Les 17, 18 et 19 mai 2024, le festival Le Bon Air revient occuper la Friche la Belle de Mai de Marseille. Sont invité·e·s : des talents locaux, des artistes historiques de la scène électronique française et internationale… et des collectifs drag, sur scène et au milieu le public. On a rencontré Jules Duchmann, co-directeur du festival, et Cristale de Troie, du collectif Dragantuesque, pour en savoir plus.
Pour commencer, dites-moi comment se rencontrent un festival électro et un collectif drag ?
Cristale de Troie : Le Bon Air, déjà, c’est un festival auquel je vais avec grand plaisir ! Quand ils ont créé la Compagnie Guides, leur bon réflexe a été de contacter la Pride de Marseille pour avoir une visibilité queer et c’est comme ça que s’est fait le lien…
Jules Duchmann : Oui, pour créer la Compagnie Guides, on a cherché des profils de performers, de médiation, de réduction des risques… La Pride, ce sont des partenaires historiques et naturels pour développer des liens avec les communautés queers. Et quand Cristale a intégré la Compagnie, elle nous a parlé du collectif Dragantuesque qu’elle mène avec Robin des Doigts. Or, nous, on veut justement mailler le festival de performances qui soient non seulement sur scène mais aussi au cœur des publics. Notre volonté c’est de casser le rapport frontal, unilatéral entre la scène et le public. On a beaucoup fait appel à des compagnies de danse avec des performances au cœur des dancefloors ou sur des endroits de déambulation. Pour 2024, on a sollicité Dragantuesque pour deux choses : cette mission au cœur des publics, dans le dialogue, en parlant aux gens au début du festival et à des moments clés. Mais on veut aussi offrir une visibilité sur scène et c’est pour ça qu’on invite Drangantuesque et Discoquette à performer pendant le set de Peach sur la main stage le vendredi.
Comment ça se passe quand on prépare ce genre de performances, dans un festival, au milieu de gens… pas forcément très sobres ?
Cristale : Justement, c’est hyper intéressant ! Pour le dire un peu pompeusement : c’est même l’essence du drag d’aller se confronter au public de manière très concrète. Le drag, ce n’est pas être sur scène, sous les projecteurs et loin des gens. Ça commence dans un petit bar, par une interaction, une blague avec une personne du public plus ou moins bourrée… Retrouver cette échelle dans un grand festival, ça m’interpelle et ça m’intéresse énormément. Ça va permettre de recréer des interactions différentes, en petit comité, pendant dix minutes/un quart d’heure, quelque chose va se passer et puis les gens vont pouvoir repartir danser ou prendre un verre…
Jules : On écrit ça ensemble : on veut se servir du festival comme un laboratoire pour ces performances au cœur des publics. On veut qu’il y ait un dialogue, que les personnes ne soient pas juste dans la réception d’un show ou d’un DJ set mais qu’iels en soient acteurices.
Cristale : D’ailleurs, le fait d’être en full drag au milieu de festivalier·ère·s, c’est déjà une performance. On reçoit des compliments, on répond aux questions… c’est une forme de show pas préparé ! Par exemple, une fois, quatre mecs sont venus me demander « Pourquoi maintenant il faut dire “transgenre” et plus “transexuel” ? » Bon, bah on y va, on fait de la pédagogie !
C’est l’essence du drag d’aller se confronter au public de manière très concrète. Le drag, ce n’est pas être sur scène, sous les projecteurs et loin des gens. Ça commence dans un petit bar, par une interaction, une blague avec une personne du public plus ou moins bourrée…
Cristale de Troie
Par ailleurs, j’aimerais aussi vraiment qu’on puisse faire entrer la musique électro dans le champ de la culture populaire : avec Robin des Doigts on anime souvent des blind tests et une des pistes qu’on a pour Le Bon Air c’est de faire quelque chose dans ce genre avec des catégories qui sortent des habituelles « Musiques de film » etc.
Jules : Et sans faire de la science de comptoir, je suis intimement convaincu que la pédagogie faite dans le divertissement, ça a beaucoup plus d’impact. On organise aussi des tables-rondes sur des sujets de fond super intéressants… mais remobiliser et impliquer les gens, ça passe par le fun et l’amusement.
Concrètement, comment vos actions vont se dérouler au milieu d’un festival qui compte plus 70 artistes au programme ?
Cristale : Notre but c’est d’occuper les espaces interstices, les lieux de transition. Un peu comme une page de pubs entre deux émissions mais sans le capitalisme. Il faudra qu’on soit nomade, qu’on puisse par moment faire venir des gens et à d’autres moments être discret·ète·s… On pense à un truc sur roulettes mais on verra bien quelle forme ça prend ! Ça reste de l’expérimentation. D’ailleurs merci au festival de nous laisser cette liberté !
Jules : Mais merci à vous de nous accompagner là-dedans, on apprend à vos côtés ! D’ailleurs on pourrait en parler pendant deux heures mais quand vous viendrez au festival, ça sera probablement très différent de ce qu’on a imaginé car le public pourra réagir d’une manière totalement inattendue !
Une dernière question plus générale : Le Bon Air a lieu à la Friche la Belle de Mai. Et la Belle de Mai n’est pas n’importe quel quartier de Marseille : historiquement et encore aujourd’hui, c’est un quartier très populaire. Vous travaillez en lien avec les habitant·e·s ?
Jules : On sait qu’on dénote un peu : on « privatise » une partie de la Friche qui est un équipement qui appartient au quartier, donc on essaye de travailler là-dessus toute l’année. Déjà par exemple, sur les questions de nuisances sonores, qui sont un vrai sujet, on dialogue avec les habitant·e·s via les médiateur·trice·s de la Friche. On invite aussi les foyers du quartier à venir au festival. On organise par ailleurs en amont du festival une série « LBA Off », plutôt en journée, pour dialoguer avec la participation de l’équipe Le Bon Air, dont les bénévoles et technicien·ne·s. On aimerait développer ça davantage : l’idée n’est pas d’implanter ici un festival uniquement dédié aux bobos, dans un des quartiers les plus pauvres de France qui plus est. On veut s’adresser à tout le monde. Il y a évidemment une question de moyens humains et financiers pour ces temps de médiation. On a la chance d’être accompagné par les équipes de la Friche dans ce dialogue.
Le Bon Air : les 17, 18 et 19 mai 2024 à la Friche la Belle de Mai à Marseille (3e)
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[…] ? Des questions que tous les festivals doivent (ou devraient) se poser. À Marseille, depuis 2020, Le Bon Air a créé la Compagnie Guides : à mi-chemin entre la performance artistique et la médiation, des […]