We Are Yogis est une organisation qui milite pour un yoga accessible à toutEs et qui propose des cours de yoga et des séances de médiation dans les lieux les plus divers : sur les toits, dans les parcs, en forêt, en squats, dans la rue. Avec We Are Yogis, le yoga sort des lieux où on le trouve habituellement et revient à l’essentiel : une discipline bonne pour le corps et l’esprit, pour tou·te·s. Mercredi 31 mai prochain, We Are Yogis s’installe sur le toit du Point Ephémère. On a rencontré Cy Lecerf Maulpoix, journaliste et activiste LGBTI qui est à l’origine de We Are Yogis.
FRICTION : Tu es journaliste et activiste LGBTQI, comment en es-tu venu à la pratique du yoga ?
Cy : Il y a quelques années. Le yoga qui jusque-là, me laissait assez indifférent et que je vivais uniquement comme un truc de bobo, par ailleurs beaucoup trop cher pour moi, s’est finalement imposé rapidement comme l’un des meilleurs moyens de prendre un peu de recul vis-à-vis de contextes activistes LGBTQI ou écologistes qui me demandaient beaucoup d’énergie et suscitait souvent beaucoup d’anxiété et de stress. La proximité avec l’un des attentats parisiens en 2015, une action avec arrestation à l’étranger particulièrement traumatisante pour moi et des reportages parfois lourds à gérer émotionnellement l’ont rendu encore plus nécessaire. Enfin, l’importance du yoga s’est ancrée principalement en voyageant, en Espagne mais surtout en Californie et sur la côte-est notamment où ses incarnations sont plus multiples et décomplexées.
La pratique accentuée du yoga et la découverte de l’ayurveda (médecine traditionnelle indienne) là-bas lors de séances thérapeutiques très intenses puis plus récemment mon départ pour l’Inde, il y a quelques mois, pour débuter une formation ont été déterminantes.
On a une image de l’activisme comme quelque chose qui peut être contradictoire avec la pratique de la méditation et/ou de la relaxation, en quoi est-ce que ça se complète à tes yeux ?
Ce n’est absolument pas incompatible. Ce mythe de l’activiste ou même du journaliste qui se sacrifie mentalement et physiquement sur l’autel de ses luttes et de ses reportages est très présent et cultivé plus ou moins consciemment (et je m’inclus dans le lot). Mais, même si cela demande beaucoup d’énergie et peut s’avérer obsédant parfois dans la mesure où on s’y engage tout entier, je crois qu’il y a d’autres manières de s’y rapporter, afin justement d’éviter de se mettre constamment en danger. Pour moi le yoga permet d’interroger cette tendance qui fait que parfois je vais trop loin, je me disperse mentalement et physiquement sur trop d’objets à la fois jusqu’à épuisement. La méditation, qui fait partie intégrante du yoga d’ailleurs, permet justement d’éviter cette dispersion. Loin d’être un processus passif, elle nous révèle à notre mental et ses conditionnements et elle engage lentement un travail de recentrement, de retour à la sensation et de mise en cohérence avec le corps. Or souvent, dans l’action ou même l’organisation militante, le corps est occulté. Cette présence du corps, de ses émotions, mais également ce recul vis-à-vis d’elles participe également d’un apprentissage de gestion des émotions essentiel, surtout dans des contextes parfois particulièrement agressifs.
Pourquoi avoir créé We are yogis ?
L’idée m’est venue suite à des rencontres. La première a été avec un centre féministe et queer à San Francisco qui travaillait justement à faire entrer en cohérence différentes pratiques thérapeutiques, la marma-thérapie, l’ayurveda, le yoga, les massages thai etc… Le centre fonctionnait notamment sur donation en fonction des budgets de chacunE. Ca m’a vraiment plu d’autant que je commençais à développer un rapport ambivalent à la pratique et l’image donnée du yoga occidental. Que ce soit dans les centres de formations ou dans certains studios en France comme à l’étranger, l’inconscient qui déterminent les pratiques et les discours est souvent blanc et hétéro et capitaliste. Et cela pèse souvent selon moi sur la réception du yoga et son accessibilité pour tou.t.E.s. En Californie, parce que le rapport au communautaire est moins tabou culturellement, des studios de “accessible yoga” et des discours décoloniaux, queer ont commencé à apparaître. Cette “déconstruction”, ce recul vis-à-vis de nos pratiques me paraissent normales d’autant que la pratique du yoga n’est traditionnellement pas élitiste.
We Are Yogis a été créé dans cette continuité afin d’engager progressivement des discussions et de proposer justement une autre vision du yoga.
Par ailleurs, au cours de mes reportages ou de mes pratiques militantes, plusieurs rencontres avec des réfugiés et des LGBTQI notamment ont été décisives. Lorsque je parlais de mon idée de cours, je sentais un enthousiasme et une envie de leur part. Ca a été déterminant.
We are yogis existe depuis peu mais a déjà pris ses quartiers dans plusieurs lieux prisés de Paris, comment tu expliques cet engouement pour la méditation et le yoga ?
