[Par Izadora X., en dialogue avec Laura P.]
On parle tellement d’Une fille facile, de Rebecca Zlotowski, autour de moi, que j’ai failli inventer un nouveau genre de critique cinématographique. Ce serait, en gros, écrire un texte sur un film sans l’avoir vu, juste en faisant une synthèse des avis de tes potes et connaissances, recueillis au long d’une soirée sur une terrasse de bar à Belleville.
Dans cette époque de journalisme basé sur des trending topics twitter, je sais que j’aurais probablement changé le futur de la critique ciné avec ce concept, mais finalement ma pote Sophia s’est barrée en Grèce en me laissant avec sa carte UGC et je suis allée voir le film.
On m’avait dit que le film était féministe, mais putain (#jeudemots), je ne m’attendais pas à ça ! Ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas autant kiffé une sortie ciné. Et je ne parle pas simplement du fait que le sujet du film est la constitution du corps des femmes en valeur travail/moyen de production/capital fixe sous le système capitaliste (#spoiler). Je parle du fait que c’est un film féministe dans le sens où c’est une anti-tragédie totale, c’est le feelgood movie féministe. Au lieu d’avoir un personnage féminin (ou un personnage tout court) qui subit, dont le destin est déterminé par des causes qui le dépassent et qu’il ne peut pas contrôler (le problème de base avec Divines, qui est sinon un film top), dans Une fille facile, Naïma est notre héroïne féministe totale. Elle n’est pas le cliché masculin de l’autonomie à la con, de l’empowerment-regarde-je-peux-tout-faire-exploser-comme-un-mec. Naïma n’est même pas « éprise de liberté », en vrai (« la liberté c’est aussi du travail », dit sa mère trop balèze). Il ne s’agit pas de liberté ici, mais de choix (ma pote Laura m’avait spoilé le film avant que j’y aille, et heureusement). On parle ici de la base de la construction d’une conscience féministe, de l’affirmation des femmes comme des sujets. Il ne s’agit pas d’éviter la souffrance, ni d’éviter le travail, ni d’éviter n’importe quelle merde. C’est une héroïne parce que, comme les héroïnes de romans de Jane Austen (#parallèleimprobable), elle nous inspire l’autonomie. Le patriarcat ici n’est pas le méchant qu’on va tuer à la fin, mais dans une vision plus réaliste et d’autant plus inspirante, il est le cadre à partir duquel on va devoir s’inventer une subjectivité, on va devoir trouver un moyen de s’affirmer, de s’inventer sujet, afin de le dépasser.
Une fille facile raconte l’histoire de Naïma, jeune lycéenne cannoise, qui est en train de développer son projet professionnel (#macronie). Sa mère, femme de chambre (#soutiengrèveibisbatignolles), veut qu’elle fasse un stage de chef de cuisine dans son hôtel. Sa meilleure copine pédé veut qu’elle passe une audition pour devenir comédienne. Sa cousine canon débarque au milieu de tout ça et lui propose un stage en travail du sexe avec un brésilien-latin-lover-je-joue-de-la-guitare-et-je-fais-des-cunni-mais-finalement-je-suis-un-connard et son employé de luxe français-blanc-qui-a-trop-de-goût-et-des-cas-de-conscience-parfois-du-fait-d’être-riche-et-est-aussi-trop-gentil-avec-les-putes-et-les-petites-rebeu-du-coin-ohlala-vive-la-république.
Comme tout le monde à 16 ans, Naïma va vivre l’été de sa vie, à la fin elle ne sera plus un enfant, mais une femme. En vrai, je connais pas trop ça, parce que, full disclosure, je suis née dans un pays où c’est l’été toute l’année, du coup, je ne sais pas trop comment on fait pour sortir de l’adolescence et devenir des adultes. Je pense qu’on part et on vient en France se faire chier, ou c’est peut-être juste ma méthode à moi.
Je dis tout ça de façon un peu méchante, mais la réalité c’est que le film est super beau (Laura n’est pas d’accord). J’ai trouvé le jeu de Zahia Dehar super attendrissant et la meuf est méga charismatique, en plus d’être canon. La petite Naïma, franchement. On sent trop sa transformation au long du film et on est avec elle. Le dernier tour de bateau, quand on la voit avec son maillot de bain et sa coiffure et son regard qui a gagné quelque chose depuis le début du film et on ne sait pas mettre le doigt dessus, mes déesses, c’est juste magnifique (Laura croit que c’est de l’eyeliner, à la fin du film elle porte de l’eyeliner tout le temps, car elle a appris la féminitay). Qu’elle vive cette transformation sous nos yeux, c’est vraiment l’intérêt du film, à mon avis. Le seul bémol : ça fait qu’on s’identifie grave à Phillippe, dont le métier c’est de savoir repérer les choses qui ont de la valeur et qui du coup est particulièrement fasciné par Naïma. On n’aime pas s’identifier à Phillippe.
Sur la terrasse du relais de Belleville, il y en avait qui n’avaient pas aimé le jeu et la mise en scène « nouvelle vague ». J’adore l’esthétisation des choses « vulgaires » ou « moches » ou populaires, j’ai adoré la mise en scène et le jeu. Ça illustre bien la séduction du personnage de Sophia, et l’opposition entre elle et la maman « femme de chambre ». Sophia n’est pas faite pour la cuisine ou la chambre de bonne, elle a envie de luxe. Et perso, en tant que tiers-mondiste qui a fini à Paris à force de bouffer du Godard, je me sens enfin comblée. J’adore un film beau et enfin ça parle de quelque chose qui m’intéresse.
