Méryll Ampe a laissé carte blanche à Andres Komatsu pour la réalisation du clip de son nouveau morceau « AKT ». Sculpteur de formation et artiste sonore, Méryll Ampe établit des liens entre ces deux pratiques, ici aussi, l’image dialogue avec le son dans un clip inquiétant tourné en VHS. Nous leur avons posé quelques questions pour en savoir plus.
Est-ce que vous pouvez vous présenter succinctement ? Comment est née votre collaboration sur ce clip ?
Andres : Bonjour Leslie et merci de nous accorder cet entretien. Je me rappel parfaitement la première fois où Méryll et moi avons échangé à ce sujet, ce fut lors d’un des dernier événements organisé à l’Atomic City* Méryll avait notamment joué/performé au cours de la soirée. Il avait un long manteau noir, c’était l’hiver. Je t’épargne les détails mais tout portait à croire que cette association allait fonctionner, d’une manière ou d’une autre. Les signes trompent rarement. Puis nous en avons reparlé à maintes reprises jusqu’à que Méryll parviennent à débloquer un budget (avec Coax) qui a permis sa mise en chantier.
Méryll : Merci Leslie, pour l’entretien ! Je suis artiste sonore, compositeur et performeur. Je me souviens qu’il y avait un fort volume sonore à cette soirée. C’était pour moi un très bon souvenir de ce moment où l’on échange entre deux concerts et le bruit du public. J’ai découvert son travail par les réseaux sociaux et des amixs que l’on a en commun. Lorsque je lui ai proposé de collaborer, je lui ai dit qu’il pourrait choisir un morceau (sur trois sélectionnés). Il a choisi AKT et a eu carte blanche, tout en lui donnant quelques éléments qui m’ont donné envie de faire ce morceau.
« Évry Night » est le titre de mon album paru en octobre 2022 sur DA! Hear It. J’ai expliqué (à Andres) l’intention derrière cet album : j’ai souvent besoin d’un fil conducteur pour composer, faire apparaître des matières sonores. J’ai mis deux ans à réaliser « Évry Night » qui a été élaboré à partir de sources acoustiques et analogiques.
Qu’est-ce que signifie « AKT » ? Est-ce que vous pouvez nous parler du texte qui ouvre le clip ?
Méryll : AKT veut dire “chair” et/ou nu” en allemand, au moment où j’ai composé ce morceau j’étais allé voir une expo du sculpteur allemand Georg Baselitz et il y avait une sculpture sur bois (en taille directe*) qui avait pour titre AKT. J’ai aimé la signification, car pour moi la matière sonore est comme de la chair
et une matière à sculpter.
Andres : Ces trois lettres disent quelque chose de nous, c’est certain. Je m’en suis fait ma propre interprétation. J’ai pour principe de dire que « pour vivre heureux.ses vivons caché.es » alors je laisse les spectateur.ices se faire la leur. Je resterai tout aussi taciturne concernant ce dont tu fait mention et qui ouvre le clip.
L’image donne l’impression de visionner des archives ou des vidéos tournées avec un camescope : pourquoi ces choix ?
Andres : J’ai fait le choix de travailler sur une « filmographie parrallèle » s’éloignant drastiquement de ce que j’ai pu écrire et réaliser auparavant. AKT ajoute une pierre à cet édifice chancelant / bancal. Le choix d’utiliser une caméra VHS s’est imposé de lui-même. Je me plais à penser que je suis un enfant de la bande magnétique .
Méryll : Lorsqu’Andres m’a proposé de filmer en VHS j’ai trouvé l’idée vraiment cohérente car il y a une sorte de réponse et similitude avec les synthétiseurs analogiques que j’utilise et le côté de la distortion du signal qui peut apparaître sur bande VHS et dans mes pédales à effets. Aussi, je pense que l’histoire du clip avec la ville devait prendre corps via une bande/caméra VHS.
Il y a quelque chose d’inquiétant dans les choix faits au niveau du montage. Est-ce que vous pouvez nous en parler ? Le morceau est lui-même lancinant et construit ce même sentiment d’angoisse. Que voulez-vous dire dans ce travail de l’image et du son ?
Andres : Tout le mérite revient à Victor. Il y a, dans son montage, un vrai travail d’orfèvre. Il est parvenu à rendre lisible l’ensemble mes idées. Le montage traduit parfaitement le trouble dans lequel baignent les personnages.
Victor Pascal (monteur) : Effectivement, en visionnant les images d’Andres et en discutant avec lui, on a convenu tous deux que le rythme du clip se devait d’être lent, pesant, afin de transcrire l’état de confusion dans lequel est ce personnage. On a souvent en tête des clips musicaux au montage dynamique et saccadé – ça s’y prête souvent bien. Là, pour rester dans la lignée de la musique de Méryll, conserver une certaine durée était donc l’option qui me semblait la plus cohérente. Il y a parfois quelques accélérations, des cassures de rythme et des jumpcuts, pour accentuer la fragilité des images et du son… Mais j’ai gardé à l’esprit cette idée de durée, du temps qu’on doit sentir infuser avec la progression bruitiste du morceau.
Ce qu’a tourné Andres est mystérieux, opaque, et il fallait que le montage reflète cette intention de laisser le spectateur dans l’ombre et l’incompréhension. Mais il me semble qu’on a pu, grâce au montage, mettre un certain ordre dans ce chaos. Poser la narration d’une rencontre au contexte flou, que le spectateur n’a pas l’occasion de véritablement saisir et doit donc imaginer. Lire entre les lignes – ou les images, en l’occurrence.
Méryll : Andres avait carte blanche, il m’a embarqué lorsqu’il m’a montré son storyboard. C’est vrai que je voulais quelque chose d’étrange, voir les espaces liminaux de cette ville qu’est Evry, mais aussi parler de labyrinthe, d’images mentales ainsi que l’idée du rêve ou des états de la
psyché qui sont altérés. Dans cette vidéo on n’a pas de point de repère temporel, si on est dans le passé ou le futur, c’est ce que je trouve fort car l’inconscient n’a pas forcément conscience du temps. Dans ma musique je cherche des choses des états mentaux ou paysages mentaux, viscéraux et qui déplacent. C’est peut-être ça qui rend ce morceau un peu angoissant !
Le drapeau noir brandi le long de la voie ferrée est-il un appel à la révolte voire à la révolution ?
Andres : Cela a plutôt à voir avec « Color test : a red flag » (1968) de Gerd Conradt : un drapeau rouge défile dans les rues de Berlin, dans une course vers l’hôtel de ville. Les quinze participants hissent le drapeau sur le balcon du bâtiment, à la stupéfaction générale. Le film comprend la participation d’Holger Meins (membre de la Fraction Armée Rouge). Pour le reste, encore une fois je laisse les spectateur.ices se faire leur propre interprétation de ce que pourrait signifier ce bout de tissu qu’il soit noir, rouge, vert, qu’importe. Pour ma part, je suis pour la révolte partout, tout le temps.
Quelles réactions voulez-vous susciter avec ce clip ?
Méryll : Je dirais de l’interrogation mais surtout vivre cette proposition audiovisuel comme un moment où l’on peut être juste transportéx.
Andres : Le désarroi, l’effarement, le désordre… qu’importe. Chacun.e fera ce que bon lui
semble de cette proposition filmique/musicale. Une fois livrée, je pense que nous ne serons plus maitre de rien. Pourvu que ce soit le désordre.
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