Avec « NO TEARS IN THE BACKROOM VOL. 2 » Cormac célèbre la joie d’être queer

L’engagement de Cormac pour célébrer l’histoire et la musique queer n’est pas à démontrer. Le label qu’il a créé s’appelle Polari, en référence à cette langue codée que parlaient les homosexuels pour éviter la répression. Le DJ et curateur d’Irlande du Nord revient aujourd’hui avec le second volume de sa compilation No tears in the backroom, un condensé de joie pensé comme un long voyage à travers autant d’hymnes qui puisent dans la nostalgie sans jamais se couper des références d’aujourd’hui. Toujours dans l’idée de défendre les causes qui tiennent à coeur à Cormac, les bénéfices de ce deuxième opus iront à l’ONG Médecins sans frontière qui oeuvre particulièrement à Gaza ces temps-ci. Polari avec No tears in the backroom nous rappelle que la musique électronique queer a toujours été politique. Entretien.

Bonjour ! Merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. J’ai adoré la compilation, que je trouve absolument parfaite. Et Romy est l’une des artistes qui m’a le plus touchée récemment, alors merci pour ce podcast !

Il n’y a pas de quoi. Merci de m’avoir contacté.

Peux-tu nous parler un peu de ta carrière d’artiste et te présenter à nos lecteurices qui ne te connaissent peut-être pas ?

Je m’appelle Cormac, je suis un homme blanc cis et homosexuel. Je suis né en Irlande du Nord et la plupart des gens me connaissent en tant que DJ et producteur, ce que je fais depuis une vingtaine d’années. Je dirige un label, Polari, et j’ai récemment lancé mon nouveau podcast Queerly Beloved, où je discute avec d’autres DJ, artistes et alliés homosexuels du rôle de la musique dans leur vie.

Tu viens de sortir une compilation intitulée No tears in the backroom : est-ce une façon d’affirmer la joie d’être queer ?

Tout à fait. Je voulais mettre l’accent sur la joie d’être homosexuel. J’ai grandi dans un foyer catholique conservateur et je connais bien l’idée hétéronormative selon laquelle les homosexuels sont plus dévergondés ou immoraux. Quand je fais de la musique, je remets souvent en question cette idée, je célèbre le caractère unique de la vie queer, je célèbre les choses que l’on trouve plus communément dans les vies queer, le polyamour, les relations ouvertes, la non-monogamie éthique, ou les rencontres anonymes et amusantes. Avec les titres de la série de compilations, je voulais célébrer le sexe occasionnel consensuel comme faisant partie d’un choix sain et honnête plutôt que comme quelque chose de honteux. La darkroom, les espaces kink ou l’espace de la relation non-monogame peuvent être un lieu de rencontre et d’échange.

Comment élabores-tu une compilation ? Quels sont les points communs et les différences avec la façon dont tu joues en tant que DJ ?

En matière de musique, je suis très instinctif. Lorsque je choisis la musique à inclure dans mon set de DJ, je suis ma première réaction instinctive. Ma piste de danse est un endroit où l’on peut se défaire de toute réflexion ou analyse excessive. Je veux vivre des émotions et transcender mes pensées lorsque je danse, alors je choisis des musiques qui, selon moi, facilitent cette expérience. La compilation peut être considérée comme une sorte de mini-dj set. Je choisis et organise la musique avec un début, un milieu et une fin.

La musique gay (et la musique queer en général) a eu une influence considérable sur la musique électronique. Penses-tu que les personnes homosexuelles entretiennent une relation particulière avec la musique ?

La musique est très importante pour les personnes homosexuelles parce que nous avons été confronté·es à des luttes tout au long de l’histoire. Il y a quelques décennies, être homosexuel·le était illégal dans de nombreux endroits, et c’est encore le cas dans 64 pays aujourd’hui. Même aujourd’hui, il y a des défis à relever, comme la question du don’t say gay en Floride ou la montée du conservatisme de droite en Europe.

La musique et les clubs ont toujours été des espaces sûrs pour les personnes homosexuelles, offrant une pause par rapport aux normes sociétales. Ces lieux offrent détente, connexion, exploration et amour inconditionnel. Ce sont des havres de paix où les personnes homosexuelles peuvent être elles-mêmes sans stress ni peur permanents. Certaines idées révolutionnaires ont même vu le jour sur des pistes de danse, comme le mouvement Stonewall.

La vie queer a grandement influencé la musique et la vie nocturne tout au long de l’histoire.

Les bénéfices de la compilation sont reversés à Médecin sans frontières. Pourquoi cette initiative ?

J’aimerais que la musique du label contribue, ne serait-ce que modestement, à aider les personnes touchées par la guerre et les conflits. Je pense qu’il est toujours plus important de promouvoir des organisations qui se concentrent sur les solutions que de prendre des positions politiques. Médecin sans frontières est une organisation non gouvernementale qui travaille dans le monde entier là où une aide médicale d’urgence est nécessaire.

Vue des bureaux de MSF à Gaza © Yuna Cho/MSF

Que signifie pour toi d’être un artiste engagé ?

C’est beaucoup de choses. Il y a eu des moments dans ce voyage où j’ai dû m’engager profondément, des moments où j’ai eu du mal à payer mon loyer ou à vivre correctement parce que j’ai choisi de faire de ma créativité ma profession. Ce n’est un secret pour personne que le monde capitaliste dans lequel nous vivons soutient les sociétés et les entreprises plutôt que les individus.
Mais il y a bien d’autres avantages moins externes. La musique et le métier de DJ font partie intégrante de ma vie. J’ai appris beaucoup de leçons de vie dans le DJ booth ou en voyageant et, en fin de compte, ma créativité est une partie importante de la façon dont je donne un sens à ce monde fou. C’est une façon magnifique et privilégiée de contribuer.

Tu crées des plateformes de visibilité pour les artistes en leur donnant une voix pour raconter l’histoire de la musique queer, notamment via le podcast queerly beloved. Pourquoi est-il important de documenter notre histoire ?

Tout d’abord, un grand nombre des réalisations incroyables de la société actuelle sont issues de la culture queer. On peut dire que vous n’auriez pas votre ordinateur portable sans le scientifique Alan Turing. Des philosophes comme Socrate, Alexandre le Grand, il y a tant de figures dans l’histoire qui ont massivement changé le monde dans lequel nous vivons, la façon dont nous pensons, la façon dont la société est. Le monde de l’art serait bien moins riche sans nous, et pourtant, à cause de l’homophobie, de nombreux jeunes ne connaissent pas notre grandeur. Ils grandissent en ayant honte d’être homosexuels. Ils sont ostracisés.
Grandir en tant que pédé devient heureusement plus facile pour certains enfants à travers le monde, mais pour beaucoup d’entre eux, cela s’accompagne de défis tout à fait uniques. Pour beaucoup d’enfants, être homosexuel signifie être une minorité au sein de sa propre famille, ce qui peut entraîner une grande solitude.
Je pense que nous nous nous habituons à être seuls et que, peut-être en conséquence, nous portons la solitude jusqu’à l’âge adulte. Il y a un aspect guerrier à le faire en solo, mais peut-être que nous finissons par être seuls dans des sentiments qu’il vaudrait mieux partager. Nous sommes trois fois plus susceptibles d’être confrontés à des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.
Avec Queerly Beloved, je veux que nous racontions nos histoires uniques afin que nous puissions trouver nos points communs et nous connecter davantage… pour essayer de guérir en tant que communauté.

No tears in the backroom vol.2, curated by Cormac, Polari, sortie le 31 janvier