Le SNAP revient ce mois-ci à Bruxelles

Le SNAP! pour Sex Workers Narratives Arts & Politics revient du 17 au 20 Octobre 2024 à Bruxelles avec une programmation riche, audacieuse et festive. Dédié aux réalités des travailleur·ses du sexe, le festival propose une série d’événements variés : performances artistiques, débats, installations interactives et concerts ouvert à tous·tes. Cette année, le festival mettra notamment en lumière les Whore Studies, un domaine de recherche sur l’histoire et les expertises des travailleur·ses du sexe, ainsi que la thématique du coming out en tant que professionnel·le du sexe. Il aura lieu dans des lieux emblématiques bruxellois : les Halles de Schaerbeek, le Cinéma Galeries, ainsi qu’aux Grands Carmes et au Garage 29. Nous avons rencontré Marianne Chargois et Carmina, qui organisent le festival pour en savoir davantage.

Chez Friction, on suit le SNAP depuis le tout début mais est-ce que vous pouvez nous expliquer de quoi il s’agit exactement ?

Marianne : Le SNAP Sex workers Narratives Arts & Politics est un festival entièrement dédié aux discours et représentations des travailleur.ses du sexe (TDS). Cela veut dire que nous créons un espace temps donné dans lequel ce sont des sex workers elles et eux-mêmes qui habitent la programmation et invitent les collègues comme le grand public à découvrir leurs performances, lectures, talks, fêtes, ateliers etc. Notre démarche est précieuse et rare, car la discrimination et la stigmatisation des travailleur.ses du sexe sont si intenses et largement répandues que faire un tel festival est un réel tour de force. Nous travaillons avec très peu de soutiens financiers, avec une équipe bénévole et grâce au soutien de quelques structures alliées.
Le nom du festival trouve son origine dans le concept développé par la chercheuse Sara Ahmed, le “Feminist SNAP”, qu’elle désigne comme le moment de rupture qui se produit après une pression accumulée sur une longue période. Le craquement du SNAP! est un moment qui devient un mouvement, et ouvre d’autres mondes possibles. C’est ce que nous ambitionnons avec notre festival, contribuer à marquer un point d’arrêt à l’infériorisation structurelle imposée aux TDS en prenant notre place dans l’espace public, médiatique et culturel. En imposant nos perspectives, réappropriations et expertises.

Les travailleureuses du sexe sont relégués aux marges de la société, comment peuvent-iels se réapproprier la narration ?

Carmina : Nous avons la chance de vivre à une époque où il est plus facile de prendre la parole, mais surtout d’être entendu·es. La technologie actuelle permet de produire son propre contenu. Que ce soit des vlogs, des vidéos, des podcasts ou des documentaires… les travailleureuses du sexe peuvent créer sans dépendre de studios, de producteurs… Grâce aux réseaux sociaux notamment, on peut aujourd’hui produire un autre discours plus authentique qui dément les clichés et les représentations stéréotypées véhiculées par les media. Internet a aussi permis la création de communautés qui permettent l’écoute, la solidarité, le partage de savoirs… On se sent moins seule et plus autonome.

Marianne : Se réapproprier les narrations, c’est déjà commencer par s’autoriser à le faire. Au SNAP, il est possible d’assister à des créations artistiques très élaborées et professionnelles, mais aussi à d’autres formes très DIY et presque improvisées. Des analyses issues de savoirs universitaires côtoient des expertises issues du vécu direct des personnes. Mélanger les registres de discours formels et informels, donner la place à tous types d’auto-représentations, c’est ce qui fait notre identité, un espace où les travailleur.ses du sexe peuvent partager et s’exprimer dans un espace bienveillant et où il n’y a pas à convaincre, juste à être. De plus, des outils existent permettant une grande liberté d’expression à moindre coût: l’écriture, le podcast, la performance, la video, sont par exemple très utilisés par les minorités dans leur ensemble pour créer en toute indépendance.

