Après Trois nuits par semaine, Florent Gouëlou nous fait découvrir son cabaret cinéphile avec Habibi : chanson pour mes ami·e·s

Grand habitué du festival Chéries Chéris, Florent Gouëlou revient pour cette trentième édition avec son documentaire intitulé Habibi : chanson pour mes ami·e·s. Plus que jamais, le réalisateur met en avant sa double casquette de cinéaste-drag queen afin de nous guider dans les coulisses de la Flèche d’or et de son propre show drag et cinéphile. Afin de comprendre la façon dont il aime filmer ses sœurs et l’évolution de son rapport à Javel Habibi, son alter ego de scène, on lui a posé tout un tas de questions.

Bonjour Florent. L’une des premières scènes du film, c’est toi qui retire ton padding et qui lâche un grand soupir d’épuisement. Pourquoi avoir choisi cette image, cet envers du décor qui intervient très tôt dans le documentaire ?

Parce qu’on voulait que le film s’ouvre par une séquence qui donne la promesse du film, une proposition claire. Je dis « on » car Habibi chanson pour mes ami·e·s a beaucoup été écrit au montage, avec Louis Richard, qui est aussi le monteur de Trois nuits par semaine. Ce film, c’est vraiment la petite sœur documentaire de Trois nuits par semaine dans lequel d’ailleurs on retrouve une scène de déshabillage qui était déjà présente, quand Baptiste rentre avec Cookie. C’est un peu une scène source pour moi.

Dans le documentaire, cette scène dit « Vous nous connaissez à travers le show, les applaudissements et maintenant on va révéler le retour à la maison et la douleur derrière les paillettes. » Ce n’était pas pour être misérabiliste évidemment mais pour être clair sur le fait qu’on allait être dans la fabrication du show. Ça partait d’une sensation physique très forte, ce décalage où tu es applaudi par 300 personnes avec toutes tes copines sur scène et puis tu rentres dans ton taxi, tu es seul chez toi, le silence, la douleur physique… J’avais hâte de raconter ça parce que je trouvais que je l’avais pas raconté aussi physiquement dans les précédents films.

Tu dis du coup que le film s’est beaucoup écrit au montage, comment justement tu as opéré au travail de scénario avant le projet ? Qu’est-ce qui a bougé, est-ce qu’il y a des choses que tu avais prévu et qui ont dû changer ?

Le film s’est fait dans une spontanéité très rapide. L’idée était de faire un journal qui ne serait peut-être pas les derniers moments du show mais la fin de la saison, un rendez-vous important. Je ne savais pas si j’allais hoster toutes les soirées ou si j’allais prendre un fonctionnement de cartes blanches pour les filles… On était à un moment charnière de la soirée. Au final, on a tourné un portrait de ces cinq artistes dont moi mais aussi le portrait de La Flèche.

Et puis après au montage ça a été beaucoup des questions de chronologie. On s’est rendu compte assez vite que monter le film dans la chronologie faisait que le drag arrivait trop tard. C’est comme ça qu’on a trouvé cet aller-retour, d’aller raconter les couches de travail. Quand une queen performe, il y a aussi ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a conçu, ce qu’elle a coiffé, ce qu’elle a fabriqué, ce qu’elle a cousu. Et je voulais qu’on puisse lire tous ces détails. C’est une idée qu’on retrouve beaucoup dans la littérature de Virginia Woolf : tout ce qui créé un instant, comment une seconde est pleine de tout le passé. Ça me tenait très à cœur de montrer que dans l’instant d’une performance, il y a aussi plein de moments passés. On  a traduit ça par le montage en faisant des raccords quand par exemple Sara est en répétition. Dans sa tête, elle est déjà mentalement dans le show. Donc on peut faire un flash forward. Et puis finalement, on peut revenir en arrière sur la répétition.

Tu dis donc que ce film est la petite sœur de Trois nuits par semaine mais est-ce qu’il y a une différence entre filmer Cookie et les filles du cabaret Habibi, entre filmer une drag en fiction et des queens en documentaire ?

Je pense que c’était comme inverser le ratio d’un cocktail. Dans la fiction, il y avait énormément de documentaire puisque je demandais à Cookie de jouer une version écrite d’elle-même, qui était inspirée d’elle-même. Ça racontait ma vision de spectateur même si Trois nuits par semaine ça reste une fiction écrite par un réalisateur qui fait du drag. Dans Habibi : chanson pour mes ami·e·s, l’envie c’était de faire l’inverse, de faire un portrait avec moins de filtres tout en assumant une narration et une écriture de dispositif, à savoir comment on créé des moments dans les séquences et comment on fait avancer la narration. Les deux se rejoignent, dans les deux cas je les ai filmées avec le même émerveillement. Ça part quand même d’une passion en fait pour les artistes drag. Là où je me sentais privilégié et intéressé, c’est que je pouvais entrer dans leur intimité et dans le secret de la fabrication. Ce n’était pas l’intimité biographique qui m’intéressait mais le secret de l’artisan.

Un des enjeux du film, c’était d’aussi offrir un contre-récit par rapport à ce qui est plus médiatisé où les artistes n’allaient pas parler de leurs traumas, par exemple mais la passion qu’ils mettent au travail parce que je trouve qu’il y a déjà bien des choses à raconter quand on voit Tuna fabriquer un objet 3D pour performer avec, par exemple…

Il y a aussi un choix, dans le cabaret comme dans le film, d’avoir une forme de drag assez varié. Il y a d’ailleurs un moment donné où Tuna dit qu’elle a envie de voir du drag un peu plus varié dans les esthétiques, dans les envies… C’est aussi un choix que tu fais, dans les artistes que tu invites et que tu as filmé pour le film ?

