S’il t’est déjà arrivé de penser que tout ce dont tu avais besoin à cet instant précis c’était de percussions brutes, de nappes sombres et d’un tempo au BPM élevé, alors tu sais ce besoin de la violence de la techno. La techno, la vraie, la dure parfois, est finalement assez rare. Souvent dénigrée, elle est reléguée à sa rythmique répétitive et sa supposée absence de mélodie.
Dans le Top 100 des DJ recensé par DJ MAG pour 2023, on retrouve finalement assez peu de DJ techno. Pourtant la techno m’a sauvé la vie. Et parfois je me dis que si je mets un pied devant l’autre, c’est parce que je le pose sur un beat que j’ai sinon dans les oreilles mais quelque part au fond de moi.
L’histoire de la musique électronique est indissociable de l’histoire des communautés LGBTI. Plus globalement la musique électronique est liée aux bouleversements sociétaux du XXe siècle. Son développement à la fin des années 1980 coïncide avec un besoin de liberté de la jeunesse qui se saisit d’espace hors des normes sociales notamment dans les raves. Jeff Mills, artiste de la seconde vague de la techno de Detroit, voyait dans cette musique « le cri d’une ville qui se meurt » : c’est une musique de révolte et de contestation qui émerge parmi les populations afro-américaines en pleine crise économique et industrielle. Née parmi des populations défavorisées, elle s’est développée principalement dans des territoires en souffrance : Detroit, Manchester, Berlin. La techno est une musique de la marge.
En 1998, un article de l’Express titre « La techno sort du ghetto » à l’occasion des premiers Rendez-vous électroniques, premier festival du genre, qui avait obtenu le soutien de deux ministères et de Jack Lang et qui se concluait par un grand défile, la Techno Parade, à l’image de la Love Parade berlinoise. La même année, Yann Quelennec écrivait dans le numéro 4 du magazine Trax consacré aux musiques électroniques que la techno était arrivée à « l’heure de la maturité et de l’engagement ». En deux décennies, le genre s’est imposé et a touché un public plus large.
Juan Atkins, l’un des fondateurs de la techno de Détroit, disait : « La musique des machines est le seul moyen d’aller de l’avant.» Quand ma vie est en pause, je sais que je pourrais la relancer d’une façon simple et efficace : je lance un set très techno très tunnel, mon corps vibre enfin sur la puissance d’un gros kick. La techno tient une place importante dans ma vie. La montée avant le drop : garantie d’une bonne dose de dopamine en libération immédiate.
Depuis quelques années, les neurosciences se sont emparées de la question de l’influence de la musique sur les structures du cerveau. En 2015, un un chercheur en neuroscience cognitives de l’Université de Groningen au Pays-Bas, le Docteur Jacob Jolij a établi une formule qui caractérise la musique feel good mais son travail permet de se pencher sur l’influence de la musique sur les émotions. Au-delà de ces critères qui se veulent objectifs (150 BPM, des paroles positives et des notes en gamme majeure), de nombreuses études font le lien entre la musique que l’on écoute et les émotions que l’on ressent ou les réactions qu’elle entraîne. S’il est généralement dit que la musique classique diminue les attitudes violentes, la techno aurait pour vertu d’améliorer les performances. C’est peut-être pour ça que j’aime tant écrire et travailler en écoutant un fond sonore rythmé, saccadé et répétitif. La techno améliore ma concentration.
D’autres avancent que la techno, comme d’autres musiques réputées violentes à l’instar du métal, aurait pour effet de provoquer un état d’euphorie. Je parlais de libération immédiate d’endorphine. La techno procure de la joie pure. Elle soulage et est un exutoire salvateur.
Dans la techno, le break est un moment tout particulier : il s’intègre à la narration globale du morceau en condensant des sentiments qui trouvent un écho chez l’auditeurice. Des nappes éthérées, des textures rêveuses et des bruits de fond subtils vont créer une impression de profondeur et d’espace. Ces éléments peuvent évoquer des sentiments de sérénité ou de mystère, préparant ainsi le terrain pour l’impact émotionnel du break.
Et il est temps de se départir de l’idée que la techno ne serait qu’une musique cantonnée aux heures tardives des clubs obscurs où entrent en transe les corps fébriles d’usagers·ères de drogues de tous horizons. C’est cela aussi, et c’est bon et bien et ces moments de communauté sont essentiels, surtout pour les plus marginalisé·es d’entre nous. La fête techno doit rester accessible à celleux qui l’ont faite sortir de terre, il faut permettre une large diffusion des productions de DJ émergent·es et une juste rémunération des artistes, justement pour que la fête techno reste un espace des marges où il est bon de se retrouver.
Dénigrée pour un supposé faible intérêt musical, la techno est en réalité un genre bien plus subtil qu’il n’y paraît. Pour moi, c’est un métronome rassurant et réconfortant, euphorisant aussi. Peu de choses me procurent autant de bonheur qu’un footing au son d’un set de Charlotte de Witte pour commencer ma journée. La techno est une musique qui panse les plaies collectives et personnelles et encapsule le bonheur. Play it loud.