Ariane Jousse dévoile son premier roman « Terreur »

Avec Terreur, Ariane Jousse explore la fascination d’une femme pour une autre, entre cinéma et quête personnelle. Une actrice blonde, sidérante, disparaît au sommet de sa carrière, laissant derrière elle un mystère. De l’autre côté de l’écran, une spectatrice en plein étouffement quotidien se laisse happer par cette disparition, jusqu’à se rendre sur les lieux du tournage du dernier film de la comédienne disparue.

Dans un montage organique où les regards s’entrelacent, la narratrice découvre la puissance émancipatrice du regard féminin et de la fiction. Entre glamour et mystère, ce premier roman psychologique s’inscrit dans la lignée du female gaze, un prisme encore rare en littérature, et interroge ce que les icônes féminines nous offrent lorsque nous les voyons vraiment.

Est-ce que vous pouvez vous présenter et nous raconter la genèse de ce livre ?

En dehors de l’écriture, je suis prof de lettres à Saint-Denis. J’ai publié un livre de poésie en 2019, La fabrique du rouge, et Terreur est mon premier roman. Durant très longtemps, j’ai été fascinée par des actrices et des figures de femmes qui ont joué un rôle capital dans la constitution de mon imaginaire et dans ma construction identitaire. Terreur est né du besoin de comprendre cet amour et cette fascination.

Si Terreur était une bande-annonce de film, comment la décririez-vous en deux-trois phrases pour piquer la curiosité des spectateurs – sans spoiler ! – ?

Il y aurait sans doute un côté David Lynch… Plan large sur la mer bleue – au centre du cadre, apparait une femme blonde qui nage éperdument. Aussitôt, l’image bascule, on est dans une chambre d’hôtel avec une autre femme. Elle suit le parcours de la nageuse sur son écran d’ordinateur, on la devine captivée et fascinée par ce qu’elle regarde…

Ce serait quoi la bande-son parfaite pour découvrir ce roman ?

Le 2e mouvement de L’été de Vivaldi recomposé par Max Richter, et on enchaîne sur « La nuit tombe » de Mansfield.TYA, puis sur de la variété italienne ultra solaire…

Vous alternez des descriptions de ce qu’il y a à l’écran pendant le visionnage et des éléments de récit à plus strictement parler. Pouvez-vous nous expliquer votre choix de cette approche narrative et comment elle reflète la complexité des interactions humaines et du rapport au film et l’actrice ?

Deux fils narratifs s’entrelacent dans le roman. On suit d’une part l’histoire du personnage principal, une femme qui se prend d’obsession pour la disparition soudaine de M.V., une actrice au sommet de sa carrière. En parallèle, il y a l’histoire du dernier film de M.V., que la narratrice regarde frénétiquement sur son ordinateur. Cet entrelacement éclaire son évolution intérieure et les différents affects qui la traversent au gré du visionnage du film.

La disparition de l’actrice M.V. est un événement central dans le roman. Comment cette disparition affecte-t-elle les relations entre les personnages et leur perception d’eux-mêmes et des autres ?

On ne sait pas grand-chose de la vie de la narratrice avant qu’elle apprenne cette disparition. On la sent très seule et assez terrifiée par un passé douloureux, qu’on devine par endroits. C’est la découverte de ce film féministe qui va l’aider à avancer, à s’ouvrir au monde, à se réapproprier son corps et sa sensualité. Je suis persuadée que le female gaze possède des vertus thérapeutiques ! En tout cas, peu à peu, il soigne et répare mon personnage en profondeur.

Terreur présente des personnages dont les identités sont souvent floues et en constante évolution. Ils sont par ailleurs assez peu décrits. Comment ce flou autour des identités interagit-il avec les thèmes de genre et de perception dans votre roman ?

En tant qu’autrice lesbienne, j’étais très attachée au fait d’introduire des personnages queer dans le roman et d’éviter toute forme d’hétéronormativité. La réalisatrice du film, Noor Ginostra, affiche ouvertement son amour pour les femmes. C’était aussi important pour moi d’entretenir une espèce de flou sur la sexualité de l’actrice, de ne pas la présupposer hétéro et d’ouvrir les possibles.

Imaginons que vous deviez faire une apparition dans votre propre roman sous forme d’un personnage. Qui seriez-vous, et quel rôle jouerez-vous dans ce monde mystérieux de Terreur ?

Je crois qu’il y a beaucoup de moi dans tous les personnages du roman. Je serais bien sûr celle qui regarde l’actrice avec passion, mais aussi l’actrice elle-même parce que j’adore porter des tenues ultra fem et des manteaux léopard… Et puis je serais sans doute aussi le petit garçon craintif qui apparaît dans la deuxième moitié du roman.

Votre roman semble être habité par la puissance du regard et des apparences, des éléments souvent explorés dans le cinéma. Comment le cinéma a-t-il influencé la structure et le style de Terreur ? D’où vient la fascination exercée par le film Terreur ? Est-ce qu’un film et une actrice vous ont inspirée ?

J’ai toujours été habitée par des actrices et par des fictions. De nombreux films innervent Terreur, comme ceux d’Antonioni avec Monica Vitti ou Opening night avec Gena Rowlands, mais c’est Sibyl de Justine Triet qui m’a obsédée durant l’écriture. Je me suis identifiée au personnage joué par Virginie Efira, j’y ai beaucoup réfléchi. Et puis le montage très haché de Sibyl, avec ses nombreux flashbacks, m’a aidée à penser celui du roman.

On peut voir des parallèles entre Terreur et l’œuvre de Marguerite Duras, notamment en ce qui concerne le traitement du regard et des relations interpersonnelles. Dans quelle mesure Duras ou les nouveaux romanciers ont-ils influencé votre écriture et la construction de vos personnages ?

Je n’ai pas pensé consciemment à Duras pendant l’écriture, mais a posteriori, des liens m’apparaissent de manière assez claire, en matière de toponymie notamment. On retrouve aussi les thèmes du Ravissement de Lol V. Stein. J’ai été très marquée par l’image de cette femme allongée dans un champ de seigle, qui regarde en voyeuse l’homme qu’elle aime. Peut-être qu’il y a dans Terreur un peu de son vertige, de son vacillement intérieur…

Terreur d’Ariane Jousse, éditions de l’Ogre