Chloé Delaume revient avec un nouveau roman : « Phallers »

Chloé Delaume sort le 5 avril Phallers, le premier roman inédit de la Collection « Points féminismes ». Les chansons présentes dans le roman sont à retrouver dans l’album Sentiments négatifs qui sort le même jour. Phallers répond à l’éternelle question : comment faire pour que les hommes arrêtent de violer ? Heureuse adaptation à l’évolution des espèces, les femmes sont désormais en mesure de se protéger de leurs agresseurs. C’est grâce aux phallers, héroïnes modernes post-MeToo que la peur peut changer de camp. Chloé Delaume signe ici un nouvel ouvrage résolument féministe à l’humour incisif. Ces textes ciselés et son sens de la formule irradient tout l’album qui accompagne le roman. Samedi 27 avril, à l’occasion de la sortie du nouveau roman de Chloé Delaume, Phallers, la Ménagerie de verre accueille le Phallers club. De 15h à minuit, poésie, politique, littérature et musique sont au programme.
Une safe place sororale, le temps de s’interroger collectivement sur ce qu’il nous faut inventer pour neutraliser les prédateurs et danser sur les ruines du patriarcat.

Phallers, étymologiquement évoque phallus : est-ce que vous pouvez nous expliquer ce titre ?

Phallers vient de Scanners de David Cronenberg, où le pouvoir psychique des scanners faisait exploser des têtes. Ici c’est le même principe, appliqué aux phallus. : les phallers ont le pouvoir de les faire imploser.

Pouvez-vous nous dire de quoi il est question dans ce nouveau roman ?

C’est une histoire de super-héroïnes qui répond de façon radicalement Grand Guignol à la fameuse question Comment fait-on pour que les hommes cessent de violer. C’est un roman d’apprentissage sur le mode comique, doublé d’un revenge gore, mais pas que.

Il s’agit du premier roman inédit de la Collection Points féminisme : en quoi les essais féministes nourrissent-ils votre travail ? Votre pensée évolue-t-elle au contact de la théorie féministe ?

Les essais féministes sont des boîtes à outils, ils permettent de poser des mots et de structurer ma pensée face à du vécu et du ressenti. Par forcément personnels, d’ailleurs. Je pense à l’essai d’Hélène Frappat, Le gaselighting ou l’art de faire taire les femmes. Il n’est pas impossible que je m’en serve pour la construction d’un personnage dans le roman que je viens de commencer.

Vous travaillez depuis quelque temps autour de la question de la misandrie et du rejet de la phallocratie. Pouvez-vous revenir sur les contours que vous donnez à ce rejet des hommes ?

La misandrie était déjà au centre de mon premier roman, Les Mouflettes d’Atropos, paru en 2000. Il ne s’agit pas de définir ce mot en collant à son étymologie, ce n’est pas la haine des hommes au sens essentialiste, le rejet des personnes physiologiquement masculines. Je l’entends comme la haine et le mépris des agents actifs du patriarcat, qui considèrent que le monde leur appartient comme les corps qui s’y trouvent. La misandrie est une réponse, une réaction face à la domination masculine, et non une position a priori. Ce n’est pas le pendant de la misogynie, contrairement à ce qu’affirment encore les dictionnaires, qui, pour l’instant, s’en tiennent aux étymologies.

Comment peut-on encore aimer les hommes ? Comment être hétérosexuelle quand on veut couper les couilles du patriarcat ?

C’est excessivement compliqué, et ça provoque de la dissonance cognitive. D’autant que je me méfie beaucoup des motivations profondes de ceux qui se clament déconstruits et jouent la carte de la repentance. L’époque est au purple washing, le féminisme fait vendre. Quand un homme se présente lui-même comme « féministe » ou revendique haut et fort sa position d’allié, il y a de grandes chances qu’on ait affaire à un fayot qui cherche à se placer, ou à un Purple fucker en chasse. Un vrai allié ne prend pas la parole ostensiblement pour affirmer son soutien à la cause des femmes en guettant les applaudissements. Il agit concrètement dans son quotidien.

Pourquoi avoir choisi d’accompagner ce nouveau roman de musique ? Comment avez-vous travaillé à l’écriture des chansons ?