Carmina ©barthphotography

Sur la homepage de votre site internet on peut lire : « rien sur nous sans nous », est-ce que vous pouvez nous expliquer ? Et pourquoi est-ce important ?

Marianne : Les notions de “Nothing about us without us” sont cruciales dans les luttes minoritaires, qu’elles concernent les représentations ou les droits politiques. Dans le cas des travailleur.ses du sexe, ce principe prend d’autant plus d’importance que depuis des siècles nous sommes systématiquement parlé.es, scruté.es, analysé.es et représenté.es par d’autres. Ces discours et ces regards se posent comme tiers experts des vécus de TDS, se permettant d’édicter des lois prétendument pour nous protéger alors que nous ne cessons de crier que celles-ci rendent nos vies invivables. Mais ce sont aussi les artistes dans leur ensemble qui ne cessent de nous fétichiser dans des films, peintures ou dans la littérature dans des figures stéréotypiques oscillant entre la victimisation voyeuriste et la glamourisation sexiste. Les médias ne sont pas en reste avec une majorité d’approches sensationnalisatistes et objectifiantes sur le sujet. C’est pourquoi nous exigeons que nous, les personnes concernées par les réalités du travail du sexe, soyons systématiquement conscultées et impliquées dès lors que nos activités sont le sujet.

Justement relégué·es à la marge, quels sont les espaces où peuvent naître discours et échanges et produire des représentations qui soient propres aux TDS ?

Carmina : Personnellement, je défends toujours férocement les festivals. Le SNAP! bien entendu, mais aussi les festivals de films porno (comme le Brussels Porn Film Festival, ou celui de Berlin, etc) ou les festivals queer et féministes, qui diffusent énormément de films indépendants, auto-produits, mais aussi des documentaires, des rétrospectives, des performances, des tables tondes. Ce sont des endroits où le travail du sexe est compris et accepté, et à partir de là on peut construire des discours qui vont plus loin. On a déjà parlé des espaces numériques, très importants, mais il ne faut pas oublier les échanges “en personne”, par exemple, certaines associations de terrain proposent des rencontres informelles; des sorties détente, des repas partagés… Mais aussi les café pute,et apéripute organisés en autonomie dans nos cercles sont des moments précieux où on peut se retrouver et parler de nos quotidiens sans jugement.

Le travail du sexe regroupe des professions et des conditions de travail extrêmement différentes, comment cela s’exprime-t-il dans le festival ? Comment faites-vous pour que la programmation représente cette diversité de pratiques, de conditions de travail et d’exercice,… ?

Marianne : Effectivement, le travail du sexe regroupe des activités et modalités d’exercice très différentes. En vitrine, chez soi, à l’hôtel, dans un bar à champagne, selon le lieu, les façons de travailler sont très distinctes. Idem, faire de la sexcam, du porno, de l’escorting ou de la domination implique des savoir-faire variés qui n’ont parfois pas beaucoup en commun dans leur technicité. Toutefois, il s’agit toujours de vendre un service sexuel. De plus, il n’y a aucune homogénéité dans les populations de TDS. Elles englobent aussi bien des étudiant.es, que des parents isolés, des artistes précaires, des personnes en parcours de migration, des travailleur.ses ayant besoin d’indépendance et de flexibilité ou encore tous types d’accidenté.es de la vie et pour qui ce type d’activité économique est la meilleure option. Il n’est bien sûr jamais possible de représenter la totalité des expériences, tant celles-ci sont multiples et souvent atypiques. C’est pourquoi il est essentiel de donner l’espace à un maximum de TDS, et de faire ainsi proliférer les récits. Ainsi, pour cette édition 2024, nous avons presque 80 travailleur.ses du sexe à l’affiche.

Marianne Chargois

Nous avions découvert le SNAP à Paris, désormais il a lieu à Bruxelles, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ce changement de ville, de pays, de lieux ?

