Coulisses Drag : rencontre avec HitsuBlu

Vous connaissez sûrement HitsuBlu, la queen à la fine moustache dessinée, celle qui vous accueille à la Blu·e Velvet. Toutefois, HitsuBlu, c’est aussi un·e peruquier·ère dont la petite entreprise se nomme Wig’tsublu. Vous avez peut être admiré ses créations sur les têtes de Lolita Banana, Paloma, Sasha Miskina et bien sûr la sienne, puisqu’on est jamais mieux coiffé que par soi-même ! Pour ce deuxième Coulisses Drag, iel nous a tout raconté !

Est-ce que tu peux nous raconter tes débuts en drag et ce qui t’as ensuite amené à faire des perruques toi-même ?

J’ai toujours été passionné·e de maquillage et de transformation. Je suis devenu·e d’abord un « beauty boy », un influenceur beauté homme. C’est comme ça que j’ai rencontré Kam Hugh, elle voulait faire un évènement beauty boys à Paris puis aller à la Jeudi Barré. Moi, j’avais déjà vu Drag Race par inadvertance mais aussi Cookie Cunty ! J’ai trouvé ça incroyable et j’ai donc commencé le drag pour aller en soirée puis pour performer. Au début, c’était vraiment une question de réaffirmer ma masculinité parce que dans le milieu gay parisien, il y a sept ans si t’étais pas masculin, pas de barbe, pas musclé, pas d’épaules… Voilà quoi. Malgré beaucoup de maquillage et des vêtements féminins, mon personnage était masculin et c’était justement ça la joke, qu’on peut être masc en étant fem ! Avec le temps, j’ai eu mon parcours identitaire grâce au drag et j’ai fait mon coming-out non-binaire. Comme je n’avais plus besoin de prouver ma masculinité, mon drag s’est naturellement féminisé, je suis allé vers ce que j’aime plus.  

Les perruques, c’est parce que j’ai coiffé pour ma sœur drag, Freya Kor, pour la Drag me Up ! Bon, j’avais fait des coiffures nulles à chier, des trucs de petites zouz pas coiffées pour danser. Et pendant le confinement, mon colocataire qui était Sasha Miskina m’a dit : « tes perruques sont grave cools, fais un petit compte ! » J’avais pas d’argent, pas de chômage, pas d’intermittence donc j’ai lancé ma page Wig’tsublu. De fil en aiguille, je me suis pris au jeu, les gens ont cru en moi et c’est allé très vite. Et on est là aujourd’hui, je fais des coiffures pour Drag Race France, pour des meufs de Dragula, pour un peu partout !

Justement toi qui vivais du drag avant le Covid, qu’est-ce qui t’intéresses dans le fait de travailler des wigs que tu ne trouves pas dans le drag ?

La créativité. Moi j’adore les perruques qui bougent, qui ont un effet vivant. On a beaucoup de perruquier·ères qui font des perruques très solides, très belles, c’est des beaux bijoux mais ça ne marche pas toujours en performances. Ça s’épuise aussi parce qu’une jolie perruque, c’est redondant. Quand tu la remets et qu’elle a un peu plus de vie, des détails qui fait qu’elle est unique, c’est agréable de la porter. Il y a plein de petits trucs comme ça où tu peux travailler, t’amuser et toutes les client⋅es sont différent⋅es. J’aime bien me dire que je fais une perruque pour quelqu’un mais iel ne porte pas juste une de mes créations, iel porte une de mes créas qui a été faite par moi et pour la personne qui la porte. Je vais pas faire la même chose pour mademoiselle Kiss que pour Sasha Miskina. Et puis il y a aussi ce côté où je bosse chez moi, j’ai moins de pression physiquement. En charge mentale c’est énorme par contre, car tu sais jamais où tu vas, ça se fait parfois en dernière minute… J’ai beau être un·e des perruquier·ères qui est la·e moins chèr·e actuellement à Paris, les gens ont des attentes, continuent à penser que ce sont des créations qui se font toutes seules… Il y a une pression mais ce n’est pas la même que dans le drag ! Chaque activité me permet de souffler de l’une et l’autre.

Comment tu prévois les wigs pour qu’elles soient justement manipulables, utiles en perf, comme tu le disais en plus tu abordes ça différemment selon les drag artists…

Clairement quand je fais une perruque pour Lolita Banana, je pleure. La première fois, elle m’a demandé un beau truc très glamour, très drag. Je lui donne la wig, c’était un brunch où elle sautait partout… J’avais cousu toutes les mèches pour être sûr que ça bougeait pas. Pendant longtemps, je me mettais une grosse pression pour que ce soit toujours parfait. Aujourd’hui, c’est différent, je sais que c’est un outil, ça reste un accessoire et c’est à l’artiste de l’entretenir.

Je m’adapte surtout d’un point de vue esthétique ! Tu vois Ginger Bitch qui est un peu plus forte, si elle demande un truc un peu petit, je sais qu’elle est grande, elle a de la carrure je vais pas lui faire un truc tout serré sur la tête, ça serait ridicule.

