Avec « Hors d’atteinte », Marcia Burnier signe un deuxième roman de résistance et de reconstruction

Après le succès des Orageuses, Marcia Burnier nous offre un deuxième roman, toujours aux éditions Cambourakis, de résistance et de reconstruction qui aborde avec force les questions de violences, de consentement et de domination patriarcale au sein du couple.

Après plusieurs années d’une relation d’emprise avec un homme, Erin a trouvé la force de s’échapper pour recommencer sa vie seule. Du jour au lendemain, elle adopte une chienne qui devient une compagne indispensable, loue une maison isolée dans un village des Pyrénées où elle n’a plus à craindre d’être jugée, et se réapproprie son quotidien, en apprenant à vivre au rythme des saisons et de la nature.

Nous avons discuté avec Marcia Burnier.

Pourquoi avoir fait le choix d’évoquer des violences psychologiques ? Est-ce parce qu’elles sont peut-être plus difficiles à considérer de l’extérieur ?

Oui, exactement. Les violences psychologiques sont très rarement la cible de campagnes spécifiques, on les met souvent en doute, on les considère moins grave. Ce sont des violences qu’on ne peut jamais prouver, dont on a souvent aucune trace. Lorsqu’on est ou qu’on a été victime de violence dans un couple, l’enjeu de la preuve est permanent. On nous demande toujours, mais t’es sûre ? On doute, on traque les incohérences. Comment prouver ? Il faut sans cesse se rappeler, faire dérouler les souvenirs, être sûre qu’on n’a pas rêvé, jour après jour, mois après mois.
Et puis, je voulais aussi parler du viol conjugal quand il est si régulier que l’appeler comme ça nous parait presque déplacé, un mot si chargé pour quelque chose qui nous arrive si souvent, de la honte de ne plus arriver à dire non.

L’impact de l’emprise psychologique est insidieux. Il y a un jeu d’aller-retours dans le roman qui permet de donner l’image de la relation dans laquelle Erin vivait. Comment êtes-vous parvenue à représenter le poids de cette violence psychologique ?


Je suis d’abord partie des symptômes physiques : essayer de décrire au plus juste les sensations d’une crise d’angoisse, de l’angoisse qui monte au quotidien, du corps en arrêt, des larmes. Je me suis beaucoup interrogée, analysée, dissequée.

Peut-on dire qu’il s’agit d’une histoire de reconstruction ? Pourquoi cette reconstruction passe-t-elle par l’éloignement ?

Erin a besoin de choisir la solitude plutôt que de la subir. Elle a besoin de partir loin de son entourage qui ne l’aide pas, qui lui fait sentir qu’elle est absolument seule au monde. Elle a besoin de se prouver qu’elle peut avancer sans lui.

Vous évoquez l’idée que la violence subie a été possible parce qu’Erin était déjà fragilisée par d’autres relations antérieures. Est-ce que vous vouliez mettre en évidence un continuum des violences patriarcales et sexistes ?

Oui, exactement. Il y a quelques années au travail, j’étais tombée sur une statistique qui m’avait frappée : on a davantage de risque d’être violée/de subir de la violence conjugale si on a déjà été victime dans le passé. Et souvent, les gens voient ça à l’inverse : « violée une fois oui, mais deux ça devient suspect », donc c’est quelque chose d’important à comprendre, que subir des violences tend aussi à briser notre radar à danger, notre curseur de ce qui est acceptable ou non et donc qu’on se retrouve à risque d’être à nouveau la cible d’un agresseur.

La question de l’impact sur la santé mentale est aussi centrale dans le roman. Pourquoi était-il important de montrer que l’emprise psychologique a détruit Erin ?

Probablement parce que c’est souvent passé sous silence. Je trouve peu de choses écrites sur l’angoisse, sur la santé mentale, et j’avais besoin de remettre le sujet au centre. D’ailleurs, sur le sujet, je conseille un excellent podcast, le LSD de Pauline Chanu – Les fantômes de l’hystérie.

Dans Les Orageuses, il était aussi question de vengeance, ce n’est pas le cas ici ? Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

J’ai eu envie d’écrire un autre livre tout simplement. Je voulais écrire une histoire où l’agresseur n’avait quasiment aucune place. La vengeance est une possibilité, il y en a plein d’autres. Parfois, on n’a pas envie, pas l’énergie, pas les ressources pour se venger. Parfois, il y a un temps pour la colère et un temps pour autre chose. Aucune réparation n’est universelle.

