Comme à chaque première partie de concert, on est curieux, on jauge, on se demande ce que ça va bien pouvoir donner. Mais dès la première chanson, Degree a dissipé tous nos doutes. Sa présence scénique, ses mélodies qui donnent envie de danser, ses paroles murmurées du bout de sa voix profonde… Et sa reprise démente et sensuelle d’un hymne du foot. Bref, on avait hâte de retrouver sa musique dès la fin du concert et par chance son premier album « Back Garden » est sorti il y a quelques semaines. On se plonge donc avec lui dans la création de ce petit bijou.
Est-ce que tu peux nous raconter la naissance de cet album ?
Moi, je faisais ma musique souvent en solo. Au fur et à mesure j’ai rencontré des gens dans la musique nantaise dont le groupe Inuit. Deux de ses membres, Simon Quenea et Pierre Cheguillaume sont devenus des potes très proches et on s’est dit : « Qu’est-ce qu’il se passait si on se retrouvait deux soirs par semaine, de 22H à 4h du matin pour fait une nouvelle musique ? »
On a fait 80 maquettes, j’arrivais avec mes idées, mes premières démos et ensemble on finissait un morceau chaque soir. En parallèle, j’étais en relation à distance avec mon ex qui était à Barcelone. Il y a des thématiques qui ressortaient de ma relation et qui s’incorporaient à mon écriture, toutes ces séances de création musicale devenaient un peu des séances où moi je pouvais m’interroger sur toutes les problématiques de mon histoire. Il s’en est dessiné une sorte de petit storytelling où je suivais ma relation à travers la musique.
Justement tu fais beaucoup vivre tes plans culs et tes amourettes dans tes chansons, c’est un sujet qui est venu avec cette histoire de sessions ou c’était naturel dans ton approche de façon générale ?
Non, l’intime je l’ai super oppressé quand j’étais petit. Je l’exprimais pas du tout, c’était pour moi quelque chose de sale, quelque chose de pas exposable. Et au moment où j’ai rencontré des personnes qui s’assumaient, qui libéraient la parole, je me suis dit que j’aurais rêvé avoir cet exemple. Du coup c’est comme ça que j’ai commencé à écrire sur mes relations, sur mes plans culs ou sur les questionnements dans mon couple.
D’ailleurs ma chanson préférée dans ton album c’est Part of it, il y a justement un refus de non-dit dans ce morceau. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ce qu’il raconte, pourquoi avoir choisi de l’avoir mis en deuxième par exemple, dans Back Garden ?
Dans ma famille, tout le monde reste dans son intime et on va rester en surface, on ne peut pas approcher les sujets risqués, histoire de continuer à s’aimer sans se défier. Et lorsque j’ai révélé mon orientation sexuelle à ma mère, il y a eu vraiment un choc. C’était pas une non-acceptation mais il y a eu un « Oh, il me révèle qui il est, je suis pas prête à me prendre la vérité en face. Même s’il n’y a pas de problème pour moi, ça me fait extrêmement bizarre d’avoir un sujet vrai d’une personne qui m’est proche » Et je me suis dit que cette réaction qu’avait ma mère, c’était une réaction qu’avait toute ma famille. Et lorsque je me suis retrouvé avec mon ex, je me disais « Je suis en train de le ramener dans une famille qui ne veut pas voir les choses en face ».
Part of it, c’est un dîner de famille, j’emmène mon mec à la table et je veux qu’il le regarde en face et qu’ils l’acceptent. Et c’est parti de cette idée-là que cette complication que j’ai eu avec ma mère dans l’expression de ma sexualité, elle allait pouvoir faire écho à d’autres complications que j’aurais dans la famille. J’avais besoin d’ouvrir l’album comme ça, en posant ces termes : « Je viens de cette famille, je m’en libère pour vous présenter les sujets de ma vie. »
Du coup est que l’art c’est une forme de libération pour toi, vis-à-vis des non-dits ?
Complètement, je suis un vrai cliché à ce niveau-là ! Je viens vraiment de l’école Disney Channel : Hannah Montana, Camp Rock c’est mes classiques. Et lorsque je les voyais s’exprimer, souvent ça allait dans un pathos pas possible. C’est ce côté petit artiste qui est dans sa chambre et qui ne veut pas qu’on l’entende qui fait que mes musiques ont un côté triste ou vont vers un aspect très intimiste et fragile. J’ai beaucoup composé en me cachant.
Tu n’as justement pas peur de ça, de ce côté pathos, c’est ça qui est super beau dans ton album.
Au début j’en étais contraint parce que je savais faire que ça. Et le fait justement d’avoir pu travailler avec mes amis de manière complètement libre, sans aucuns codes, sans aucunes contraintes artistiques, on y va, et si c’est pourri, c’est pourri, si c’est génial, c’est génial…
Même approche qu’avec un plan Grindr…
Exactement, exactement ! Au pire, ça sera une expérience ! Et du coup ça me permettait d’aller dans le pathos à fond et aussi d’avoir des oreilles autour de moi qui me recadraient si ce n’était pas compréhensible et trop intimiste, ou à me pousser dans ça, justement.
En parlant d’influences, qui sont les artistes qui t’ont inspiré pour cet album ?
Cet album, c’est une sorte de patchwork musical de tout ce que j’écoutais quand j’étais petit pour créer une sorte de lit, de recueil de qui j’étais mais aussi de ce que je suis devenu aujourd’hui. Dans les références, il y a beaucoup de Bon Iver par rapport à la manière dont il va traiter les sons, les samples. Il y a du Nicolas Jarre dans la production. Le dernier album de Charlotte Gainsbourg a été une grosse référence aussi dans la façon d’aborder les placements vocaux. David Bowie dans la structure des morceaux, d’oser des parties un peu folles… Et un artiste vraiment actuel, il y a aussi Mura Masa. Sa musique m’a beaucoup libéré côté production, si tu veux faire passer un sentiment, fais-le passer par le son, pas que par les mots.
Tes morceaux sont très frais, les mélodies sont toujours très dansantes, même lorsque le texte est plus mélancolique dans ce qu’il raconte. Pourquoi, est-ce que ça vient de toi, ça vient de ce groupe de travail ?
Le fait d’être en groupe et de ne plus composer tout seul me donnait envie de faire bouger autour de moi. Je viens vraiment d’un univers musical où t’as envie de te suicider à la fin. Moi, ce que je sais faire, c’est des textes qui vont dans ce sens-là mais on n’est pas obligé de se restreindre à ça musicalement et parfois on peut exprimer des idées qui vont être très tristes de manière dansante ; j’aimais bien ce petit contraste. Le fait de travailler avec des gens qui n’ont pas écrit les textes, qui ont pas composé toute la musique me permettait d’autant plus de dire « Fonce dans ton idée et on voit ce que ça va apporter, quel contre-pied on va pouvoir prendre. »
Tu chantes en trois langues dans cet album : français, anglais et espagnol. Qu’est-ce qui a motivé ce mélange ?
Je voulais marquer l’album de cette relation à distance : je l’ouvre en parlant à mon ex en disant que je voudrais que les fleurs de notre arrière-jardin fleurissent et je termine par dire au revoir. Je voulais que cette relation soit en trois couleurs dans le sens où j’ai produit en France, j’ai vécu plein de choses incroyables en Espagne et on communiquait qu’en anglais.
Vous pouvez retrouver l’album de Degree « Back Garden » sur toutes les plateformes de musique.
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