On avait découvert Coeur dans son premier projet très punk Schlaasss avec lequel, de son propre aveu, elle a fait plein de dingueries. Le logo de Schlaasss, c’était le couteau, le poing et le cœur. L’artiste chanteuse a laissé tomber ses armures et développe un univers dont les maîtres mots sont l’émotion et la liberté. Elle a dévoilé fin janvier un nouvel album, SHOW, et nous l’avons rencontrée en amont de sa date au Bateau-Phare pour la date organisée par Kelyboy.
Sans renier ses origines punk rap et l’énergie brute de Schlass, Coeur reconnaît avoir développé son propre rapport à la liberté grâce à son précédent projet. Mais côtoyer quelqu’un d’autre a pu réduire son champ d’inspiration : « On devient qui on côtoie. » La fonction de Schlass était de foutre la merde en parlant beaucoup de politique, c’était un travail qui supportait mal les chansons d’amour or c’étaient des thématiques que la chanteuse, désormais en solo, voulait aborder et de fait tout son premier album en est quasi exclusivement constitué. Cœur n’a pour autant pas envie de casser tout ce qu’elle a fait avant : « Je ne serai pas arrivée là sans tout le reste ».
Elle garde de toute cette période une énergie très punk qui s’exprime dans la colère: « C’est un peu mon combat global, tu peux être en colère et douce, avoir une voix énervée et une voix douce, tu peux aimer la trap et aimer la pop ». Il y a plein de sortes de colères qu’on a tendance à occulter, notamment par tout le courant du développement personnel et de tout ce qui se fait autour d’une forme positive de spiritualité. On essaie beaucoup d’éteindre la colère. « C’est aussi vraiment du feu la colère, c’est aussi quelque chose qui peut se retourner contre toi » La chanteuse canalise cette énergie dans ma musique : « c’est ce qui nous aide à sortir du ventre de notre mère ».
« Le monde, la vie : tout me met en colère mais j’essaie de pas me faire niquer par ça » La colère des femmes est socialement très mal perçue, mais « quand t’en as chié, t’as la colère facile mais c’est une arme que les dominants peuvent très facilement retourner contre toi » C’est une émotion qui crée des cercles de sabotage pour les gens qui sont en colère. Il y a beaucoup de rapports de classe dans l’idée que la colère est quelque chose à laquelle on cède parce qu’on est faible. Pourtant, il y a un sentiment euphorisant à l’écoute d’une musique violente. Cœur rappelle que c’est tout l’histoire du punk et du hip hop qui sont pour elle ses deux plus grandes influences. C’est l’énergie des battles : t’as envie de te battre mais tu renverses cette énergie pour faire quelque chose qui va faire du bien aux gens. « Le punk et le rap, c’est un moyen d’exprimer ta colère sans qu’elle te brise. »
Justement quand on lui demande quels sont ses rapports avec les structures institutionnelles, elle nous explique qu’elle a toujours eu du mal à intégrer ces sphères car sa musique a toujours paru revêtir un caractère d’avant-garde. « J’ai une sorte de je m’en foutisme global par rapport au regard des autres qui me met des bâtons dans les roues. Quand tu es à l’orée des trucs, tu as toujours l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. » Mais elle poursuit : «c’est en rentrant dans le système que tu peux le niquer» Ainsi, elle souhaite à tous les gens précarisés de gagner en visibilité et de gagner plein d’argent pour faire évoluer le système. Aujourd’hui Cœur refuse de forcer le trait pour capitaliser sur des tendances. Elle joue volontairement à la frontière entre l’underground et le mainstream.
Si Cœur se définit comme une artiste engagée, elle œuvre pour la paix mais de son propre aveu : « Mais si on ne travaille pas sur la violence, on ne pourra pas travailler sur la paix. » Ainsi, elle refuse aussi d’instrumentaliser son engagement, l’interlude de son premier album, c’était « Ce qui compte c’est ce qu’on fait ».
Ainsi pour Coeur l’engagement, ce n’est pas poster des stories sur Instagram, elle n’essaie pas de se donner une image de ce qu’elle n’est pas. Elle met les mains dans le cambouis en travaillant avec les jeunes en difficulté par définition refusant que le travail d’artiste se résume à une vitrine. « Je n’aime pas le mot mixité que je trouve un peu débile mais pour avoir beaucoup observé : la seule manière pour que les gens se comprennent il faut qu’ils se côtoient donc j’essaie de faire ça dans les milieux où j’ai un peu de pouvoir ».
Ainsi Coeur est une outsider un peu partout, ce qui n’est pas toujours facile. « Refuser d’appartenir vraiment à aucune communauté fait que t’as jamais aucune certitude, j’ai un esprit mouvant qui est inconfortable car il serait beaucoup plus facile à vivre d’avoir des certitudes : c’est pas pour rien que les gens se disent qu’ils ont raison et que les autres ont tort. »