Tahnee est d’une de ces humoristes qui illumine la scène dès qu’elle y apparaît. Sa bonne humeur, sa manière d’échanger avec son public et de tourner en ridicule la lesbophobie et les préjugés font de L’autre, son premier spectacle, un stand-up à la simplicité et l’efficacité rafraichissante. Il faut dire que l’humoriste joue ce show depuis bientôt six ans, le réécrivant selon les aventures qu’elle vit. Alors qu’elle revient d’une de ses dates de tournée et qu’elle s’apprête à rejouer au théâtre de l’Européen, nous avons échangé avec Tahnee sur son parcours et la façon dont la scène humoristique, mais aussi sa carrière, a évolué ces dernières années.
Canal de l’Ourcq, comeback du beau temps en même temps que le retour de Beyoncé… C’est d’ailleurs la première chose que l’on évoque avec Tahnee dès son arrivée en terrasse, bien qu’elle n’ait pas eu le temps d’écouter Cowboy Carter aussi assidument qu’elle le voudrait. Faut dire que l’humoriste court de scènes en scènes depuis déjà plusieurs semaines. Ce soir, deuxième soirée avec la troupe du Cabaret de Poussière. Quelques jours auparavant, dates de tournée et grande première sur la scène de l’Européen, début d’un rendez-vous mensuel qui durera jusqu’à fin juin.
Alors avec un programme aussi chargé au sein de la capitale, pourquoi en plus courir dans toute la France ? « Moi j’adore être en tournée car c’est un vrai besoin en dehors de Paris, les gens sont trop contents. » nous explique Tahnee, en souriant. « Ils réservent hyper à l’avance et j’aime bien découvrir d’autres énergies, je me rends encore plus compte à quel point le spectacle est nécessaire. En plus moi, comme j’ai grandi en Normandie, j’avais pas de représentation, ça compte pour moi de le faire. »
Souvent et particulièrement en tournée, Tahnee reçoit des nombreux messages sur les réseaux sociaux, de soutien comme de petites confessions de jeunes queers. Récemment, une jeune femme venue avec ses parents lui a écrit, lui témoignant à quel point elle était heureuse de venir avec ses parents. « Elle était aussi à la première de l’Européen, elle m’a laissé un nouveau mot en disant qu’elle écoutait ma chanson « je ne suis plus hétéro » en attendant de la faire écouter à ses parents pour faire son coming-out. »
Pas étonnant que ses blagues touchent aussi profondément les jeunes lesbiennes : « C’est un spectacle qui revient sur mon parcours, c’est un premier spectacle de présentation, mon identité de femme noire, lesbienne, ce que ça représente dans la société actuelle. C’était pour moi un cri du cœur, d’affirmation positive de moi-même et de fierté. »
Un cri du cœur qu’on ressent dès les premières minutes de son spectacle. Tahnee semble à l’aise, joyeuse et heureuse de nous expliquer le début de sa vie de lesbienne out. Pourtant, cela n’a pas toujours été aussi simple d’évoquer ce sujet sur scène. « Quand je regarde les images de moi à la comédie des 3 bornes, c’est très dur pour moi de regarder. Je vois quelqu’un qui est encore timide, qui s’excuse d’être sur scène, c’est vraiment le truc qui m’a le plus choqué. »
Une crainte qu’elle rattache complètement à l’intimidation qu’elle ressentait face à un monde du stand-up plutôt frileux quant aux sujets LGBT. « Il y avait très peu de personnes queers, c’était très compliqué d’aborder ces sujets-là, ça l’est encore aujourd’hui » rappelle Tahnee. « Il y avait vraiment une homophobie, une queerphobie dans les comédies clubs, chez les programmateurs qui fait que j’en parlais tout en m’excusant d’en parler. Ce spectacle m’a vraiment aidé à m’affirmer. »
La confiance en soi s’est donc construite petit à petit, tout comme le texte du spectacle en lui-même, qui s’est enrichi de nouvelles blagues venue de sa vie post coming-out. « Tout ce que j’ai rajouté après, c’est vraiment des trucs que je découvre : qu’est-ce que c’est d’être un couple de meufs racisées dans l’espace public, qu’est-ce que c’est qu’être un couple de meufs racisées qui réfléchissent à la PMA, ce sont des trucs que je vis et que j’ai envie de raconter, c’est des sujets qui m’interrogent, j’ai envie d’écrire dessus et de les partager avec les gens. »
Car Tahnee ne s’excuse plus d’être sur scène, surtout depuis qu’elle se sent moins seule en tant que stand-uppeuse queer: « Je pense que c’est venu avec le Comédie Love, un plateau qu’on a créé avec Mahaut Drama, Lucie Carbone puis Noam Sinseau , la rencontre avec Lou Trotignon, qui a lui aussi créé ses soirées stand-up à la Mutinerie… On s’est rendu compte qu’on avait une vraie force, une vraie puissance à apporter au stand-up et c’est ça qui m’a porté aussi. »
Car aujourd’hui encore, elle et ses ami·es humoristes ressentent le besoin de faire front commun. Il n’y a qu’à voir les remarques très violentes qu’a vécu Lou Trotignon lorsqu’il a été programmé dans une salle il y a quelques temps. Alors qu’il hésitait à annuler, leur groupe d’humoristes s’est mobilisé « On l’appelait toute la semaine, on venait lui faire un câlin avant de passer sur scène… » raconte Tahnee. « On est vraiment en mode bloc, à se serrer les coudes. Au début de ma carrière, j’ai parfois dit non à des trucs parce que j’avais trop peur, j’avais pas la force d’affronter tous ces trucs-là ».
