
L’été dernier, Leslie avait découvert le Whole Festival et vous avait raconté ses trois jours passés au sein du plus gros festival queer du monde. Cette année encore, elle a décidé vous confier ses impressions et tous les détails de ses nuits interminables. Ce deuxième jour est l’occasion de revenir sur les espaces de cruising du festival et la place de l’acronyme FLINTA.
Je suis prof de lettres, et je ne sais pas si je l’ai piqué à un·e de mes enseignant·es mais j’ai coutume de répéter le poncif selon lequel l’histoire de la littérature occidentale peut se résumer à parler de deux grands sujets : Dieu et le cul. Parler de sexe, en théorie au moins, surtout si c’est en alexandrins, ça me connait, donc. Mais ça prend une toute autre dimension quand il s’agit du Whole.
Et c’est peut-être sur ce sujet que ça a été une expérience particulièrement libératrice pour moi l’an dernier. Pour résumer, dans la saison précédente, les protagonistes non-gay-cisgenres, regroupé·es sous la bancale étiquette FLINTA au sein d’une rubrique du forum et d’un groupe Telegram ont organisé un takeover d’un des espaces de cruising. Et si les récaps de début d’épisode ne nous permettent pas ici de développer ce qu’a été cette expérience, c’est peu de dire que ça a susciter de nombreux émois. Pour la faire courte, le magma FLINTA reprochait à l’orga du festival de ne pas avoir prévu et mis en place des espaces de cruising qui ne soit pas dédiés essentiellement aux cisgays, allant parfois jusqu’à reprocher qu’il y ait du sexe gay hors des espaces dédiés, et s’embarquant dans des arguties foireuses que nous ne nous donnerons pas la peine de reproduire ici. En revanche, les idées ayant fait leur chemin, cette année des espaces dédiés, notamment une tente DTF, à la fois pour dykes, trannies and faggots et plus prosaïquement pour down to fuck ont vu le jour, une partie étant d’ailleurs un FOCUS FLINTA. Le point positif, malgré tous les bémols sur la bannière FLINTA dont nous avons déjà parlé chez Friction, c’est que l’on a assisté à une forme d’auto-organisation mais aussi à des évolutions fondées sur des retours d’expérience : basically tout le monde aime baiser.
Mais – et vous attendiez le mais – le chemin peut sembler bien long encore. Par exemple, si des workshops autour du cul pédé sont organisés, il ne me semble qu’aucun autre endroit de baise qu’au sein de l’espace FLINTA n’a prévu de planning précis.
J’ai moi-même reçu une éducation relativement progressiste mais assurément genrée, et j’ai appris que le sexe était dangereux, potentiellement dégradant et sale. Qu’on y attrapait au mieux des IST, au pire des grossesses et qu’il allait être le moyen des plus grandes violences que je subirais dans ma vie de femme. J’ai appris tout un tas de choses turbo connes sur le cul. Et je suis loin de toutes les avoir déconstruites. Mais je m’accommode plus ou moins bien des contradictions qui s’expriment ici comme ailleurs, où l’on navigue à vue entre les normes inculquées et les désirs plus ou moins assouvis. De fait, ayant eu des partenaires de genres différents et même d’orientations sexuelles diverses, j’ai pu faire l’expérience que ces constructions se répercutent – là encore, ici comme ailleurs – dans les relations interpersonnelles. Donc il est assez logique qu’il y ait des tiraillements, des tensions, des hésitations. Mais franchement, en entrant dans la tente DTF, à des fins purement journalistiques évidemment, j’ai été assez surprise de voir, d’abord que des personnes accueillaient un à un les individus qui en passaient le seuil, puis qu’il y avait des affichettes expliquant l’historique du fameux takeover qui restera à n’en pas douter dans les annales anales du festival et enfin un pot contenant des bracelets destinés à indiquer si l’on était bi, pan ou d’autres étiquettes que je n’ai pas retenues. Nous avons tenu à rendre compte des évènements avec le plus d’exactitude possible, aussi avons-nous donné de nos personnes durant toute cette deuxième journée. Pédés, lesbiennes et tous·tes celleux entre les deux ou au-delà avons parcouru les allées et étudié attentivement les relations, les cris, les gémissements, nous n’avons reculé devant rien pour fournir un reportage exact et fidèle de la réalité. Une chose est clairement ressortie de nos études : on s’emmerde ferme chez les FLINTA. On se regarde dans le blanc des yeux et on se caresse le genou alors qu’on a surtout envie de se faire retourner et tirer les veuchs. Or tu veux niquer, pas qu’on te lise le Décaméron.
Alors vouloir baiser, ça semble quand même bien naturel. S’inspirer des communautés qui sont dans le futur question libération sexuelle, ça semble également une excellente idée. Écrire sur les éléments de communication qu’il y a beaucoup de choses à dire sur la baise mais que la tente DTF n’est ni le lieu ni l’endroit, slay yas queen. En revanche, si c’est pour qu’en entrant Down to fuck, je ressorte depressed as fuck, il y a un problème. Le cul en festival, dans le cruising village au milieu d’un bois et au bord d’un lac, je pense que ça devrait d’abord et avant tout être aussi fun que cette perche de kétamine qui m’a empêchée d’atteindre le bar en première partie de soirée. On a tout à gagner, nous qui ne sommes pas des pédés cisgenres à laisser le cul sérieux et laborieux aux hétéros. D’autant que si les normes de genre et les sociabilisations primaires nous ont flingué nos premières baises, nous devrions honorer notre goût de la subversion et dépasser l’antagonisme genré jusqu’au bout. Loin de subvertir quoi que ce soit, on risque de perpétuer des codes dont on serait sans doute nombreux·ses à vouloir se débarrasser. Je suis sûre que je connais des pédés qui aimeraient des baises de 8 heures où chaque geste fait l’objet d’une discussion de façon à toujours s’assurer d’un consentement clair et explicite. Et j’ai une très bonne copine qui aimerait bien se faire toper vite fait sur les gradins de l’aréna en écoutant un set de techno bien boum boum bien tunnel. Et le mieux dans tout ça, c’est que tout le monde peut changer d’envie, de rôle et d’avis. Alors parlons cul mais n’oublions pas que nos grandes bouches dans ces domaines ont parfois mieux à faire qu’ergoter. Et essayons de vraiment, une bonne fois pour toutes laisser le cul chiant aux hétéros. Ils le méritent.
[ADDENDUM]
Comme Friction Magazine est le premier media d’actualités queer, nous avons appris de sources bien renseignées qu’un second takeover s’organisait en soum soum sur le Telegram secret des gens qui pèsent (FLINTA, donc). Nous avons dépêché un envoyé spécial sur place au lieu de ralliement, les participant·es étaient dix selon les orgas, trois selon les assos de RDR rameutées en urgence pour équiper les mains de gants et les enduire de lube. Nous n’avons pas le recul nécessaire pour analyser de façon pertinente l’ampleur de cet échec. Toutefois, nous aimerions que, comme les canards au bord du lac, les pédales puissent continuer de s’accoupler dans leurs habitats naturels.
