Comment prévenir les violences sexistes et sexuelles ou réduire les risques liés aux substances psychoactives ? Des questions que tous les festivals doivent (ou devraient) se poser. À Marseille, depuis 2020, Le Bon Air a créé la Compagnie Guides : à mi-chemin entre la performance artistique et la médiation, des intervenant·e·s formé·e·s et salarié·e·s qui sont visibles pendant toute la durée du festival. On a rencontré Marie-Rose Frigiere, coordinatrice de la compagnie, pour en savoir plus sur ce projet original.
Bonjour Marie-Rose ! Pour commencer, est-ce que tu peux me raconter la genèse de cette Compagnie Guides ?
Marie-Rose : L’idée est apparue après le Covid, quand il a fallu repenser l’ouverture des lieux avec des jauges réduites. Le Bon Air s’est posé la question de l’accueil des festivalier·ère·s dans ce contexte de pandémie, en petit groupe mais tout en leur faisant bénéficier de tous les espaces… Ils ont donc créé ce qui s’appelait des « aiguilleurs » à l’époque : un collectif de performer·euse·s à qui on a demandé d’accueillir et faire visiter les lieux de manière performative… Ça a beaucoup plu !
En 2021, les milieux de la nuit ont été confrontés à cette épidémie de potentielles agressions à la seringue… On a dû changer le nom (rire) et c’est devenu les « guides ». Mais ce contexte — à la fois la pandémie et les suspicions d’agressions avec des aiguilles — ça nous a donné vraiment envie de prendre soin des autres !
Et toi, comment es-tu arrivée dans ce projet ? Et plus généralement, qui sont les guides ?
Marie-Rose : Je suis performeuse depuis maintenant une quinzaine d’années, j’ai énormément travaillé à la Friche La Belle de Mai dans le collectif Ornic’Art. Et ça fait maintenant trois ans que je travaille avec Le Bon Air qui a fait appel à moi pour créer cette équipe de guides et travailler sur l’accompagnement, l’image et l’aura de ces personnes.
À la base je suis art-thérapeute et j’ai beaucoup travaillé dans des lieux de soins. J’ai en plus reçu une longue formation sur les violences et le harcèlement sexistes et sexuels ainsi qu’une formation de Plus belle la nuit sur la réduction des risques.
Quand je recrute des guides, ce qui joue c’est à la fois le côté performatif (la plupart viennent du milieu de la performance, de la danse, des arts vivants, du théâtre…) mais il faut aussi qu’ils et elles aient une expérience dans le soin, l’accompagnement des personnes. On essaye aussi d’avoir une équipe qui soit à l’image de de la société contemporaine urbaine et de Marseille. Et bien sûr, chacun·e reçoit une formation sur les violences et les harcèlements sexistes et sexuels et la réduction des risques avant le festival.
On comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une simple table de prévention comme on en voit souvent ! Comment les interventions des guides se déroulent, concrètement ?
Marie-Rose : Nous, on est vraiment dans la prévention, pas dans l’interdiction. Car on est conscient qu’on intervient dans un milieu festif, qu’il y a de la consommation d’alcool et d’autres drogues et qu’on ne va pas l’empêcher. Mais on est là pour faire prendre conscience aux gens qu’il y a des conduites à risques et des bonnes pratiques. Et aussi qu’il est important d’être bienveillant·e·s et vigilant·e·s, qu’il faut prendre soin de ses ami·e·s…
Ça commence par l’accueil : on est présent dès les portiques d’entrée pour sensibiliser — y compris les agent·e·s de sécurité. On veille à ce que les personnes qui arrivent soient accueillies comme elles sont, quelle que soit leur identité, notamment les personnes trans, racisées, genderfluid… En étant là, nous, personnages en vert avec des lumières partout, cela participe à créer un environnement accueillant et bon pour pouvoir faire la fête. Mais on n’a pas d’uniforme : la lumière verte est là pour nous distinguer des festivalier·ère·s, pour être visibles y compris au milieu de gens costumés qui veulent faire la fête. La chose sur laquelle j’insiste beaucoup c’est montrer les particularités et singularités de tous·tes car l’idée aussi c’est qu’avoir des personnes racisées, queers, trans qui font partie du staff, qui sont là et qui se sentent bien, ça peut inciter plus de personnes à fréquenter les milieux électro qui sont encore trop cis et hétéro.
Et puis pendant le festival, on fonctionne beaucoup par « brigade joyeuse » ou « brigade dansante » ! À un moment, on a besoin de fédérer, d’être identifié comme un ensemble cohérent : on fait de la danse, on a plusieurs rôles dans la soirée…
Il y a déjà eu des situations compliquées à gérer ?
Marie-Rose : Aucun endroit n’est jamais safe à 100 %. Avec les guides, on est dans un rôle de désamorçage : on n’est pas là pour faire la sécurité ou les flics, ce n’est pas notre rôle. Par contre, quand une situation est agressive ou violente, on est là pour désamorcer et seulement après éventuellement faire exclure.
Et si on est dans une situation avec une personne qui semble mal aller, on va la voir et on a des questions, des réflexes… On va notamment lui demander si la personne qui l’accompagne est un·e proche et, si c’est le cas, demander à ce/cette proche de prendre soin de son ami·e. Mais comme partout ailleurs, il nous est déjà arrivé de faire appel aux pompiers…
Et on s’adapte aussi : une année, une agression transphobe a eu lieu à la sortie du festival. Donc désormais, on est à l’accueil mais aussi à la sortie pour éviter ces situations. On ne peut évidemment pas être tout le temps partout mais on essaye d’être des lumières dans la nuit !
Rendez-vous au festival Le Bon Air : les 17, 18 et 19 mai 2024 à la Friche la Belle de Mai à Marseille (3e)
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