Que ce soit dans l’humour de Tahnee comme dans celui de ses comparses, leurs carrières se distinguent par une véritable volonté d’affirmation de leurs identités queers. Un désir qui a eu du mal à être compris et accepté par le milieu du stand-up. « Tout le monde me disait « Mais pourquoi tu parles du fait d’être lesbienne, c’est toi qui te mets à l’écart… » A un moment donné je me suis demandé si j’étais folle, si j’avais raison de le faire… » déplore Tahnee.
Pourtant, l’humour sur l’identité, qu’elle soit raciale ou genrée, cela ne date pas d’hier. Les hommes hétéros le font depuis longtemps, soit pour parler d’eux ou aux dépends de celleux dont ils se moquent. « Justement, un mec m’avait fait une remarque, c’était pas méchant de sa part, il disait « c’est comme si moi, à chaque fois que j’allais sur scène, je me présentais en disant que je suis malien… » » raconte Tahnee. « Et c’est vrai que ça a été « à la mode » avec l’ère Comedy Club mais sur le sujet queer, ça n’a jamais existé. Donc j’ai répondu « laisse-moi l’exprimer. C’est important de le dire car j’ai l’impression que les gens vont penser que je suis hétéro » En tant que carte de présentation, t’es un peu obligée d’en parler et j’espère que dans quelques années ça sera plus un sujet. »
Malgré les épreuves qu’affrontent encore beaucoup d’humoristes queers aujourd’hui, la scène évolue aussi grâce à leurs propres initiatives. Plusieurs nouveaux plateaux féministes et queers ont vu le jour comme le Sorcières Comedy Club où elle a joué la semaine dernière mais aussi La Mounette à Montreuil ou Mut’ Up à La Mutinerie… « Je sais que maintenant il y a plein d’espaces où je veux travailler. » se réjouit Tahnee. « Quand tu retournes dans les Comedy clubs dits plus mainstream type le Panama Café, le Fridge ou quoi… Bah on y travaille pas du tout de la même manière. Je me censure pas mais je vais parler différemment, je vais beaucoup plus expliquer des trucs, me justifier… »
Bien qu’elle juge qu’aller jouer dans ces espaces soit nécessaire, notamment pour voir si les sketchs ne sont pas trop « private jokes queers », Tahnee ressent toujours le besoin de tester ses blagues les plus récentes dans « des petits cocons où je me sens bien, où je n’ai pas de tabous ».
Toutefois, le temps de l’expérimentation et de l’écriture d’un second spectacle, ce n’est pas prévu pour si tôt. Tahnee doit encore faire ses prochaines dates et de toute façon, elle espère une période plus calme pour véritablement avoir l’espace mental pour réfléchir. « J’écris régulièrement des nouveautés pour me rafraichir, pour les réseaux sociaux mais j’ai hâte d’avoir du temps, d’être devant une page blanche et de voir ce qui vient, de refaire tout ce travail » espère-t-elle.
Alors avec un monde de stand-up qui continue d’évoluer, de nouveaux plateaux communautaires et une vie qui a bien changé, Tahnee laisse la porte ouverte à de nouvelles inspirations. Pour l’heure, elle se focalise sur les nouvelles scènes qui lui reste encore à conquérir. Son prochain rêve à exaucer ? Jouer en Guadeloupe, « le goal ultime » dit-elle, en souriant.
Vous pourrez retrouver Tahnee sur la scène de l’Européen jusqu’en juin et en tournée dans le reste de la France pour encore plusieurs mois.