Difficile de les rater si vous avez déjà manifesté contre la réforme des retraites à Paris : le collectif des Inverti·e·s a définitivement imposé sa patte au sein des rassemblements grâce à ses slogans inventifs et ses memes. Depuis plusieurs mois on peut également les retrouver dans l’organisation d’autres actions militantes que ce soit à travers des soirées ou des tables rondes. Alors que que la mobilisation contre la réforme des retraites évolue, on a eu envie d’échanger sur l’avenir de leur lutte et sur leurs projets pour le mois des fiertés.
Cela fait huit mois que votre collectif existe. Qu’est-ce qui selon vous a changé ou non depuis sa création, dans votre fonctionnement, dans votre évolution militante ? Qu’avez-vous appris individuellement mais aussi collectivement ?
On a beaucoup grandi déjà, on a davantage de membres ce qui nous permet de faire bien plus de choses : on a pu co-organiser des soirées avec d’autres orgas, instaurer le Pink Bloc et de manière générale poser cette manière de lutter qui nous est très particulière, apporter un humour qui n’est pas habituel dans les manifs de gauche. Nous ne voulions pas réduire cette identité dans cette lutte comme on est obligé de le faire dans le monde du travail par exemple, où on a pas le droit d’être les « folles ».
Justement l’idée de fête, de joie fait partie intégrante de votre démarche. Est-ce que vous pouvez m’expliquer cette vision, d’où elle vient historiquement aussi ?
Dans le mouvement LGBTI, la question de la joie, de l’humour et de la fête a toujours eu énormément d’importance avec le début du militantisme homosexuel des années 70 chez le FHAR et es Gazolines, des groupes qui avaient cette tradition d’apporter de l’humour en manifestation… Et puis ça a continué avec Act up dans cette période compliquée de la pandémie VIH/Sida. Ce besoin de fête, de faire communauté a toujours été très important dans le militantisme LGBTI et c’est ce qu’on veut reproduire dans nos cortèges, dans nos évènements. On a organisé récemment une soirée avec Alternatiba et une prochaine avec la Jeune Garde autour des dix ans du mariage pour toustes le 27 mai.
Justement, vous évoquez des mouvements militants qui sont historiquement très ancrés, est-ce que vous, vous avez connu des collectifs plus récents qui ont vraiment été centraux dans la présence organisée et visible des personnes LGBT en manif ? Je pense notamment au CLAQ ou à d’autres choses… Est-ce que vous avez connu ces collectifs avant de créer les Inverti·e·s, qu’est-ce que vous avez retiré de l’expérience de groupes militants plus anciens, encore actifs ou non ?
Dans les références plus récentes, il y a les Panthères roses dans les années 2000 avec un militantisme qui pose les questions anticapitalistes plus clairement. Bien sûr il y a aussi le CLAQ qui avait relancé les Pink Blocs en 2016, il y avait des membres des Inverti·e·s qui étaient très investi·e·s à Paris dans l’organisation de ces Pink Blocs là. Nous on a rien inventé, on a des façons de faire qui existent depuis très longtemps dans le mouvement LGBTI que ce soit en France ou ailleurs. Le principe des Pink Blocs c’est né à peu près en même temps que l’idée de Black Bloc, à partir du contre-sommet du G8 à Gênes. Contrairement au Black Blocs qui est une stratégie de méthodes communes qui va aller lutter frontalement contre les institutions, le Pink Bloc se réunit autour d’oppressions partagées avec une très grande variété dans les cortèges, de nombreux collectifs, de nombreuses personnes hors collectifs aussi… Notre manière de se présenter en manif s’inscrit dans un héritage et on espère que ça donnera envie aux gens de s’en inspirer, de s’inscrire dans une continuité des luttes.
Vous êtes un groupe en mixité LGBTI à une période militante où j’ai l’impression que les collectifs tendent à se séparer selon les identités, qu’elles soient raciales ou en catégories lesbiennes, gays, trans etc… Ce qui est aussi une façon de mieux présenter des revendications spécifiques liées à certains vécus (ce qui, à mon sens, est parfois une très bonne chose). Vous, non, pouvez-vous expliquer ce choix ? Qu’est-ce que cette mixité vous apporte aussi bien politiquement qu’humainement ?
Être en mixité, ça permet de faire plus de liens entre les oppressions spécifiques et réfléchir – typiquement pour ce qui est de la lutte des classes – comment on est toustes affecté·e·s. Typiquement, face à la montée du fascisme, il va vraiment falloir qu’on fasse bloc commun.
Le nom du collectif les Inverti·e·s, il a été choisi comme un mot parapluie pour regrouper l’ensemble de nos oppressions qu’on soit trans, pédés ou gouines. Pour nous c’était nécessaire de faire un collectif en mixité LGBTI même si en effet, il y a une importance d’avoir des collectifs sur des questions spécifiques mais avec la stratégie de lutte des classes qu’on a, il y a l’objectif d’impulser un mouvement de masse, de faire bloc tous et toutes ensemble. Ce mot Inverti·e·s c’était retranscrire cette oppression commune qu’on subit face à l’hétéro-patriarcat, face au capitalisme, face au suprémacisme blanc. L’idée était d’avoir un nom un peu comme « queer » dans le milieu anglo-saxon, nous aussi il y avait la question du retournement du stigmate avec l’utilisation d’un terme désuet.
Nous avons passé la date symbolique du 1er mai, la lutte contre la réforme des retraites continue mais évolue aussi dans son fonctionnement avec des manifestations plus espacées. Comment imaginez-vous « l’après réforme » ? Quelle direction avez-vous envie de prendre ?
Cette lutte a été longue et on peut en tirer plusieurs conclusions. Déjà, les gens se sont vraiment rendus compte des failles dans notre démocratie. Il y a eu un vrai questionnement sur les stratégies de maintien de l’ordre. Il y a un lien nécessaire à faire entre les violences policières qui se passent en banlieue ou en ce moment à Mayotte, les gardes à vues injustifiées… Tout ça s’inscrit dans une continuité avec le mouvement des Gilets Jaunes, on a vu émerger un mouvement de masse, différentes stratégies de révolte et ça va nourrir les prochaines luttes. Il va falloir qu’on tire aussi des conclusions sur le fait que la grève n’a pas été si reconductible et si massive que ça, bien que les gens se soient syndiqués massivement. On a appris beaucoup sur comment faire face à Macron et l’ordre établi.
On va aussi entrer dans une période très active pour le mouvement LGBTI avec la période des Prides. Pendant ces derniers mois, on a eu une forte intervention LGBTI dans le mouvement social. Là, on va faire le pont dans l’autre sens en ayant une forte intervention sociale dans le mouvement LGBTI !
Vous pourrez retrouver les Inverti·e·s dans les prochaines manifestations mais également lors de leur soirée co-organisée avec la Jeune Garde le 27 mai, au 6b.