10 ans du mariage pour tous·tes : Arnaud et la rencontre de l’homophobie

Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant.

Pou ce deuxième texte, Arnaud, « pas militant », nous raconte comment la confrontation avec la Manif pour tous lui a donné envie de lutter.

Je ne suis pas militant, je ne l’ai jamais été, je n’ai jamais cru en une communauté queer unie et accueillante.

Gaypax, 2007, je rencontre un garçon, il m’incite à me rendre à l’asso gay de ma ville. Je refuse poliment, je me sens plutôt bien « hors milieu ». Une rencontre IRL et je suis convaincu. J’irai une première fois pour lui faire plaisir, je sens pointer le début d’une belle amitié.  

Puis j’y retournerai, je vais même y aller très régulièrement. Pendant un an, mes vendredis soir sont pris par les soirées de cette association. Mais une seule chose m’intéresse, le lien social. C’est la première fois que j’ai des amis, copains ou potes qui partagent mon attirance pour les garçons. Les conseils préventions, les débats politiques, le militantisme sous toutes ces formes ne m’intéresse pas.  

2012 est arrivée, je suis alors de loin la vie politique

Petit à petit, j’ai construit ma vie d’adulte. J’ai rencontré l’amour, j’ai trouvé du boulot, je me suis installé. 

Et 2012 est arrivée, je suis de loin la vie politique de notre pays. Je m’y intéresse car il est important pour moi de voter. Un présidentiable promet le mariage gay. Je dois avouer que je n’y crois pas et en plus, ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie de me marier, je n’en ressens pas le besoin. 

Je voudrais vivre avec l’homme que j’aime, mais nos vies professionnelles ne nous le permettent pas. Mariage ou pas, cela ne changera pas ce point. Même le PACS qui nous permettrait de nous rapprocher ne nous séduit pas.

Le nouveau président n’oubliera pas sa promesse de campagne, le débat sur le mariage pour tous commence à se faire entendre… à la télé, à la radio, dans les journaux et même à la machine à café du boulot. 

Je n’étais pas prêt à ce débat sur nos vies

J’ai 28 ans. Je suis un homme. Je suis blanc. Je suis cisgenre. J’ai un prénom français. Autant dire que je n’ai pas vraiment subi de discrimination jusque-là. Alors oui, je suis gay, je suis totalement out dans la sphère privée. Je n’ai subi ni rejet, ni changement de regards lors de mes coming out. Je n’étais pas prêt à ce débat sur le mariage. Je n’étais pas prêt à ce débat sur nos vies. Je n’étais pas prêt à ce débat sur ma vie. Je n’étais pas prêt à cette année 2013.

En 2013, j’ai ressenti la haine. En 2013, j’ai ressenti le rejet. En 2013, j’ai ressenti la peur. 

Allumer la télé est devenu difficile, j’évitais les émissions d’actualité, j’étais révolté par ce que j’entendais. J’étais révolté pour les gays et lesbiennes qui étaient traités de déviants, de malades et même de pédophiles. Mais j’étais aussi révolté pour les mères célibataires qui étaient traitées d’inconscientes ou pour les couples divorcés à qui on reprochait leur manque d’investissement auprès de leurs enfants. 

Mais ce qui me reste en tête, c’est un évènement. Un évènement banal et a priori sans conséquences : un simple voyage en train. 

Le week-end avait pourtant été sympa. Un groupe de jeunes, bientôt trentenaires qui se retrouve. La joie et les rires avaient été au rendez-vous. 

Dimanche soir, Gare de l’Est, nous rentrons chez nous, une heure trente de train, dix minutes de marche et nous serons au chaud dans notre cocon. 

Trois jeunes pédés entourés de personnes qui souhaitent notre disparition.

Je suis avec mon amoureux et un de nos amis qui était venu passer ce week-end avec nous. Nous sommes en avance et nous montons dans le train les premiers. Egoïstement, nous nous installons dans un compartiment pour continuer nos échanges dans le rire et la bonne humeur sans craindre de gêner les voisins. Trois jeunes pédés, dans un train, qui discutent et qui rient en attendant le départ. Un homme en sweat rose passe devant la porte du compartiment, puis un second, et un troisième… le train est en train de se remplir d’adhérents à la manif pour tous. Les rires cessent, la discussion se tarit. Trois jeunes pédés, dans un train, sont devenus silencieux un peu trop rapidement. J’ai l’impression que nous sommes les seuls, les seuls sans sweat rose, les seuls sans drapeau, les seuls sans badges, les seuls sans logos de la manif pour tous. 

Nous sommes trois jeunes pédés, dans un train rempli de personnes militant contre l’ouverture du mariage.

Nous sommes trois jeunes pédés, dans un train, rempli de personnes qui militent pour que nous ayons moins de droits qu’eux. 

Nous sommes trois jeunes pédés, dans un train, rempli de personnes qui pensent que nous sommes malades.

Nous sommes trois jeunes pédés, dans un train, rempli de personne pour qui notre existence ne devrait pas être.

Nous sommes trois jeunes pédés, dans un train, entourés de personnes qui souhaitent notre disparition. 

Ce voyage en train a été l’un des plus long de ma vie, une heure trente qui a duré des jours. Une heure trente pendant laquelle je n’ai pas osé sortir du compartiment. Une heure trente pendant laquelle je n’ai pas osé aller aux toilettes. Une heure trente pendant laquelle je n’ai pas osé être moi-même. Une heure trente pendant laquelle, j’ai eu peur de ce qui pouvait nous arriver. 

Ce trajet en train a brisé quelque chose chez moi : ma naïveté, mon innocence, mon optimisme… mon humanité. 

Comment est-ce possible d’affirmer si haut qu’on méprise quelqu’un, qu’on méprise un groupe, qu’on méprise une communauté ? 

Je ne suis pas militant, je ne l’ai jamais été, mais aujourd’hui je vis en couple avec un homme. 

Je ne suis pas militant, je ne l’ai jamais été, mais aujourd’hui je suis marié à l’homme que j’aime. 

Je ne suis pas militant, je ne l’ai jamais été, mais aujourd’hui je suis prêt à faire entendre ma voix. 

Je ne suis pas militant, mais aujourd’hui je voudrais remercier ceux qui ont lutté. 

Je ne suis pas militant, mais aujourd’hui j’ai envie de lutter pour que tous les jeunes pédés, dans un train ou ailleurs, n’aient pas à perdre leur naïveté, leur innocence ou leur optimisme. 

Je ne suis pas militant, mais aujourd’hui, j’ai envie de protéger notre humanité. 

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