« Tu connais pas le club des étranges ? » Aloïse Sauvage prend ses propres mots au pied de la lettre pour nous inviter à danser dans son club avec un EP aux allures de grand écart musical. Encadrés des versions pianos voix des deux titres de Dévorantes « Jimy » et « Omowy », « Unique » et « Joli Danger » de Sauvage sont remixés par 6 artistes de la scène électro lesbienne. De la techno minimaliste de Chloé, pilier du genre et résidente du mythique club le Pulp, à Barbara Butch et sa disco pop, le Club des Etranges navigue dans l’acid trance de Calling Marian, la rave hardcore de Sentimental Rave, les influences éléctro-orientales de D.RIVE et la patte d’Agathe Mougin, en passant par la scène afro-parisienne représentée par Cheetah. On a voulu en savoir plus. Rencontre.
Salut Aloïse. Est-ce que tu peux revenir un peu sur ce qu’il s’est passé pour toi depuis la sortie de ton deuxième album Sauvage en octobre dernier ?
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Sortie du deuxième album, revenir après deux ans de pause à cause du covid et une herbe un peu coupée sous le pied concernant mon premier album que j’ai pas pu jouer en concert… Depuis octobre, que des bonnes choses, on a rempli la Cigale pour fêter la sortie de l’album et on arrive doucement mais sûrement vers l’Olympia le 16 mai pour terminer ce cycle, même si la tournée continue jusqu’à la fin de l’été. On aura fait une belle année « sauvage », on peut dire.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce nouvel EP, le Club des étranges ?
C’est vraiment un truc side qui est relié forcément à Sauvage mais qui est aussi relié à Dévorantes par le contenu. C’est vraiment un truc à part, je voulais faire un cadeau aux personnes qui me suivent et qui m’écoutent. En l’imaginant à l’automne dernier, je savais que ça allait arriver avant l’été un peu avant le mois des fiertés. Ça s’est fait un peu instinctivement avec mon binôme, mon ingénieur du son : depuis le début de la tournée, en concert, je joue « Jimy » et « Omowi » en version piano-voix. On réarrange des morceaux de Dévorantes en piano-voix. Et il y avait un engouement autour de ces versions qu’on m’incitait à sortir sur les plateformes. C’est un moment très émouvant pour les gens dans le set et ça fait vivre les textes d’une autre manière. On a décidé de concocter un projet autour de ça. Très vite la thématique de l’amour lesbien est apparue comme une évidence et on a eu envie de faire des remixes club. La nuit, les lieux de la nuit, c’est un espace qui est cher à la communauté LGBTQI+. Très vite, j’ai voulu que tout soit connecté aux thématiques des chansons. C’est comme ça que j’ai décidé que les chansons remixées soit aussi des chansons portées par la queerness et j’ai demandé qu’à des productrices et des DJs que j’admire de la scène lesbienne. Tout s’est fait de manière tellement fluide ! Je suis tellement enjouée de ce truc ! Ça m’a même donné envie de refaire ce genre de choses et de proposer à nouveau des remixes club de certains morceaux pour que chacun·e y mette sa patte. C’est un voyage dans l’électro queer actuelle introduit par « Jimy » et conclu par « Omowi ».
Est-ce que tu peux nous parler du titre de cet EP ?
Je trouvais ça évident d’appeler ce projet Club des étranges parce que je veux que ce soit inclusif et que ça parle à toutes et à tous. Ça vient d’une phrase de ma chanson « Unique » dans laquelle je dis « Tu connais pas le club des étranges, tu connais pas le club, c’est étrange. On t’invite dans le club, vas-y rentre, on t’invite dans le club, vas-y danse. » C’est une chanson dans laquelle je dis que c’est à nous de nous rendre enfin visibles. Je trouve ça important de célébrer collectivement qui on est. Je sors le projet un peu avant parce que je le sors aussi pour fêter l’Olympia mais à la base, je veux que toutes les personnes se l’approprient durant le mois des fiertés. J’avais envie d’amener ma pierre à l’édifice et d’inviter des artistes que j’estime. Je trouve ça important politiquement et artistiquement.