Je pense que de manière générale, le regain d’intérêt pour le yoga et la médiation s’inscrit dans un contexte culturel de retour au corps et à nos émotions malmenées par les crises que nous traversons collectivement. La destruction de nos environnements, la montée de certains populismes effrayants, les persécutions des minorités, les violences sociales, politiques et policières ont des conséquences évidentes sur nos subjectivités et sur nos vies. Le yoga et la méditation apparaissent souvent pour beaucoup comme une réponse rassurante même si l’on ne mesure pas vraiment à l’avance ce qu’on va y trouver. Il y a souvent l’envie au départ d’inverser la tendance et de commencer à prendre soin de soi.
Quant aux lieux dans lesquels We Are Yogis donne des cours, le but est d’essayer de maintenir malgré tout une cohérence avec ce que j’évoquais avant et de ne pas devenir à nouveau une structure trop élitiste. Ces lieux ne doivent pas être dissuasifs et doivent être suffisamment variés pour permettre à différentes personnes de s’y rendre sans s’y sentir exclus d’emblée.
Ce sont souvent aussi des lieux que j’affectionne en raison des personnes qui y travaillent ou y vivent (À la Folie, Le Point Éphémère, le squat du Collectif 23 et le nouveau Ground Control) pour différentes raisons.
Tu animes des cours de yoga et de médiation à destination de publics, de communautés qui restent minorisées dans la pratique d’activités physiques et collectives habituellement, les queer, les réfugié.e.s… Pourquoi était-ce important pour toi de leur (re)donner une place dans ces activités ?
Il était juste important de créer un espace de partage qui pourrait éventuellement leur permettre de découvrir les bienfaits du yoga. Certains studios, les prix pratiqués et l’image donnent l’impression qu’ils ne s’adressent qu’à la femme blanche de trente ans longiligne ou à son double masculin aux muscles saillants. Cela exclut pas mal de monde. Le prix des abonnements et des cours également. L’idée était justement de sortir de ces cadres institués pour que d’autres groupes s’autorisent à s’intéresser au yoga et à la méditation. De par mon travail et l’activisme, je suis plus en contact avec les communautés LGBTQI et depuis moins longtemps avec les réfugiéEs. Le système dans lequel nous vivons les fragilise, les précarise. La relation du gouvernement français et de l’Europe avec les réfugiéEs est l’une des choses les plus violentes et terribles humainement qu’il m’ait été donné de voir. Et ce constat a été au centre de ma décision de créer We Are Yogis comme un espace dans lequel ils pourraient puiser des outils pour s’apaiser un peu et construire, je l’espère, un peu plus de résilience face à ce qu’on leur impose ici.
Pourquoi est-ce important de créer des safe spaces pour la pratique d’activités qui permettent de se réapproprier son corps, de mieux le vivre ?
Même si la notion de safe space est toujours compliquée à penser, c’est important selon moi de pouvoir créer des espaces suffisamment bienveillants pour que l’on puisse se sentir à l’aise de revenir à son corps. L’acceptation des corps dans leur diversité de couleur, de forme, de genre etc.. est un véritable enjeu qui est rarement adressé par les studios traditionnels. On veut faire comme si cela ne comptait pas. Alors que cela compte pour de nombreuses personnes d’être encouragées par une structure existante. C’est aussi reconnaître qu’iels le méritent et peuvent en bénéficier comme tout le monde. Quand on est mal dans sa peau, angoissé, et on se déconnecte naturellement de son corps de pleins de manière. Il ne s’agit pas seulement d’exercice physique, d’aller à la gym et de faire des pompes. Il s’agit plutôt de créer les conditions d’une reconnection plus profonde à soi, de réappropriation.
Mais le yoga n’est pas la seule pratique qui opère ces changements. Le tai-chi, le Qi Gong en sont d’autres par exemple.
C’est body-positif le yoga ?
C’est body et mind positif. C’est important de ne pas séparer les deux. Car si tu affectes ton corps, tes affects et ton esprit s’en trouveront également modifiés. Après même si parfois je joue un peu sur cette “positive attitude” qui fait très marketing hipster pour faire venir les gens à mes cours, j’essaye de préciser que la positivité vis-à-vis de son corps ne réside pas dans le fait de viser un corps parfait mais plutôt d’apprendre à se sentir bien et équilibré dans celui qui est le nôtre. Les changements physiques qui s’opèrent par une pratique régulière ne sont pas des fins en soi. Enseigner le yoga pour faire maigrir ou muscler ses abdos ne m’intéresse pas parce qu’ils manquent l’essence même du yoga.
Tu peux nous parler un peu de la suite pour We are yogis?
C’est un peu flou encore. Je suis un jeune prof, j’ai encore énormément de choses à apprendre. Les cours vont évidemment évoluer, d’autres personnes je l’espère se grefferont progressivement pour proposer d’autres cours pour d’autres élèves. Cela pourrait être des cours pour personnes à mobilité réduite par exemple ou des cours non-mixtes.
J’aimerais développer un cours en langage des signes car j’ai quelques élèves qui souhaiteraient éventuellement le mettre en place.
Et puis proposer un accompagnement thérapeutique par le biais de structures associatives pour les personnes les plus fragiles qui aimeraient accompagner leur pratique d’un suivi différent. Mais je veux aussi prendre mon temps, on verra…
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Plus d’infos : weareyogisparis[at]gmail.com