Je mets en pause l’épisode 7 de cette nouvelle saison de Heartstopper : série doudou s’il en est qui me fait verser des larmes au moins autant à cause des sujets qu’elle évoque que de la queer joy qui s’en dégage et que de tout ce qu’elle vient remuer chez moi. Dans l’épisode 7, il est question de la première fois et je ne peux m’empêcher de penser aux jeunes ados qui regarderont cette série et se diront que oui, le sexe c’est stressant, mais comme dirait Tao « it’s not some perfect effortless thing (…) and if it’s awkward, we can always laugh about it »
Ça fera 20 ans l’année prochaine que j’ai vécu ma première fois. Je m’en souviens comme si c’était hier. Mes parents étaient partis, mes copines avaient si bien parlé de sexe (sûrement de choses qu’elles n’avaient pas faites, d’ailleurs, mais who cares really?), ça avait l’air important. Moins que la première cigarette ou le premier pétard ou même le premier shot de tequila que je boirai à la rare fête à laquelle j’ai été invitée le jour de la dernière épreuve du bac. C’était un truc à faire, une case à cocher sur mon certificat de bonne ado, de future adulte.
Alors, c’était un vendredi, ma mère était au marché, mon père au travail, j’ai invité ce garçon dont je me persuadais que j’étais amoureuse et j’avais décidé que ce serait ce jour-là. Je m’étais épilée, j’avais enfilée un ensemble de lingerie vert pomme en dentelle, je sentais bon. J’aime les rituels, avant une épreuve de concours ou un examen, je vérifie que j’aie bien les stylos parfaits, la trousse parfaite, la gourde parfaite. Ce matin-là, c’est ce que j’ai fait : j’ai organisé ma première fois comme une étape à faire, un passage obligé.
Peut-être que si j’avais vu en streaming des doutes adolescents, des craintes de n’être pas comme il faut, j’aurais moins cambré mes hanches pour donner l’impression que mon ventre était plus mince, j’aurais pas cherché à jouer le rôle de la jeune fille vierge qui découvre l’amour.
Dans Heartstopper, quand les personnages sont horny ou in love, des dessins les entourent qui suggèrent de la douceur et une énergie si positive. Il y a deux choses dont je me souviens de ma première fois : j’ai eu mal et j’ai trouvé ça laborieux.
J’en suis ressortie avec cette idée qu’on faisait quand même beaucoup de bruit pour un truc vraiment pas ouf, qui fait saigner et tache les draps et laisse vaguement des douleurs aux hanches d’avoir enserré ce corps que – peut-être n’en étais-je pas tout à fait consciente – je ne désirais pas.
Je ne suis pas pour brandir des enjeux de représentation à tout va mais 20 ans plus tard, j’envierais presque cette génération qui peut-être pensera à sa première fois avec la grille de lecture qu’en propose Heartstopper. Et quel que soit le niveau de romantisation des relations, Heartstopper met en avant la simple idée que c’est possible de découvrir, de se découvrir dans son identité et son orientation de façon gauche mais heureuse. À ce titre-là, la relation entre Tao et Elle est particulièrement intéressante dans ce qu’elle dit aussi du consentement et des limites, du respect de l’autre.
Je pense, même si ce n’est pas la seule raison, que l’image qu’avait le sexe dans mes bandes d’ami·es à l’adolescence m’a fait perdre un temps précieux. Toutes ces heures, tous ces walks of shame (vraiment honteuses pour le coup), toutes ces circonstances pourries, ces baises nulles dans des chiottes de club, tous ces avilissements pour tenter de me faire croire, à moi-même avant tout, que le sexe hétérosexuel devait me satisfaire, qu’il allait me satisfaire. Je ne sais même plus combien il y en a eu, ni dans combien de situations à risque je me suis retrouvée, ni les tests de grossesse parce que mes règles anarchiques étaient en retard.
Mais peut-être, peut-être que ce que je reproche à cette image qu’avait le sexe dans mes bandes d’ami·es de l’époque, image façonnée par des productions culturelles pas vraiment au fait des luttes minoritaires, c’est qu’elle m’a gâché ma première vraie fois : la toute première fille. Ce qui a marqué le début d’un long cheminement vers moi-même, cette soirée dont il ne me reste que des brides parce qu’il m’avait fallu beaucoup de courage et beaucoup de vin. J’ai vaguement l’image d’une urgence, deux corps qui s’emmêlent à même le sol.
Ma vraie première fois, c’était une première fois de honte, une première fois cachée, une première fois inavouable. Alors si je pleure devant Heartstopper, c’est aussi un peu pour cette ado qui s’est cherchée et qui a souffert et qui peut enfin dire, 20 ans après, qu’elle sait et qu’elle est belle, la ligne d’arrivée.
Heartstopper, saison 3, disponible sur Netflix