Mes livres ont souvent une bande son, des extensions sous forme de pièces sonores, de chansons. Dans le roman, Violette, l’héroïne, et certaines des phallers ont un groupe de musique, des scènes intègrent à quatre reprises des paroles de chanson. J’ai trouvé amusant que ces chansons existent vraiment. Je travaillais parallèlement avec Eric Elvis Simonet et Patrick Bouvet sur un nouveau projet d’album : Sentiments négatifs. Nous avions fait ensemble en 2020 Les fabuleuses mésaventures d’une héroïne contemporaine chez Dokidoki, un disque miroir de mon roman Le cœur synthétique. J’ai choisi parmi les musiques qu’ils m’ont proposées celle les plus adaptées à ma fiction. Sentiments négatifs intègre donc les chansons présentes dans Phallers aux côtés de six autres morceaux.

Comment concevez-vous l’articulation entre la littérature, la chanson, la poésie et le politique ?

Ecrire est un geste politique, or la littérature, la poésie, la chanson, c’est de l’écriture. Le lien avec le politique peut paraître moins évident dans le cas de la chanson, mais il y a une tradition des chants de lutte, des chansons de révolte, des chansons engagées. Chaque forme a sa façon de toucher le public, d’agir sur le collectif. Pour ma part, j’ai la sensation que l’usage de ces formes se complètent, tout en creusant des thématiques communes. J’évoque souvent le féminicide parental dans mes romans autofictifs ; dans l’album, il y a une chanson sur les féminicides, Tous les 2 ou 3 jours. La forme m’a permis d’aborder le sujet autrement.

Votre esthétique est très dark et en même temps vous maniez l’humour avec beaucoup d’esprit : est-ce que c’est dans l’humour qu’on trouvera une porte de sortie dans le marasme actuel ?

On ne contrôle rien pendant cette lente et interminable fin du monde, sauf le regard qu’on pose sur elle. Si on fait preuve d’humour, on la vit beaucoup mieux.

Comment le féminisme peut-il être dansant et échapper au désespoir ?

Il y a eu plein de groupes de punk féministes qui mêlaient la colère à la joie : The Slits, The Modettes, Kleenex… Le mouvement des Riot grrrl, au début des années 90, aussi. Aujourd’hui on a les Vulves assassines et bien sûr Rebeka Warrior.

Vous faites référence à Sarah Kane et à 4:48 psychosis : dans quelle mesure l’œuvre de la dramaturge anglaise vous inspire-t-elle ?

Il y a effectivement sur l’album un duo avec Henriette, Des myosotis pour Sarah Kane, une chanson sur le raptus suicidaire. Kane est l’autrice qui a saisi cette pulsion au plus juste, on l’a d’ailleurs retrouvée pendue quelques semaines après qu’elle ait achevé 4 :48 Psychose. Sarah Kane est aussi importante pour moi qu’Antonin Artaud.

Comment ce roman s’articule-t-il avec le travail que vous menez sur les figures de femmes puissantes dans la mythologie ?

Dans ce cycle de travail, j’écris des monologues, je fais parler Lilith, Médée, Circé, Cassandre, Némésis et d’autres, je mets leur histoire et leur symbolique en regard des problématiques féminines contemporaines. La langue est très lyrique. Dans Phallers la narration est à la troisième personne, c’est un roman de forme pop, une sorte de comics, il aurait pu être publié par épisodes dans un pulp. Les comics portent les mythologies modernes, les phallers sont des super héroïnes qui s’inscrivent dans ce champ. Il y a un lien supplémentaire puisqu’il a de grandes chances que leur pouvoir leur vienne de Némésis, la déesse de la vengeance, du don de ce qui est dû.

Pouvez-vous nous parler de l’événement du 27 avril ? De quoi va-t-il s’agir exactement ?

Pour la sortie de Phallers, plutôt qu’une simple lecture musicale du livre, c’est un évènement collectif qui a été mis en place à la Ménagerie de verre, de 15h à minuit : Phallers Club. Il va y avoir des stands dans le foyer, tenus par revues de poésie féministes comme Radicale, Sœur et Carabosse ; la librairie Violette and Co, l’association Mémoire traumatique et victimologie. Dans la grande salle, on entendra les poétesses Maud Thiria, Séverine Daucourt, Héloïse Brézillon et Solène Planchais lire. Il y aura une table ronde autour des VSS avec Axelle Jah Njiké, Virginie Cresci et Sokhna Fall, une discussion entre Catherine Florian et moi sur le livre, ma lecture musicale de Phallers, puis les DJs Haute Manie et SPMDJ. Ça devrait donner un chouette samedi.

Phallers, Chloé Delaume, Points Féminisme, sortie le 5 avril 2024