Notre rédactrice Virginia Moule est désormais abstinente. Elle s’est demandé ce que ça ferait de danser sans substance. Ce poème est illustré par Peter Trelcat.
J’ai voulu savoir ce que ça ferait,
De danser sobre.
Je n’avais jamais dansé avant.
Sans alcool, sans drogue. Jamais.
Quand je parle de danse,
Je ne parle pas de la valse enfantine,
Dans les bras de ma grand-mère,
Dans un magasins d’antiquités
Aux odeurs surannées.
Je parle de transe effrénée
Celle qui agite erratiquement chaque parcelle du corps
Ce corps excité par l’alcool
Poisseux de substances toxiques.
Les jours de mensonges :
Pour la musique, pour les amies, pour le plaisir.
Non : pour la substance.
Je n’ai pas le rythme dans la peau
C’est un fait
Toutes les valses du monde n’y auraient rien pu
Mon corps, sourd aux stimuli
Il a sa propre rythmique
Un univers décalé de quelques secondes
Où tout n’est qu’harmonie
Des bras qui soudain semblent trop courts
Des jambes sur ressorts
Une gigue saccadée absurde.
La mine renfrognée et sérieuse
D’une concentration intense
Toute à ces mouvements incohérents
Mâchoires crispées sur la pulsation
Qui transperce mon âme.
Et la suite ?
Quand ma mâchoire sera desserrée ?
Quand le corps aura éliminé jusqu’au souvenir des substances ?
À leur odeur ? À leur texture ?
Quel sera le chemin ?
Est-ce que mes viscères pulseront d’une même rage ?
D’un même besoin irrépressible ?
Serai-je toujours le pantin désarticulé
Que j’aime tant ?
Le viscéral, l’essentiel, le sacré.
Que restera-t-il quand le superflu aura disparu ?
J’ai peur.
Pour me prouver que je suis vivante,
Encore. Je lance très fort
Ce rythme effréné très hangar sombre
Et je pleure.
Je ferme les yeux et je sais.
Toutes les routes à emprunter
Et tous les sentiers tortueux.
Je pleure et je sais.
Il ne restera rien
Que la pulsation
Viscérale, essentielle, sacrée.