Marianne : Effectivement, la première édition a eu lieu à Paris, alors que je vivais encore en France et que nous avions obtenu un financement de la part de la fondation privée Open Society Foundation. C’est grâce à ce soutien que nous avons pu lancer le SNAP, bien que nous soyons dans un pays particulièrement violent à l’égard des TDS. Cependant, il s’agissait d’une aide limitée dans le temps, et il a ensuite été impossible d’obtenir des subsides publics ou même du sponsoring pour poursuivre le festival. J’étais aussi, à titre individuel, épuisée par les violences réelles et symboliques que ma vie de TDS me faisait traverser en France. Je suis partie vivre à Bruxelles, pour prendre du recul, et en tant que porteuse de projet du SNAP, celui-ci m’y a suivi. Mais ce n’est pas un hasard, que ce soit en Belgique. Il s’agit en effet du seul pays européen à avoir décriminalisé le travail du sexe, et à nous reconnaître comme un groupe social méritant des droits. Cette différence est majeure et fait que des lieux institutionnels osent nous accueillir, ou encore que nous touchions quelques subsides de la part de la COCOF. C’est insuffisant, et nous survivons difficilement. Mais néanmoins nous sommes là. En France, nous aurions disparu.

Alors que les termes/images qui peuvent être associées au travail du sexe même lorsqu’elles ne sont pas explicites se retrouvent censurées sur les réseaux sociaux, comment parvenez -vous à communiquer et à faire connaître le festival ?

Carmina : La censure des termes et des images associés au travail du sexe sur les réseaux sociaux est un véritable défi pour la visibilité de notre festival. Les algorithmes des plateformes ont tendance à censurer automatiquement des contenus liés au travail du sexe, et au sexe tout court d’ailleurs, même lorsqu’il s’agit d’art, d’activisme, ou de discussions légitimes sur les droits humains.
À cause de ça, on est obligé·es d’utiliser pas mal de techniques DIY et de ruser le plus possible. On doit malheureusement s’adapter et s’autocensurer en caviardant tous les mots liés au TDS ou au sexe qui risqueraient de nous faire supprimer nos publications, voire nos comptes. Parfois, on copie sur le langage Tiktok et on utilise des symboles des sous-entendus, des emojis. Mais hélas, ça nous coupe d’une bonne partie de notre public potentiel.
J’essaie de plus en plus d’investir des méthodes plus directes, comme les newsletters, le bouche-à-oreille, les groupes privés sur des plateformes telles que Discord. Heureusement, la création de partenariats avec des espaces culturels institutionnels comme Les Halles de Schaerbeek nous aide à renforcer notre visibilité hors ligne, et notre légitimé, tout en créant des moments d’échanges en face-à-face.
On aimerait un plus grand soutien des media, mais je sais d’expérience que les journalistes se voient de plus en plus refuser les sujets qui touchent aux sujets de la sexualité, du travail du sexe et de la pornographie. Cela n’aide pas.

Sex Workers who changed History Fashion Show ©Vera Rodriguez


Quels sont les temps forts de cette nouvelle édition ?

Marianne : Cette 4eme édition est sans doute la plus foisonnante! Tout d’abord, nous initions pour la première fois et avec enthousiasme un programme de Whore studies, à savoir des recherches formelles comme informelles sur le champ du TDS. Nous y traitons d’antifascisme dans nos luttes, de bordels autogérés ou de sex work via second life. Des thématiques fortes sont également mises à l’honneur: la question du coming out, ce que cela entraîne socialement et intimement dans nos vies lorsque nous assumons publiquement nos activités. Ou encore le focus plus inattendu du vêtement: un Sex work History Fashion Show présentera le parcours méconnus de plus de 20 TDS au fil des siècles, en passant par le prisme du costume. Enfin, les deux soirées performances du 18 et 19 Octobre dans le lieu emblématique des Halles de Schaerbeek rassembleront une trentaine d’artistes TDS, de concerts et de DJ sets et promettent d’être très fortes en émotions, et particulièrement festives!

Toutes les infos : snapfest.org