Avec SO WHAT ?!, ouvrage disponible à la fois en version allemande et française, le photographe Marc Martin propose un portrait sensible et passionné de Jona James, un jeune homme trans épanoui. L’auteur n’occulte ni la réalité ni les représentations des stigmates présents dans la communauté gay. Avec une approche combative et sans détours, SO WHAT?! offre une perspective renouvelée sur la masculinité pédée. Hugo Amour a contribué à l’ouvrage dans lequel il signe un poème transpédé, fort et puissant. Hugo et Martin seront présents à la librairie Les Mots à la bouche le 24 octobre prochain. Nous avons rencontré Hugo Amour pour en savoir plus.
Salut Hugo ! Quel plaisir de t’interviewer pour Friction. Comme de coutume, peux-tu te présenter pour nos lecteur·ices ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Quel est ton plat préféré ? Ton roman préféré ? Ta couleur préférée même ?
Salut Friction, je suis Hugo Amour, j’ai 36 ans et je suis un mec trans pédé poète professeur et écrivain. J’ai grandi dans le sud de la France, je suis né à Arles exactement, en pleine Camargue et je vis maintenant à Paris. Mon plat préféré c’est la paella, mais pas n’importe laquelle, celle de ma mère évidemment, celle qui a un héritage millénaire, une histoire ouvrière que tu peux sentir dans chacun des grains de riz qui la compose, qui ne sont rien d’autre que des grains d’or que certain.e.s ont le privilège d’avaler.
Mon roman préféré, il n’y en a pas qu’un bien sûr, mais je vais te citer le dernier que j’ai lu une deuxième fois tout de suite après l’avoir terminé. Il s’agit de La vie rêvée de Sainte-Tapiole, je me suis d’ailleur fait tatouer Sainte-Tapiole sur la cuisse. C’est un roman publié à l’origine en 2000 par les éditions Balland dans la collection le Rayon Gay qui était dirigé par Guillaume Dustan et qui a été réédité par la géniale maison d’édition Terrasses. C’est une fiction comiquo-tragique burlesque rabelaisienne pédé punk révolutionnaire hyper sexy et bandante, je l’ai absolument adoré, rien que d’en parler j’ai envie de le relire tout de suite.
Ma couleur préféré c’est le bleu, car comme l’a écrit Derek Jarman,
le bleu c’est l’amour universel,
Le paradis terrestre.
Depuis quand as-tu commencé à écrire ? Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir ce medium pour t’exprimer artistiquement ?
J’écris depuis qu’il a fallu que je confie des secrets au monde que personne d’autre n’était capable de recevoir sinon le papier. J’écris depuis enfant, depuis que je fais des prières dans ma tête le soir avant de me coucher. Depuis que je rêve d’appartenir au monde. Et d’être aimé. Je n’ai pas choisi d’écrire, ni que ce soit mon moyen d’expression, je l’ai découvert par la force des choses. Et je crois que lui m’a choisi car il est le plus abordable. Le plus accessible à partir du moment où j’ai appris à lire et à écrire. Alors je pouvais écrire. L’école nous apprend à écrire. Alors quelque part, elle nous apprend à être écrivain. En tout cas moi, c’est ce qu’elle m’a appris. C’est ce que j’ai choisi qu’elle m’apprenne, c’est ce que je choisis d’apprendre à mes élèves aussi.
Est-ce le seul médium artistique que tu utilises ?
Non effectivement, je suis obsédé par tout ce qui laisse des traces et des empreintes. Alors je n’en parle pas forcément beaucoup de façon officielle mais je suis aussi peintre et photographe. Disons que j’ai besoin d’absolument tous les moyens offerts à l’être humain qui permettent de matérialiser le sensible qui l’habite. Alors quotidiennement, quand ma vie de professeur me le permet, je photographie ma vie, le monde, les êtres que j’aime et je peins aussi. Ma peinture, ce sont davantage des natures mortes, des objets du quotidien. En ce moment c’est une chaussure crocs qui patiente dans ma chambre, qui m’attend, et qui rêve que je continue de lui donner vie.
En lisant tes poèmes, j’ai été touché par la manière dont tu arrivais à mettre en mot ton expérience, notamment d’homme trans pédé. En quoi est-ce important pour toi d’écrire sur ces sujets là (la pédétrie, la transidentité, l’aspect communautaire) ? Et comment transformes-tu tes expériences en mots ?
Cette identité trans pédée elle est absolument fondatrice de l’auteur que je suis, c’est mon terreau, c’est mon béton, c’est mon ciment, c’est elle qui me rend immortelle. Lorsque j’écris je pars de cette racine-là, c’est mon moteur absolu parce que c’est une utopie autoréalisatrice. Si je suis vivant aujourd’hui, si je peux répondre à tes questions c’est parce que je suis trans, parce que je suis pédé, parce que j’appartiens à un corps commun intemporel qu’on a cherché à annuler, à voir disparaître!
J’écris à partir de nos fantômes, de ce qui ne sont plus, et j’écris pour rendre cette vie-là possible. Je convoque les mort.es pour permettre aux vivant.e.s de le rester, et de rêver.
À l’utopie pédée.
