Alexandre Berly fut d’abord Thanaton, moitié du duo de DJ parisiens Anteros & Thanaton, qui soufflait le chaud de l’italo-disco et le froid des synthés 80’s à l’orée des années 2010. En 2013, il croise la route de Yan Wagner puis de David Shaw et l’aventure Her Majesty’s Ship commence alors. En 2014, il sort un premier EP et participe à la très select Red Bull Music Academy (RBMA) à Tokyo, aux côtés de Zebra Katz, Xosar ou Palms Trax. Les choses s’accélèrent, un deuxième EP, les Nuits Sonores à Lyon, la Villette Sonique, le Sonar… Tout converge jusqu’à un premier album très attendu qui sort aujourd’hui, vendredi 13 octobre. Une pépite à la fois sombre et dansante, l’occasion pour nous d’aller nous frotter à La Mverte. Interview.
Friction : Votre premier album sort aujourd’hui et a été très attendu. C’est long et difficile d’écrire un premier album ?
La Mverte : Ce fut long et intense en effet, aussi bien pour moi que pour mon entourage, d’ailleurs. Mais aujourd’hui je suis ravi d’avoir été confronté à ces difficultés, ces doutes et ces séances de travail à rallonge. J’ai beaucoup appris, sur moi, mon projet, ce que j’avais envie d’en faire et l’investissement personnel que je suis prêt à mettre en oeuvre pour le servir. C’était une sorte de thérapie un peu SM finalement. Sans cuir ni gag-ball, mais on y pensera pour le prochain.
J’ai lu que vous citiez volontiers la littérature américaine. Vous lisez quoi en ce moment ? Est-ce que vos lectures vous inspirent ?
Je viens de finir La disparition de Karen Carpenter, de Clovis Goux, un super livre de cette rentrée et d’ailleurs nominé au Prix du Flore. J’ai également entamé plus tôt dans l’été England’s hidden reverse de David Keenan, un livre retraçant l’histoire de groupes comme Coil, Current 93 ou Throbbing Gristle. C’est une lecture ponctuelle, j’avance de temps à autres, en écoutant ou ré-écoutant les disques. J’ai récemment lu / relu quelques nouvelles de Lovecraft aussi. Et j’ai relu From Hell, d’Alan Moore.
Mes lectures font partie de mes inspirations, c’est indéniable. Et même si mes lectures récentes ont très surement un impact sur celles-ci, ce sont surtout mes souvenirs de lectures plus classiques qui m’entraînent, je crois. Effectivement, ces classiques personnels s’étendent des mythes antiques à Dante, Goethe, de Poe, Stevenson à Bukowski, Burroughs ou d’autres écrivains américains dits « alternatifs ». Cela brasse large, mais j’imagine que chacun de ces souvenirs me stimule d’une manière ou d’une autre.
Sur de nombreux morceaux, c’est la basse qui précède. D’où vous vient ce goût pour les lignes de basse entêtantes ?
Peut être parce que la basse est le premier instrument par lequel je me suis introduit à la musique, et qu’il représente de ce fait une sorte de fondement pour moi. Il me semble qu’une des raisons pour lesquelles je ne voulais pas de guitare était que tout le monde en jouait autour de moi, monde dont je voulais me dissocier, mais aussi pour la chaleur et la rondeur du son bien sûr. J’ai pris 3 mois de cours, me suis ennuyé et du coup, j’ai acheté une méthode et j’ai travaillé dans mon coin. C’est peut être pour cela que j’ai pris le pli d’une approche un peu plus personnelle sur les lignes que j’en sors ?
Il y a quelque chose de très sombre sur ce premier album, par exemple dans des morceaux comme « The Devil in the Details », des références Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson dans « The Inner Out », au péché originel de la boîte de Pandore dans « The Box » ou encore au mythe de la Méduse et de sa puissance féminine (« No Gazing »), comment est-ce que vous l’expliquez ?
Je crois que lorsque j’ai commencé à rassembler les morceaux de l’album, cela m’étais devenu assez évident que l’un des arcs de lecture du disque serait la quête de soi, d’un soi en tout cas, seul ou à travers l’autre / les autres. Une quête qui, pour moi, ne peut qu’inévitablement mal se terminer. N’est-on pas (presque) toujours déçu de ce que l’on trouve après une longue période de recherche ? Quoiqu’il en soit, tout ce corpus et cette progression, comme ces références, me sont apparues assez naturellement, et me semblaient faire sens. Une sorte de pessimisme accepté, mais fantastique.
En même temps, l’aspect très entraînant de certains morceaux rappellent votre goût pour l’italo… comment arrive-t-on à ce mélange subtil ?
J’ai toujours écouté beaucoup de musique, sans vraiment d’œillères, et malgré un prisme de lecture personnel et des goûts qui s’affirment forcément de plus en plus, tout ce que j’écoute doit joyeusement se mélanger dans mon cerveau. Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas vraiment comment cela se passe, et je crois que j’aime bien l’idée de ne pas savoir. Je fonctionne souvent par ricochets d’idées, par associations. Après, déterminer pourquoi telle idée induit tel ricochet, c’est une excellente question…
C’est un album très dense, sur lequel on ne retrouve que deux invité·e·s. Vous préférez travailler seul ?
Difficile à dire. Quand je travaille seul, je me sens bien. Mais c’est aussi le cas quand je travaille en collaboration avec une ou plusieurs personnes, même si l’approche est différente. Je suis assez ouvert et motivé, en général (enfin je crois, peut-être que je me fourvoie).
En ce qui concerne l’album, s’agissant du premier, cela me semblait chouette justement d’aller jusqu’au bout de ce premier effort en solitaire et de ne pas trop convier d’invités dessus. Ce premier album m’est une sorte de repère dans ma jeune carrière, et mes deux invités que sont Sarah Rebecca et Yan Wagner sont des personnes qui comptent pour moi, avec qui j’ai déjà travaillé et suis ami. Cela me semblait assez évident qu’ils soient avec moi.
D’ailleurs, comment est-ce que vous travaillez ?
« Pas de règles » me semble en être une bonne.
C’est quoi, les prochaines étapes, après la sortie de l’album ?
En ce moment, nous sommes en train de lancer la tournée autour de l’album. Le plus gros du travail est fait mais je suis toujours en train d’ajuster le Live, date après date, de nouvelles idées apparaissant toujours une fois que les premières dates se passent.
À côté de cela, je reprends progressivement l’écriture, en tout cas. Ce premier album m’a vraiment donné envie de me remettre à l’ouvrage pour un deuxième volet (peut-être l’aspect SM de la chose, finalement). À court terme, j’aimerais bien ramener le curseur un peu plus vers le club avec très surement un EP, même si je ne m’interdis rien. J’ai d’autres projets en cours également, mais il est encore un peu prématuré pour en parler.
Si je vous dis « Friction », ça vous évoque quoi ?
Un frottement vif, qui dérange, un peu tangent. Une épiphanie forcée du corps et/ou de l’esprit.
La Mverte sera en concert à la Maroquinerie le 20 octobre prochain : l’événement sur Facebook