Littérature et révolution : ce que peuvent les mots

À l’origine, il y avait deux projets de livres par l’écrivaine et sociologue Kaoutar Harchi et l’écrivain Joseph Andras. Deux essais qui devaient porter sur les rapports qu’entretiennent la politique et la littérature. En février 2023, le magazine Frustration avait déjà permis aux deux auteurices de dialoguer sur ce qui les lie : l’écriture et le combat pour l’émancipation. Les éditions Divergences leur ont proposé de poursuivre ce dialogue. Cet échange aboutit à un très bel ouvrage, Littérature et révolution, à paraître le 12 janvier prochain. 

Dès l’abord, le titre, le livre fait signe vers la gauche radicale puisque ce long entretien reprend l’intitulé à la fois d’un ouvrage de Léon Trotsky et d’un essai de Victor Serge qui présentait déjà ce que pourrait être une littérature libre, plurielle et intègre. Dans le présent ouvrage, il s’agit d’abord de définir ce qu’est la littérature : un écart dans le langage commun. « La littérature [n’a] que peu à voir avec elle-même […] mais tout à voir avec l’Histoire, le pouvoir, le capital, la nation, etc. Tout à voir avec un auteur collectif social. » dit Kaoutar Harchi dans l’ouvrage. Les deux écrivain·es envisagent ici la littérature comme la conviction qu’il existe un autre monde que le nôtre que l’on pourrait faire advenir par la lutte. Les auteurices n’oublient pas que la littérature est une parole située qui s’ancre dans le monde. Il s’agit pour eux de remettre en cause l’idée d’une littérature universelle qui serait tendanciellement blanche, occidentale et bourgeoise. 

Dans ce contexte, une littérature qui serait véritablement radicale relève moins du fait de publier un livre que d’accomplir un acte de transformation de la société. Mais les écrivain·es ne sont pas dupes, ils et elles savent que cette contribution n’atteindra qu’un public restreint et ils et elles posent en fin d’ouvrage les conditions matérielles d’existence du livre mais aussi d’exercice des auteurs·trices. 

De culture politique différente, l’une proche de Révolution Permanente et l’autre électeur de La France Insoumise, Kaoutar Harchi et Joseph Andras confronte leurs idées sur ce qui fait la gauche : « Être de gauche, c’est s’inquiéter pour les absents », c’est lutter « pour maintenir chacun, chacune dans un état tel qu’il lui est permis de durer [… ] ». La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule « Combattre » et examine ce que peut la littérature dans la diffusion des idées de gauche. Une conviction apparaît commune aux deux écrivain·es, il faut que la gauche soit lisible et audible : « Devenons souhaitables ! envisageables ! séduisants ! ». Les auteurices proposent d’inscrire l’ensemble des luttes au sein du socialisme, de l’Idée socialiste-communiste, et se demandent les liens qu’entretiennent la classe, la race, le genre, etc. avec cette conviction que « le mode de production capitaliste est intégralement habité par l’exploitation ». Se dessine alors les contours d’une ligne politique qui ne serait pas anti- mais « socialiste-communiste. » 

Ce deuxième temps du dialogue entre les deux écrivain·es leur permet d’aborder toutes les dimensions de la littérature engagée conçue comme traitement littéraire du monde. En arrière-plan une tradition à la fois littéraire et politique de rapport à la société nourrie par la certitude que la littérature peut rendre le monde moins indigne. La littérature s’inscrit dans des systèmes de pensée qui veulent (ou pas) agir sur le monde et le rendre moins mauvais. En pensant la place du livre, de l’auteur·trice, de l’édition, etc. au sein de la société, Kaoutar Harchi et Joseph Andras permettent de penser ce que peuvent les mots et en même temps les limites de leur action sur la société. 

« La littérature doit ouvrir tout ce qui est clos. La littérature doit donc s’ouvrir elle-même. Être pour tous, pour toutes. Ou, en tout cas, tendre vers eux. » On ressort avec l’envie d’y croire, à cette idée que la littérature peut contribuer à rendre le monde plus respirable pour celles et ceux qui ne sont rien ou qui sont moins que les puissants. On ressort de ce cheminement agréable et exigeant au sein de l’idée de littérature avec l’envie d’y croire, de dévorer les ouvrages des deux écrivain·es et sinon de jeter sur une page des mots, d’apporter notre pierre à cette révolution qui passe par les lettres et les idées. Un ouvrage à lire en début d’année pour se donner de la force de lutter. 

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