Il y a quelques années de ça, nous avions publié une série d’articles sur les objets de quotidien et sur l’influence qu’ils peuvent avoir sur nos modes de vie. Cette série analysait surtout les systèmes de domination et d’oppression (en particulier liés au genre et à la sexualité) qu’ils alimentent. Mais comme notre queerness n’est pas seulement symbolisée par ces objets qui renvoient directement au genre ou au sexe, ni par des choses aussi symboliques qu’un drapeau ou un bouquin de Monique Wittig, Maxime a eu envie de rendre hommage à d’autres petits objets du quotidien qui ont marqué son identité, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Et aujourd’hui, c’est le tour du pâté en croûte.
Quatre murs de pâte feuilletée et un cœur de viande et de viscères bouillis. Splendeur brune et rose, éclats de viande marinées pendant des heures.
Quelques pistaches, parfois. De façon à rendre élégant un plat rustre et pourtant si sophistiqué.
J’ignore si un met saurait mieux retranscrire autant mon identité : être mou à l’intérieur et se dissimuler derrière une croûte de masculinité, c’est un peu typiquement ma vie d’homme gay. L’idée qu’on se referme sur soi derrière des couches et des couches de surmoi et de paraîtres de façon à obéir à des schémas hétérosexuels binaires.
Lorsque j’achète du pâté en croûte, j’invite mon moi du passé, celui encore dans le placard qui cache sa chair derrière une couverture de banalité, je me remémore la façon dont je me suis dissimulé aux yeux des autres. Moi aussi, je me suis servi d’une fine couche de gras pour ne rien laisser paraître (mon acné de début de puberté). Quand on y pense, le pâté en croûte, c’est un peu comme du pâté drag-queen, un pâté qui en rajoute pour se vêtir de la plus belle des façons afin de rendre nos tables plus queers. Le dîner devient un runway de flamboyance.
En y pensant, je crois qu’il n’y a rien de plus gay qu’en manger, bien devant se sodomiser en backroom ou écouter une chanteuse trop peu valorisée par les goûts hétérosexuels. Vous pourriez dire que tout ça ne se base sur aucun argument ancré dans le réel à part un lien étrange que je construit dans un texte qui allonge volontairement ses phrases pour vous confondre et vous faire croire que mon propos n’est pas uniquement inintelligible mais qu’il est juste trop intelligent pour vous, ce qui est complètement faux bien sûr mais je m’en fous. J’ai décidé que c’était queer, donc ça l’est et je dirais même que ça me rend plus queer que n’importe qui, même si ce n’est pas un concours (mais si c’était un concours, je gagnerais et j’aurais même une petite médaille).
Désormais, le pâté en croûte est un incontournable de mes soirées queers. Il est le ciment amical dont nous avions besoin pour créer une vraie solidarité, il agit comme un contrat social tacito-tacite (j’ai vu que doubler les mots pour rien faisait intelligent et créatif).
Bon, c’est en partie parce qu’il s’agit de la chose que je me prends à acheter quand je n’ai pas d’idées et que je suis invité à une soirée mais il s’agit également d’une passion culinaire de l’équipe de Friction Magazine.
Est-ce que ce texte n’est qu’une tentative de faire rentrer la gastronomie dans notre ligne éditoriale afin d’obtenir une invitation presse au championnat mondial du pâté en croûte ? Vous n’en avez aucune preuve mais vous seriez tenté de faire de même si vous aviez vu comme moi la photo de celui à la canette des dombes et volaille de bresse, trompettes de la mort et ses pommes de calvados, l’année dernière.
À une période où si André l’hétéro porte une jupe un soir c’est un peu queer, que de toute façon il s’agit plus d’une « vibe » ou qu’une meuf peut écrire qu’elle a renoué avec sa queerness en laissant son mec hétéro lui couper les cheveux, on se dit que cette confusion dépolitisante semble un peu servir à tout le monde mais rarement aux personnes concernées. Alors quitte à ce que des grands écarts intellectuels existent, autant qu’ils nous servent à égailler nos apéritifs de tapettes et de gouines. Au moins, pour une fois, le 1er avril sera utile.