Si vous aimez le drag, il est fort probable que vous ayez déjà admiré du Pipa Just Pipa, que ce soit sur la scène de Drag Race France, sur le corps virevoltant de Calypso Overkill ou encore magnifiant l’allure envoûtante de Vesper Quinn. Pipa Just Pipa, contrairement à ce que le nom laisse penser, ce n’est pas juste Pipa, l’âme créatrice, mais aussi Richie, qui se charge de la com’ et de l’administratif. Synergie professionnelle, inspirations artistiques et rêves d’habiller Cher : pour ce premier Coulisses Drag, ils nous ont tout raconté !
Hello à vous deux ! Tout d’abord, Pipa, est-ce que tu peux nous raconter ta découverte du drag ? Qu’est-ce qui t’as poussé à créer pour ces artistes-là, qu’est-ce qu’il y a de particulier à travailler avec elles/eux ?
J’ai découvert le drag par le biais de ma pratique du théâtre en 2013. J’étais à la fac, on travaillait sur un opéra rock sur le genre (au sens queer du terme, évidemment) et on avait le Rocky Horror en fil rouge. Je jouais Dr Frank-N-Furter, et je suis directement tombé en amour pour le rôle. J’ai commencé à creuser autour de ce personnage, à chercher d’autres films parlant de travestissements et de genre, ce qui m’a naturellement amené vers RuPaul, et vers Drag Race, que je n’ai plus lâché depuis. J’ai regardé toutes les saisons sans exception.
Ma première expérience en réel s’est faite sur un char, lors de ma première Pride à Bordeaux en 2015. À Paris, j’ai vu mon premier show en 2018, hosté par Sativa Blaze à la Mutinerie. À partir de là, l’idée a germé en moi. Je savais coudre, le milieu me passionnait déjà, il n’y avait plus qu’à. Ensuite la magie des réseaux sociaux a opéré : j’ai répondu à la demande d’une certaine Calypso Overkill sur Twitter. Elle cherchait un designer pour un look, j’ai tenté ma chance, et elle me l’a offerte. Par la suite, je lui ai désigné pas mal d’outfits, et ça restera éternellement la cliente d’origine.
Richie : C’est marrant de voir comment nos parcours se croisent avant même qu’on se rencontre. De mon côté je regardais aussi déjà Drag Race (avec moins d’assiduité, il faut l’admettre). À l’époque, j’étais en école de journalisme, et j’ai contacté Calypso sur Twitter pour une interview, elle m’a donné rendez-vous à la Mut, et m’a dit « viens demain, Sativa host un show ». On a vu le même show avec Pipa, sans se rencontrer. J’avais déjà vu du drag sur scène à Londres, mais c’était mon premier show à Paris. Par la suite quand Pipa a commencé à désigner pour Calypso, moi je faisais la caisse des Fugly. Il venait la livrer le soir des shows, et je le voyais passer sans le reconnaître. Ça a bien duré un an et demi. En 2019 quand j’ai commencé à bosser dans le même bureau que lui, on s’est reconnus et on s’est plus lâchés depuis.
Pipa : C’est donc en 2019 qu’est née Pipa, mon persona drag à moi. J’ai avancé comme ça, en me créant et en me découvrant, en cousant pour moi et pour les autres. Assez rapidement j’ai vu que je pouvais apporter ma pierre à l’édifice qu’est l’art queer français. C’est ce qui m’a poussé à m’impliquer dans la communauté.
En parallèle de ça j’avançais dans une formation en luxe, et je commençais à pouvoir défendre un sérieux bagage sur le plan de la culture mode. Avec mes créations, j’ai vite réalisé que j’allais pouvoir allier les trois : une expertise en couture, un savoir faire en culture mode, et un bagage forgé par la culture queer. De là est né le projet Pipa Just Pipa.