Mais si on parle encore de Naïma, notre héroïne féministe, Phillipe ici est vraiment juste un personnage secondaire (il est donc possible pour les hommes de ne pas être au centre de tout !). Il ne décide rien, c’est un assistant : avec son aide, Naïma confirme quelque chose qu’elle soupçonnait déjà. Elle a une valeur de ouf (#girlpower). À la fin du film, on a à la fois un peu envie qu’elle suive dans les pas de sa cousine, parce qu’il y a eu toute l’esthétisation du nouveau-richisme d’André Monteiro (lol quand les français choisissent de noms à consonance latina). Mais la réalité c’est que comme des mamans poules féministes (ou des sœurs en armes, parce que c’est moins lourd en termes de symbole), on est juste contentes parce qu’on sait que, peu importe ce qu’elle fera, Naïma aura choisi. On sait qu’elle a appris à gérer les contraintes du monde, du patriarcat et décider. Elle est le sujet de sa propre histoire.
Laura a réagi à cette interprétation que j’ai faite. Sur fb messenger, elle me dit :
Laura : moi j’étais contente qu’elle devienne plutôt chef et pas que ça devienne un bête truc de : j’aime le luxe, je suis impressionnée, je vais faire michtoneuse
Ça aurait été décevant
ça aurait un peu désingularisée le personnage de sophia, ça aurait dit un truc comme : séduire les hommes et en tirer profit c’est facile, tout le monde peut le faire, alors que dans le film y a de vrai skills
Moi : Je ne sais pas, en même temps tu sens la liberté, surtout face aux autres boulots de meuf genre sa mère
Pour renforcer le truc que de toute façon les choix féminins sont assez restraints ou restrictifs, mais peu importe
C’est aussi un film qui illustre l’argument de Geneviève Fraisse sur le consentement. Elle pose la question de si c’est possible à une femme de consentir à un contrat asymétrique, qui privilégie les hommes, genre le mariage ou le travail du sexe. S’il est possible de choisir la maternité ou la chirurgie esthétique, compte tenu que ce serait des choix marqués par une histoire de contrôle du corps des femmes
Fraisse dit qu’il ne faut pas mettre les meufs sous tutelle et point
Genre les forcer à ne pas se soumettre au patriarcat en ne faisant pas de la chirurgie esthétique ou en ne pas se mariant
De toute façon on ne peut pas faire disparaître par ordre légal les choix merdiques pour les femmes
La seule possibilité, en termes de cadre légal, sous libéral-démocratie capitaliste (je dirais même dans d’autres régimes) c’est de les laisser choisir
Elles feront le choix le moins pire, mais au moins c’est elles qui auront choisi de façon autonome et pas la loi. Comme ça, c’est dans l’apprentissage de l’autonomie qu’on apprend à faire des choix et qu’on peut agir sur le monde pour améliorer les types de choix disponibles pour toutes
Mais c’est clair que l’épisode de l’objet « volé » est hyper important
Laura : Pour moi c’est le moment où tu vois qu’elle est dupe de rien
Genre elle se casse tranquille parce qu’elle sait que c’est juste une excuse d’un mec lâche #sexworkiswork #next
Moi : Elle est un peu dans le mal quand même
Elle ne revient pas
Sophia était trop à fond dans le truc de vendre du rêve à sa cousine
Elle est un peu déçue de l’avoir fait voir le côté pas glamour de son taff
Laura : Elle ne fait pas d’esclandre, elle dit oui oui, on y va
Mais elle sait très bien ce qui se passe
Voilà ce qui reste encore révolutionnaire et novateur : des films qui ne nous prennent pas pour des quiches. Aucune meuf n’est dupe dans Une fille facile. Sophia connaît très bien les ficelles et les contraintes de son métier, mais il lui permet de sentir qu’elle a fait le choix de l’aventure : elle veut avoir le choix jusqu’à la fin, elle ne veut pas d’une vie (ni d’une mort) sur laquelle elle n’aurait pas quelque chose à dire. S’il manque de pathos dans la représentation du travail du sexe, c’est parce qu’il ne s’agit par de trancher sur Sophia, genre « ouais trop libérée par le travail du sexe » ou sinon « ah la pauvre victime ». Comme dit la citation de Pascal du début du film, elle est une meuf qui fait son taff, c’est tout. Elle le fait bien et elle le voit de façon très claire comme étant un boulot. Est-ce fondamentalement bon ou mauvais ? Who cares ? Est-ce caractérisé par le patriarcat et les options réduites qu’il offre aux femmes ? C’est sûr.
Finalement, même la mère de Naïma, qui a trois répliques, réussi à être sujet. Elle parle à sa fille de façon très apaisée : elle n’est pas dupe du métier de sa sœur non plus, ni du sien. Ce sont deux femmes qui ont fait des choix différents (non, ça ne fait pas des options de rêve, c’est l’enjeu). De façon très tendre, elle s’inquiète pour sa fille, mais n’impose rien. Et Naïma, enfin, vous avez déjà compris qu’elle est juste ma star, quoi. Si on pouvait toutes être des sujets de notre histoire comme Naïma est de la sienne ? C’est ce que je nous souhaite à toutes. Une fille facile nous rappelle qu’on n’a pas à demander d’autorisation ni à attendre quoi que ce soit, surtout pas le cadre idéal : on devient des sujets maintenant, cela nous assurera à toutes plus d’options dans le futur.
Un film réalisé par Rebecca Zlotowski. Pour savoir si elle est lesbienne, rdv sur les potins lesbiens.