Théorème / Je me sens un cœur à aimer toute la terre est une pièce d’Amine Adjina d’après Pier Paolo Pasolini qui se joue jusqu’au 11 mai au théâtre du Vieux Colombier. Cette nouvelle production de la Comédie Française portée par une distribution d’une grande qualité donne à voir une photographie d’une famille bourgeoise au XXIe siècle.
Son double titre Théorème / Je me sens un cœur à aimer toute la terre renvoie à une double référence. D’une part, Théorème est le titre d’un roman et d’un film de Pier Paolo Pasolini qui fit scandale à la Mostra de Venise en 1968 et qui provoqua un scandale dont Pasolini était coutumier. D’autre part, « Je me sens un cœur à aimer toute la terre » est une réplique de Don Juan dans la pièce de Molière. Amine Adjina s’explique dans un entretien avec Chantal Hurault : « Pasolini et Molière sont des personnalités qui nous peuplent artistiquement. […] Je suis parti du canevas de Théorème qui nous offrait un large champ d’exploration pour sonder notre propre époque. » En effet, dans la pièce, un garçon arrive dans une famille et noue une relation avec chacune des personnes qu’il va révéler à elle-même. Le Garçon s’identifie au personnage de Don Juan. Dans la pièce d’Amine Adjina, la référence à Molière est omniprésente : la Fille travaille le rôle d’Elvire, tandis que le personnage d’auxiliaire de vie tenu par Nour interprétée magistralement par Claïna Clavaron connaît une révélation esthétique à la lecture de la pièce.
On saluera la scénographie de Cécile Trémolières qui rend à merveille l’ambiance de cette maison familiale estivale dont le cadre va éclater. Émilie Prévosteau qui met en scène la pièce avec Amine Adjina, raconte, toujours dans un entretien avec Chantal Hurault : « La métaphore et la sensualité ont guidé nos choix […] le décor doit permettre une projection dans la fiction sans jamais s’y oublier ; nous sommes au théâtre. » La sensualité est omniprésente dans la séduction qu’exerce le Garçon sur tous les membres de la famille qu’il envoûte tour à tour. Dans Théorème / Je me sens un coeur à aimer toute la terre, le désir est fluide et dévorant et il fait exploser les cadres bien huilés des stéréotypes qu’incarne chaque membre de cette famille bourgeoise au sens traditionnel du terme.
Si l’action prend place dans un intérieur bourgeois, elle reste perméable au monde extérieur et au reste de la société dans laquelle progresse l’extrême-droite qui arrive au pouvoir pour faire le bonheur du père de famille qui sera pourtant, lui aussi, bouleversé par sa rencontre charnelle avec le Garçon. La pièce lie étroitement bouleversement climatique, politique et intime dans un paysage apocalyptique final qui semble appeler à une prise de conscience. La parabole du Garçon est une proposition politique : « regarder nos rétrécissements et tendre sans relâche à accroître notre écoute, notre disponibilité et notre action avec l’Autre. » (Émilie Prévosteau, entretien avec Chantal Hurault)
Si l’on peut avoir des réserves sur la pièce en elle-même qui peut sembler manquer de cohérence par endroits, l’écriture y est très belle, alternant des pans poétiques en vers libres avec des dialogues écrits dans un langage courant. Cette langue au lyrisme certain est magnifiquement mise en valeur par le jeu des comédien·nes tous·tes plus époustoufflant·es les un·es que les autres.