À tout ça est rapidement venu s’ajouter le dernier élément manquant : une connaissance du corps drag, afin de pouvoir facilement travailler pour toustes. Chaque artiste et chaque projet est différent du précédent, et iels demandent une capacité d’adaptation. J’ai été formé à bosser avec des mannequins qui ont toustes le même corps, ou qui ont pour job de s’adapter. Chez PJP c’est moi qui m’adapte. C’est hyper intéressant et enrichissant pour un artisan comme moi de rencontrer des individus, et d’être le réalisateur de créations uniques, propres à chacun•e, et de donner vie à des idées. Un peu comme une marraine la bonne fée, mais en queer (si elle faisait 1m87 et avait une barbe). À mon niveau, j’interviens en soumettant mes idées ou mon approche plus réaliste de la faisabilité d’un costume, mais aussi en apportant une bonne dose de références fashions. Je dis très rarement non à un projet, car chaque nouvelle idée est une opportunité pour moi d’expérimenter, d’apprendre, de me rater et de me corriger. J’ai appris à parfaire mes capacités en même temps que la scène drag locale a grandi.
Richie : C’est ça la signature PJP, c’est une interprétation queer et camp des codes de la Mode à la française. Pipa et moi, on s’est tous les deux formés à la dure dans l’industrie de la mode, avec nos préférences respectives, et c’est en les mélangeant ensemble, et avec des références queers et théâtrales qu’on obtient les créas qu’on a aujourd’hui.
Quels sont les artistes qui t’inspirent, aussi bien créateurices mode qu’autres ?
Côté créateurices, je suis plutôt tourné couture du passé ; je suis très Elsa Schiaparelli, Yves Saint Laurent et Christian Dior. C’est dans les profondeurs du 20eme siècle que je tire mes idées. J’ai rendu hommage à ces trois là dans ma première collection capsule, en recréant quelques-unes de leurs signatures, mais en y injectant des références intrinsèquement queers, et en les portant moi-même, en drag.
Plus largement, j’aime la MODE, avec un grand M : de Lacroix à Montana en passant par Gaultier, je suis très attaché à la couture à la française. Aujourd’hui, seul Daniel Roseberry chez Schiaparelli pique encore ma curiosité. En dehors de la mode je suis très pop culture, je pioche mes influences dans ce qui me fait du bien, ce qui me réconforte. Pour moi, de Disney à Céline Dion il n’y a qu’un pas.
Richie : Moi ma culture mode est beaucoup plus récente, j’aime énormément étudier ce que les designers d’aujourd’hui font quand on leur met dans les mains une maison historique. C’est toujours à prendre avec beaucoup de recul, mais c’est l’aspect marketing de l’industrie qui m’excite. Avec Pipa on suit les défilés chaque saison. Et chaque saison on a la même dispute. Les exemples se déplacent d’une maison à une autre selon les collections, mais les arguments sont les mêmes. Pipa est atterré de ce qu’il se passe à la Fashion week. Moi, j’adore voir évoluer la mode. J’adore que Virginie Viard détruise méthodiquement l’héritage de Karl, que Maria Grazia ait l’air de n’avoir jamais vu une robe Christian Dior, ou que Kim Jones tente vainement de réinventer le Fendi Baguette. Je trouve ça camp ! On rigole en disant que Hubert de Givenchy et Cristobal Balenciaga doivent tellement se retourner dans leur tombe que si on les branchait à une prise de courant, ça ferait une source d’énergie perpétuelle.
Richie, toi tu t’occupes surtout de l’aspect administratif et com’, est-ce que tu peux nous parler de ce rôle, en quoi consiste-il précisément ? Pipa, comment cela influence ton rapport à ton métier, d’avoir un partenaire qui s’occupe de cet aspect-là ?