L’expérience se transforme en mots à partir du moment où tu commences à te mettre à écrire. Il s’agit toujours d’écrire des secrets, d’écrire ce que tu penses que personne d’autre que le papier comprendrait.
Un de tes poèmes apparaît( tes poèmes apparaissent) bientôt au côté de Jonas, un mec trans pédé comme toi, photographié par Marc Martin dans So What ?!. Peux-tu nous expliquer comment cette rencontre s’est-elle passée ?
Marc a découvert le texte Des pédés et des chiottes que j’ai performé dans une vidéo pour le compte Instagram de Têtu magazine. C’est un texte dans lequel je raconte un épisode sur le marché parisien dans lequel je travaillais. Chaque jour pour uriner j’utilisais des toilettes publiques qui était sur la place, et à force de les emprunter, j’ai été traversé en vision et sensations par tous les pédés fantômes qui ont occupé ces espaces si particuliers dans notre histoire homosexuelle.
Dans ce poème je raconte ces visitations de mes ancêtres pédés face au miroir de ces chiottes et de la jouissance que cela a convoqué en moi.
Mais aussi de l’amour infini que je leur porte. C’est un poème en forme de célébration divine des pédés et des urinoirs. Les toilettes publiques sont des espaces que j’adore, où je me sens en sécurité et étrangement à ma place. Il y a peu encore, durant un voyage à Copenhague j’en ai découvert d’incroyables. Marc m’a découvert peu après sa grande exposition sur les urinoirs et les tasses dont il est évidemment passionné comme moi. Il m’a écrit pour me dire combien il avait été touché par mon texte. Il aurait adoré collaborer avec moi dans le cadre de cette exposition si nous nous étions rencontrés avant. Mais voici qu’aujourd’hui c’est chose faite, avec le livre SO WHAT!? dans lequel je signe un poème.
Et quels sont le poème (les poèmes) qu’on peut lire de toi dans ce livre ? Peux-tu nous en partager un extrait ?
Je pense que le mieux sera de se procurer le livre 😉
Je peux juste dire qu’il s’appelle L’injec parfaite.
En t’écoutant, je ne peux m’empêcher de repenser aux violences transphobes qui ont marqué ces derniers mois, notamment avec la sortie de Transmania ou encore la proposition de loi d’interdire les transitions aux mineur.es trans. Qu’est-ce que cela te fait d’écrire dans ce contexte ? Et l’écriture est-elle pour toi un acte militant ?
Sincèrement je n’y pense pas, je vis ma vie, ma vie rêvée, ma vie de Sainte-Tapiole sans penser à celleux qui voudrait nous tuer, je sais pas si respirer, c’est militer ? Parce que j’écris comme je respire, sans y penser.
Tu es actuellement en train de finaliser ton premier roman. Est-ce que tu peux nous en dire plus : de quoi ça parle ? quelle forme prend-il ?
J’ai écrit ce roman comme on écrit un journal de guerre ou de fête ou les deux. Il faisait parti de mon quotidien, précisément à la période où j’ai écrit Des pédés et des chiottes et lorsque je travaillais sur le marché à Paris.
J’écrivais tous les jours sur des carnets, j’ai incorporé des carnets Moleskine à ma vie, nous faisions corps, nous faisions qu’un.
Jour et nuit j’ai écrit à la main sur ces carnets de papier. J’ai écrit pour réussir à vivre avec une passion amoureuse dévorante, pour la
comprendre, pour la questionner, m’en saisir et lui donner forme. C’était aussi un moyen d’écrire une ôde à l’amour transpédé. C’est un immense clin d’œil à Fou de Vincent de Guibert.
J’ai écrit comme je respirais. Il s’agissait de laisser des traces de chacune de mes mutations au moment où j’entreprenais le voyage le plus à vif de ma transition, les premières années.
Je ne voulais rien perdre de tout ce que je vivais. J’ai écrit parce qu’il fallait laisser une trace, des mots, grâce auxquels, en les lisant, le lecteur se met à la place du narrateur qui se meut, respire, aime et se met à vivre.
Je voulais donner à vivre cela au lecteur, l’être-trans, de l’intérieur. Donner à ressentir l’intensité de la transition et du mouvement Trans. De cette façon, chacun de ces mots déposés sur le papier ne peuvent remettre en question notre existence. Elle est gravée, intouchable, immortelle.
Merci d’avoir répondu à nos questions Peux-tu nous écrire trois vers pour finir cette interview ?
J’ouvre le carnet qui est sur mon bureau, je prends une page au hasard:
A ce dont on ne pourra pas les sauver,
à savoir leur famille.
Moi, ce que je fais. J’écoute.
J’entends les mystères.
J’entends,
Les secrets.
Lancement du livre à Paris :
Jeudi 24 octobre 2024 à 19h
Rencontre avec Hugo Amour et Marc Martin
Librairie Les Mots à la Bouche,
37 rue St-Ambroise, Paris 11.
L’exposition à Berlin :
Du 1er au 30 novembre 2024
Du lundi au samedi 10h-19h.
EisenHerz, Motzstrasse 23 – Berlin 10777
Vernissage le 1er Novembre à 19h.