futur ne leur appartient plus. Elles sont vues comme la future mère de quelqu’un, la future femme de quelqu’un, sa future ouvrière gratuite, comme quelque chose pour quelqu’un d’autre. Elles n’ont plus d’espace pour créer leur propre identité et leurs propres rêves.
L’an dernier, l’IRC a rendu public un fantastique rapport sur la violence et les défis que les femmes et les filles doivent relever dans la région Syrienne. Vous pouvez en prendre connaissance ici.
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En ce qui concerne le projet en lui-même : la photographie semble être un formidable outil d’émancipation pour ces femmes et ces filles dans des situations difficiles. Les photos sont très puissantes et on peut voir à quel point cela change la façon dont ces filles se voient elles-mêmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment en êtes-vous arrivées à l’idée que la photographie pouvait avoir un tel pouvoir ?
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Je veux souligner qu’il y a beaucoup de choses derrière ces images : ce n’est pas qu’un simple projet photo où ces filles porteraient des déguisements. Quand on commence à travailler dans une communauté, plusieurs semaines se passent avant que j’attrape mon appareil. Dans notre programme, on commence par former les filles dans les domaines du leadership et de la communication, les filles rencontrent des tutrices – des femmes de leur communauté qui ont réussi, ensuite elles élaborent une vision d’elles-mêmes et nous la recréons pour la séance photo, dans la mesure du possible dans un lieu réel.
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Après la séance, nous utilisons les images pour enclencher la conversation avec leurs parents et avec les dirigeants de la communauté au sujet de l’importance de protéger ces filles de toute forme de violence et sur l’importance de les envoyer à l’école ; les photographies sont vraiment des outils puissants à ce moment-là, c’est quelque chose que l’on peut montrer du doigt, et dire « c’est possible, voilà à quoi ça ressemblerait, votre fille a juste besoin de votre soutien maintenant ».
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Quelques mots encore à votre sujet : quelle est la prochaine étape ? Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?
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Nous avons hâte de développer Vision not Victim dans d’autres contextes, je suis particulièrement enthousiaste à l’idée d’amener Vision not Victim aux Etats-Unis et de travailler avec des réfugiées récemment installées et qui sont confrontées aux mêmes obstacles que les filles avec qui j’ai travaillé en Jordanie. Finalement, nous sommes en train de construire un mouvement et un futur collectif où toutes les filles seront libres d’exprimer leur potentiel et de poursuivre leurs rêves, de faire en sorte que le futur entrevu dans ces images se réalise.
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Leslie Preel / @lpreel