Musicalement il y a quand même un grand écart entre les versions piano voix et la techno du remix produit par Sentimental Rave, par exemple. Est-ce que tu peux nous parler de ce qui fait l’unité de l’EP ?
Je l’ai vu comme une continuité dans l’énergie. C’est un parti pris, chaque morceau est en soi une petite pépite qui s’écoute individuellement mais c’est relié dans un tout autour de la thématique de l’amour lesbien et par le drapeau arc-en-ciel plus que musicalement. C’était un vrai choix de faire ce grand écart pour montrer aussi la diversité de cette scène électro queer. Des meufs fières mais indépendantes mais on se réunit et on danse toutes ensemble.
Quel regard portes-tu sur cette scène électro lesbienne actuelle ?
Avec ma vie bien chargée, c’est pas un espace dans lequel je vais beaucoup, je ne suis pas là à tous les rendez-vous nocturnes de Paris. J’avais envie de créer un pont avec la scène club queer et lesbienne qui est très dynamique. Il se passe énormément de choses. Au-delà de la scène électro, les soirées en non-mixité, toutes les soirées de meufs queer… Je pense aux soirées P3 Paris crées par des amies à moi et organisées par un trio de meufs queer racisées, c’est archi stylé et sexy ! C’est important de pouvoir danser et être safe. Il y a beaucoup de choses qui se passent, forcément, je pense aussi à la Wet for me et aussi tous les événements dans des lieux non identifiés comme queer mais où on retrouve cette ambition politique de s’emparer de l’espace public au travers ces soirées club queer. En étant une jeune lesbienne à Paris, je trouve qu’il y a beaucoup d’événements qui mettent en avant les artistes féminines et queer et qui créent des espaces à nous avec des programmations pointues, accessibles, des artistes qu’on aime…
Comment s’est faite la collaboration avec les artistes sur l’EP ?
Franchement, ça s’est fait hyper simplement : j’ai contacté toutes les meufs que je kiffais avec cette envie de faire quelque chose de très diversifié, presque chaotique dans le parti pris. La première à qui j’ai demandé c’est Chloé, pour moi c’est vraiment une icône. Je n’ai pas eu de refus, avec certaines ça n’a pas pu se faire mais c’était plus des questions de timing. Je les ai eues quelques fois au téléphone mais je les ai plus vues après, on a bu des cafés ensemble après. Ce dont j’avais envie, c’est qu’elles se sentent libres : carte blanche totale. Elles tenaient à avoir mon avis, mais je ne voulais pas les contraindre à faire autre chose que ce qu’elles font habituellement. Sentimental Rave, j’avais pas envie qu’elle fasse autre chose que ce pour quoi je suis allée la contacter. Carte blanche totale et ça se voit d’ailleurs dans la façon qu’elles ont eu de créer : certaines artistes ont repris la structure des morceaux et d’autres ont produit quelque chose de complètement nouveau à partir de quelques lignes vocales. Hyper libres, et j’adore !
Ça donne un super résultat !
Ouais, ça me donne envie de le faire encore, chaque morceau devrait être remixé en fait ! J’avais envie de créer un pont aussi. Au-delà du fait qu’on est connectées parce qu’on est lesbiennes ou queer, j’avais envie que les communautés qui les suivent soient surprises, dans le bon sens, en entendant Chloé s’approprier Aloïse Sauvage, par exemple. C’est hyper cool parce que la plupart les passent déjà en soirée, Barbara Butch et Chloé, par exemple, les ont déjà intégré à leurs sets en club. Évidemment que j’avais envie de ça aussi, que le morceau leur plaise à fond et qu’elles le passent quand elles mixent. Je le vois comme un cadeau, je voulais qu’il n’y ait que du plaisir de tous les côtés.