Erin parvient à se reconstruire en fuyant son cadre de vie citadin. En quoi ce retour à la nature est-il salvateur ? Il s’agit d’un retour à la nature, mais pas d’un retour au lieu d’origine. Pourquoi Erin ne va-t-elle pas vivre dans les Alpes dont elle est originaire ?

Erin a besoin d’un endroit vierge de souvenirs, un endroit qui lui permette de se questionner, de comprendre qui elle a envie d’être sans distractions et sollicitations constantes. Ça ne peut, à mon sens, que se dérouler loin de là où elle a grandi et loin de la ville. Et puis, d’un point de vue pratique, il est plus aisé de trouver une location peu chère proche des montagnes et peu fréquentée en Ariège que dans les Alpes ☺ .

Le lien avec les animaux est très important dans le roman, notamment par le biais de l’adoption d’une chienne, Tonnerre, mais également dans l’observation des animaux sauvages. En quoi le rapport aux animaux et plus largement à la nature permet-il de se reconstruire ?

Il est difficile pour moi de mettre en mot ce rapport-là. Je ne suis pas sûre d’avoir la langue pour répondre, cette langue qui me permettrait d’écrire les liens aux animaux sans tomber dans un cliché. Mais peut être que ce que je peux dire, c’est que les animaux rappellent à Erin qu’un monde existe en dehors de ce qu’elle perçoit au quotidien, un monde qui peut lui apporter une douceur infinie, des moments de grâce, et qui ne lui demande pas grand-chose en retour. Que ce monde vivant lui rappelle aussi que sa solitude n’en est pas totalement une. La nature lui donne aussi l’occasion de se tester, de tester son corps sans forcément devoir se confronter à d’autres humains. Et puis, il faut avoir vécu avec des chiens pour comprendre le niveau d’amour qu’ils donnent au quotidien, et l’apaisement que cela procure.

La reconstruction passe d’abord par le fait de se prouver à soi-même qu’on en est capable dans le roman. Est-ce que c’est d’abord un travail sur soi ?

C’est une vaste question, mais oui, pour moi c’est un travail terriblement important de retrouver une confiance en soi perdue en cours de route, ou laminée par quelqu’un d’autre. C’est un énorme travail, qui prend du temps, mais qui à mon sens ne peut être effectué par quelqu’un d’autre. Se sentir solide, avoir confiance en ses capacités, mettre des limites et arriver à les tenir, tout ça ne peut pas être insufflé par une tierce personne, sinon ça ne tient pas, ça s’écroule au premier mot de travers.

Vous faites le choix d’une narration interne à la troisième personne. Pourquoi ce choix ?

J’ai beaucoup écrit au « je » pendant ma période zine, j’ai produit des tas de textes de non fiction sur ma vie et le passage vers la fiction m’a permis de m’autoriser à inventer, à distordre les faits, à refaire l’histoire. C’est le principe du roman. La troisième personne m’a permis de marquer une distinction claire avec mes écrits précédents, et de me protéger un peu.

D’autres personnages rendent possible cette reconstruction : la voisine parisienne Aria, mais également Janine. Est-ce que l’on ne surmonte les violences sexistes que dans la sororité et l’entraide entre femmes ?

Je pense qu’il faut se méfier des généralités. Je ne crois pas à des formules qui diraient « il n’y a QUE comme ça qu’on y arrive ». On fait comme on peut, avec les ressources que l’on a à disposition. Mes livres ne sont pas des modes d’emploi, ils illustrent une histoire que j’ai envie de développer. Mais oui, dans mon vécu, il y a eu des amitiés sans lesquelles je n’aurais pas pu survivre, des amitiés qui sont venues réparer l’endroit du sentiment de solitude extrême souvent ressenti lors des violences.

Quel est l’accueil qui a été fait à ce roman ?

Un très chouette accueil ! J’ai eu une chance inouïe d’être soutenue par de nombreu.x.ses libraires. J’avais peur de présenter un livre qui ne parle pas de vengeance, peur que les personnes qui avaient aimé les Orageuses soient déçues, et j’ai été très touchée par les mots reçus sur les réseaux, les rencontres en librairies, touchée de voir qu’il parlait à beaucoup de monde.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Un projet de film encore secret, une anthologie de zines et, je l’espère, un troisième roman !

Hors d’atteinte, Marcia Burnier, éditions Cambourakis, septembre 2023