Richie : Je résume souvent mon rôle en disant que je fais tout ce qu’il y a à faire pour que Pipa n’ait qu’à créer. Je suis l’esprit pas créatif du duo. À l’origine j’ai un bagage en communication, et c’est pour ça que Pipa a fait appel à moi. Je bossais dans un job pourri que je détestais, j’étais en costard cravate sur les Champs Elysées et j’étais pas heureux. Au moment du lancement officiel de PJP, en 2021, Pipa avait besoin d’aide pour des postes Insta. Je suis plus parti depuis. Petit à petit, j’ai appris sur le tas les ficelles de métiers auxquels je n’étais pas du tout formé. J’ai pris sous ma responsabilité la comptabilité, l’administratif, les relations avec les clients, enfin tout ce qui n’est pas du dessin. Je ne sais pas dessiner. J’ai aussi un peu appris à coudre, mais c’est vraiment pas mon fort. Pendant la préparation de la saison 1 de Drag Race France, je sortais du bureau à 18h et je courais à l’atelier faire une seconde journée de boulot, pour m’imprégner au max de l’ambiance créative avant de retourner bosser le lendemain. Quand ça s’est terminé, j’ai réalisé que je ne pouvais plus retourner au bureau. Rapidement après ça, j’ai quitté mon taf, et je suis passé à plein temps à l’atelier. À ce jour, on galère encore à se verser des salaires. Mais je préfère très sincèrement galérer avec mon chômage en étant heureux de me lever le matin pour aller bosser pour mon meilleur pote, plutôt que de revenir à la vie que je menais avant.
Pipa : Après le Covid, je n’avais plus de travail, et j’ai commencé à réfléchir à me lancer à plein temps. J’ai tout de suite dû assumer toutes les casquettes, de la comptabilité au marketing en passant par la communication en laissant un peu de côté la partie qui me nourrit le plus : la création et la couture. Comme le disait Richie, c’est là que je l’ai d’abord appelé. Ce qui avait commencé par un coup de main sur la communication et les réseaux sociaux s’est très vite transformé en une véritable collaboration à plein temps sur laquelle je peux me reposer et en laquelle j’ai confiance. Cela m’a permis de dégager un temps énorme pour vraiment être à plein temps dans l’aspect créatif, sans me tracasser que la partie administrative avance et tienne la route. PJP c’est un peu comme une bête à deux têtes, on se complète beaucoup avec Richie, car on n’a des visions différentes sur tout, on n’a pas le même bagage mode non plus, donc c’est hyper enrichissant pour PJP.
De quelle façon vous aimeriez voir Pipa Just Pipa évoluer dans les années qui viennent ?
Pipa : On a un plan prévisionnel qu’on a rédigé il y a un moment, qui s’étend sur les 20 prochaines années. Dans les faits c’est surtout ce qu’on rêve de faire avec notre projet, mais pour l’instant on tient nos objectifs, et certains se réalisent plus vites que prévu donc on a de quoi être satisfaits.
Richie : L’interview dans Friction, par exemple.
Pipa : D’un point de vue plus terre à terre, on aimerait bien que PJP puissent subvenir à nos besoins à tous les deux à temps pleins. On reste, comme beaucoup d’artistes queers, en situations précaires, et pouvoir vivre de notre art serait le symbole d’une vraie réussite. On y est pas tout à fait, mais on est sur la bonne voie ! Et sinon, côté créatif, pouvoir participer à des projets musicaux, des films, proposer de la couture et voir du PJP sur des scènes à l’international, pourquoi pas ?
On rêve un peu : pour qui tu aimerais créer une tenue, drag/célébrité vivant·e encore ou non ?
On rêve toujours un peu chez PJP, c’est le truc cool de bosser pour soi et pour la commu qu’on aime. C’est aussi ce qui m’a amené jusqu’ici donc on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Impossible de choisir qu’une seule célébrité ! Mais voir Céline Dion et Cher en PJP serait quand même le summum du kiffe. Et sinon on aimerait bien travailler avec des artistes francophones comme Bilal ou Nicky Doll bien évidemment, et en drag étrangères Brooke Lynn Hytes, Eva Le Queen ou Cheddar Gorgeous par exemple. Peu importe finalement, si ça vient en DM : on répond présent.