Complètement. La Habibi ça fait quand même partie d’une des grosses soirées parisiennes comme la Blue Velvet, comme La boîte à bijoux que Ruby faisait ou comme la Gender Fuck de Gemini, qui a le souci d’être représentatif·ves du milieu drag donc ne pas avoir que des artistes queens. Dans le film, des questions d’agenda ont fait que j’avais que des queens mais elles ont quand même différentes approches du drag.

C’est beaucoup un film sur le double. En le faisant, je me suis rendu compte qu’on avait pas toutes la même approche. C’est pour ça que celle de Tuna, qui a plus une approche de plasticienne m’a intéressé en contrepoint à la mienne, où j’ai une approche d’acteur avec le personnage, là où Sara a une approche de performeur… Le film ça m’a beaucoup appris à cesser de cloisonner ma vie drag, mon moi drag et mon moi civil. Grâce à ces discussions et ces portraits, il y a quelque chose qui s’est beaucoup plus aligné. C’est quelque chose que j’ai compris pendant le film et aujourd’hui je n’aurais plus le même discours sur mon drag.

Tu alternes justement entre le spectacle, ses répétitions et les activités de soutien communautaire de La Flèche d’or. Pourquoi c’était important de montrer ces deux aspects-là ?

Je ne me voyais pas filmer La Flèche sans montrer aussi les actions solidaires, celles et ceux qui font la Flèche. La soirée Habibi, pour moi, elle a grandi autant parce qu’elle était dans ce lieu, parce qu’elle résonne avec un projet politique. Les fois où je l’ai exportée ailleurs, ça n’a pas eu la même répercussion, ça n’avait pas le même sens. Cette soirée a cet ADN-là parce qu’elle est dans ce lieu, il y a vraiment quelque chose qui s’est rencontré entre mon personnage drag, cette entité très chaleureuse, dans l’accueil, et ce lieu qui pense très fort à l’accueil de tous et toutes.

Donc, quelque part, Javel, elle a pris de l’ampleur… Enfin, j’ai pris de l’ampleur en Javel parce que j’étais dans cet endroit-là. Et puis après, il y avait un truc très concret, les activités solidaires, elles ne s’arrêtent pas quand nous on répète. On croise les personnes qui sont là pour la cantine solidaire, il y a des places à prix réduit pour que les personnes les plus précaires puissent voir le show… C’était une des organisatrices qui me disait que les tables sur lesquelles on se maquille, elles servent la veille à la permanence juridique gratuite. Donc il y a une porosité qui fait que je ne pouvais pas faire abstraction du fait que nous, on performe le samedi mais le vendredi, il y a des distributions de produits d’hygiène et le dimanche, il y a un petit déjeuner solidaire.

A un moment donné dans le film tu écris une prise de parole sur le contexte politique français où tu souhaites parler à la fois d’extrême-droitisation et en même temps ne pas avoir un discours trop plombant. Est-ce que c’est quelque chose d’également présent dans ton drag et dans ta façon de faire du cinéma, ce juste milieu entre « il faut qu’on parle de choses sérieuses » et « je suis là aussi pour divertir » ?

Totalement, dans mon drag et dans mon cinéma. J’ai l’impression dans mes films d’écrire des objets en conscience mais qui ne soulignent pas leur propre militantisme. Pourtant, Trois nuits par semaine, c’était un film sur le désir et sur ce qu’il y a de politique dans le fait qu’un homme désire un autre homme sans que ce soit ça le problème. Comment ouvrir des horizons dans son désir, c’est politique. Et pourtant le film à aucun moment il ne souligne ça. J’essaie de le faire discrètement pour que ça infuse le discours du film et que ça laisse personne à la porte aussi. C’est vrai que j’ai quand même beaucoup le goût de faire des objets inclusifs, des objets qui ont une conscience politique mais qui sont accessibles aussi à celles et ceux qui n’en ont pas. Je pense un petit peu les choses comme un cheval de Troie. Les soirées Habibi, c’est plus politisé car on est dans un lieu militant et du coup mes prises de parole peuvent être plus directement politisées. C’est aussi la question de la responsabilité de la prise de parole. Je montais sur scène chez eux juste après la mort de Nahel donc avec une conscience des violences policières et c’était impossible d’en faire abstraction surtout après que la fachosphère avait, suite à des menaces, fait annuler un concert de soutien aux familles des victimes.

C’est quoi le futur de Javel et de Florent, côté projets et côté drag ?

Là je suis en train de terminer mon court-métrage Nous les prochains qui est la suite d’Un homme mon fils, mon premier court pour lequel j’avais créé Javel Habibi. Je reprends le trio que je formais avec mon père, le fils joué par moi et la sœur, interprétée par Calypso Baquey. C’est un préachat Arte donc j’ai hâte qu’il sorte sur la chaîne. Je suis déjà en écriture d’une autre fiction qui ne se passe pas dans le milieu drag. Et puis j’ai accompagné Sara Forever dans la mise en scène de son solo, Dynasties et je vais collaborer avec Ruby… Et puis la Habibi continue, il y en a onze cette année et j’en host neuf ! Donc on se verra à la Flèche d’or !

Habibi : chanson pour mes ami·e·s est diffusé ce lundi 25 novembre à 17h45 au festival Chéries-Chéris en présence d’une partie de l’équipe.