Est-ce que tu peux nous raconter une journée type pour toi, comment tu t’organises, comment tu gères justement le drag et ton activité côté perruques…

J’organise tout car je ne suis pas organisé·e ! (rires) J’ai un TDAH donc je pars vite en vrille, j’ai besoin de planifier. Avant, je pouvais rester dans ma bulle et rester sur une perruque mais jusqu’à 8h-minuit. Aujourd’hui, j’essaye de faire des vraies journées où généralement je fais de l’administratif le matin et je travaille à partir de 14h en essayant de ne pas dépasser 21h environ. Je sais que je mets 14h de travail sur une perruque en moyenne. Si je n’ai pas d’administratif, je fais du croquis, je fais de la recherche car il y a beaucoup de travail côté tests… Parfois je peux passer une journée entière à essayer un nouveau système pour coller telle chose alors je regarde des vidéos de cosplays, de perruques… Par contre quand je fais des wigs pour Drag Race, c’est hyper calculé, je fais tout le travail de prépa à l’avance parce que je commande toutes les perruques, dès qu’elles arrivent faut que je travaille dessus. J’essaye d’avoir un rythme mais avec mes troubles TDAH, je peux me dire « oui, là j’ai pas la force de me mettre sur une perruque, je vais faire plein d’autres choses à côté » et quand je m’y mets, tout est quand même prêt en temps et en heure.

De quelle création tu es la·e plus fier·e ?

Il y en a une qui est dans la saison 3 de Drag Race France… (rires). Ça va pas forcément être les plus jolies qui font dire « wow, c’est trop beau » mais en termes techniques, je suis content·e de ce qu’on a fourni. J’aime aussi beaucoup la perruque que j’ai faite pour Paloma, pour sa tournée, la perruque de Néfertiti. Mais en vrai je les aime toutes un peu, mes perruques ! Ça dépend aussi de qui la porte. Il y a certaines de mes amies proches, je suis hyper fier·e de les voir avec parce que je les regarde et ça fait briller encore plus la personnalité du look.

De quelle façon tu aimerais voir évoluer Wig’tsublu dans les années qui viennent ?

J’aimerais vraiment que ça continue à être de l’artisanat et pas un métier à la chaîne. Ça, c’est important pour moi. Parce que je pense que pour ma santé mentale, c’est ce qu’il y a de mieux.

J’aimerais aussi continuer à travailler des perruques hyper basiques, parce que j’adore les bons basiques autant qu’avoir des petites créas, recevoir des idées venant des artistes. C’est aussi pour ça que je travaille mieux avec mes amies. On discute, on brainstorm… J’aime le côté « artisanat ». C’est plus l’histoire qu’elle raconte que le visuel qui m’intéresse. C’est pour ça que je n’ai pas vraiment de perruques préférées. C’est que… En soi, elles sont jolies mais comme je cherche pas à faire des masterpieces, LE design, c’est pas mon but. C’est plus comment elle a été créée, montrer qu’elle a été faite avec amour. Et même si je veux que ça reste de l’artisanat, j’aimerais que ça devienne un peu plus du « bijou », tout en restant dans des tarifs corrects. Je préfère quand même aussi continuer à faire de la création qui va être portée, qui va vivre. Moi, je suis heureux·se de voir mes perruques mourir. Peut-être pas trop rapidement hein, mais je suis heureux·se de voir quelqu’un qui me dit « Bon, ben, je l’ai saignée. » Elle a sa petite vie. Je ne fabrique pas des trucs pour que ça reste prendre la poussière à la maison. Et j’ai des supers client·es régulier·ères comme Paloma, Sara Forever, mes copines drags… Et ouais, je suis content·e d’avoir ce truc un peu… un peu doux avec mes client·es.

On rêve un peu ! Pour qui tu aimerais créer une wig drag, célébrité, vivante, encore ou non ?

J’ai plein de rêves… Coiffer la frange de Clara Luciani, de lui faire son brushing haha.

Si on parle de gros rêve : coiffer Adèle. Au-delà du fait que je sois fan d’elle, j’adore l’esthétique qu’elle dégage et qui m’inspire beaucoup dans mon drag aussi, ce côté diva. Pour Sasha Velour, ça me rendrait très heureux·se. Ou pour Landon Cider, un drag king qui a gagné une saison de Dragula ! J’ai eu la chance de le rencontrer et il est vraiment adorable. Mais en vrai, je coiffe la reine de France, Paloma et les futures reines de France, j’espère, et je me coiffe moi !

Par contre, ce que je voudrais dire, c’est que j’aimerais que plus de drag kings en France arrivent à vouloir une esthétique avec des idées saugrenues. J’aimerais surtout qu’ils aient le budget car on va pas se mentir, il y a beaucoup de précarité dans le drag king, encore plus que dans le drag queen, aujourd’hui. Et j’aimerais pouvoir collaborer avec des drag kings qui m’envoient des idées. La création perruque pour les drag kings, c’est pas très poussé et je trouve ça dommage. Donc je crois que mon plus bon rêve, c’est de faire des trucs pour des gens qui n’ont pas encore accès à ça.

Après faut aussi prendre le drag king à la racine. C’est vraiment des cousins, avec le queen, mais ils ne sont pas frères et sœurs, clairement pas. Là où, nous, on défend un amour de la féminité et les droits des femmes, le king se bat contre le patriarcat. Beaucoup ont plus envie de verser dans le côté satirique. Mais il y a du drag king qui arrive aujourd’hui, je pense à Levo Levolove par exemple, qui lui va redessiner une masculinité qui peut plaire et qui est séduisante. Mettons-leur des jolies perruques sur la tête avec des paillettes !  On les verra encore plus !

Vous pouvez retrouver le travail d’HitsuBlu sur sa page Instagram.