Yes All Men

YES all men, une réponse à "Not all men dans un contexte post metoo"

Ou pourquoi je suis devenue misandre. Et pourquoi tu ne me feras pas changer d’avis. Oui je sais, ton mec à toi est gentil.

Il y a quelques temps, j’ai tranquillement posté la dernière chanson de Brigitte Fontaine, « Vendetta » sur Facebook. Dans cette chanson, Brigitte appelle à « empaler tous les mâles ». Si personnellement c’est une image que j’aime assez, celle-ci n’a pas été du goût de tout le monde et un commentaire de quelques lignes est venu s’inquiéter de ma radicale radicalisation. 

Ce commentaire, le voici :

« Mais….. je me pose une question quand même…. et je suis très bien placée pour en parler. Ok il y a de très très gros connards mais…. tu es au courant qu’il y a de supers mecs ???? Qui aiment les femmes , et pas que pour leur c.. ??? Je t’aime de tout mon cœur (…) mais parfois je me pose la question. Ou alors tu fais de l’humour ?? »

C’est pour répondre à ce commentaire, essayer de mettre un peu d’ordre dans mes pensées (et faire redescendre ma colère), que j’ai décidé d’écrire cet article. Ce commentaire, c’est l’équivalent d’un « not all men ». En tant que féministe, c’est une locution qu’on a l’habitude de lire de la part des mecs en réaction lorsque l’on dénonce un comportement masculin comme les agressions sexuelles, les violences, le harcèlement, le rejet de tout ce qui a trait aux tâches ménagères, la charge mentale (ne rayez aucune mention). Dire « Not all men », c’est une façon de dépolitiser le débat, de replacer la responsabilité sur les seuls individus, sans prendre en compte le fait que la somme de ces individus constituent une classe (la classe des hommes donc, pour ceux qui dorment à côté du radiateur).

Lorsque je lis ce genre de réaction venant d’un homme, ça m’agace, mais je ne prends jamais le temps de répondre. J’ai décidé il y a longtemps d’investir mon temps et mon énergie ailleurs. En revanche lorsque c’est une femme (hétérosexuelle, le plus souvent) qui prend ainsi la défense des hommes, je suis embêtée. Ici, je suis d’autant plus embêtée qu’il s’agit d’une personne de ma famille que j’aime énormément. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’en refusant de voir le caractère systémique des violences, on se désarme complètement et on se met en position d’être incapable de lutter. Comment lutter contre le patriarcat si on n’a pas conscience qu’il existe, ni de ses effets ?

Alors admettons. Il y a « de super mecs ». Des hommes « qui aiment les femmes, et pas que pour leur c… » (on supposera ici qu’on parle de leur cul, et non de leur cou). En somme, il y a des hommes biens. Énoncé de cette façon, ça semble difficilement contestable. 

Il y a ici deux hypothèses possibles. La première est que les hommes « biens », ceux qui « aiment les femmes » sont en majorité. Les autres seraient des connards, des erreurs, des déviants. La deuxième hypothèse c’est que la majorité des hommes ne fait rien pour lutter contre le patriarcat et continue de profiter de son privilège masculin, pépouze. 

Mais d’ailleurs qui sont les hommes formidables dont on nous chante les louanges ? C’est mon père, qui lorsque j’étais bébé rentrait plus tard du travail pour jouer à Flight Simulator avec ses collègues pendant que ma mère changeait les couches. C’est mon beau-frère, qui râle sur sa copine parce qu’elle a oublié de mettre certaines de ses affaires dans la valise quand elle a fait leurs bagages à tous les deux. C’est ce collègue qui s’est tu lorsqu’on t’a fait une blague sexiste ou qui a reformulé ton idée et récolté les lauriers. C’est ce pote qui a violé une meuf parce qu’elle était trop bourrée pour dire non et qui ne s’est pas soucié de son état (ça vous choque ? Un de vos potes l’a sûrement déjà fait).

« Aimer les femmes », qu’est-ce que ça signifie ? Ne pas les insulter, ne pas les violer, ne pas les battre, ne pas les tuer, faire la vaisselle de temps en temps ? Est-ce suffisant ? Ou est-ce que ça n’est pas le minimum syndical de traiter les femmes comme des êtres humains ? Doit-on leur décerner une médaille pour se comporter en personnes décentes ? Devons-nous nous contenter de ça ? Nos standards vis-à-vis des hommes sont-ils si bas ?

Ce qui est étrange, c’est qu’avec 50% de femmes dans la population et une majorité d’hommes biens,  le patriarcat soit si loin d’avoir disparu. Pour rappel en France, une femme est victime de féminicide tous les trois jours. Chaque année, plus de 52 000 femmes sont victimes d’au moins un viol (contre 2700 hommes) et 500 000 sont victimes d’agression sexuelle. Au cours de sa vie, 1 femme sur 7 sera victime d’une agression sexuelle. Les trois-quarts des femmes victimes de viol et de tentatives de viol ont été agressées par un membre de leur famille, un proche, un conjoint ou ex-conjoint. Les femmes représentent les trois-quarts des bas salaires (62% des smicards sont en fait des smicardes, et 30% des femmes travaillaient à temps partiel en 2017). Toujours en France, les femmes continuent d’effectuer 73% des tâches domestiques. Des inégalités qui semblent donc perdurer, malgré tous ces hommes biens qui veillent sur nous et nous aiment.

Cela voudrait-il dire qu’il n’est pas suffisant d’être un « homme bien »? Où sont-ils, ces mecs supers, dans la lutte contre le patriarcat ? Où sont-ils quand il faut marcher avec nous dans la rue pour défendre notre intégrité physique et mentale, quand il faut se battre dans les administrations pour que leurs collègues féminines aient des salaires plus élevés et des postes à responsabilité, quand il faut reprendre un connard sur ses blagues misogynes, quand il faut faire les courses et la lessive, quand il faut faire du « care », écouter, réconforter, soigner, panser ? Où sont nos alliés ?

Voilà la source de ma misandrie. Voilà pourquoi je dis et continuerai de dire « men are trash », jusqu’à ce que le contraire me soit démontré. Les hommes biens que la société met sur un piédestal comme « des pères formidables », des « maris aimants » ne sont que des êtres humains corrects qui font le minimum syndical. Il faut arrêter de trouver ça génial. C’est normal. Il n’y a pas de mecs biens, il n’y a que des mecs décents. Pour ce qui est du combat pour l’égalité, on les attend toujours.

« Les monstres, ça n’existe pas. C’est nous, c’est nos amis, c’est nos pères. (…) On est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer ».

Adèle Haenel à Médiapart.

Bien sûr, il est difficile en tant que femme, en particulier lorsque l’on relationne avec des hommes, (mais pas seulement) de regarder en face l’oppression masculine comme quelque chose de systémique. Parce que nous sommes dominées, et parce que nous les aimons, nous ne voulons pas voir nos amis, nos frères, nos pères, voire nos compagnons comme des oppresseurs. Il est plus confortables de regarder les agresseurs comme des pervers, des sociopathes, des monstres devant être mis au ban de la société. En refusant de regarder les choses en face, nous restons otages de cette oppression. Aussi je terminerai cet article sur ces mots d’Adèle Haenel qui a décidément dit les choses bien mieux que moi :

« Les monstres, ça n’existe pas. C’est nous, c’est nos amis, c’est nos pères. (…) On est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer ».

Ressources pour cultiver sa misandrie :

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