Fly me to the moon : un spectacle qui transmet un nouveau regard sur l’enfance

1969. À l’aube des premiers pas sur la lune. L’incroyable histoire d’amitié entre Jack et Maggy, deux enfants de onze ansque tout sépare, notamment 8000 kilomètres… Elle, Maggy, jeune londonienne fortunée atteinte de la maladie des enfants de la lune et lui, Jack, un jeune afro-américain surdoué, victime de ségrégation à Houston.

Maggy et Jack vont se rencontrer fortuitement par téléphone et échanger leur quotidien et leurs difficultés. En dépit de leurs différences et des kilomètres qui les séparent, ils vont peu à peu se découvrir et se révéler à eux mêmes. Cette amitié inattendue va les pousser à aller au-delà de leurs limites et transformer le cours de leur destinée. Car rien n’est impossible en 1969, à l’aube du premier pas sur la lune.

Fly me to the moon, qui se joue actuellement et jusqu’à la fin du mois de janvier au Studio Herbertot, est un conte moderne, écrit et mise en scène opar Jean-Luc Bertin et Virginie Mathelin, qui questionne sur la force du rêve, aborde avec tendresse et humour le sujet de la maladie, du racisme et de tous les barrages à la liberté dans un contexte de révolution sociale et culturelle.

Fly me to the Moon – Cie du Semeur from Bertin Jean-Luc on Vimeo.

Commençons par le commencement : « Fly me to the moon » référence à la chanson de Bart Howard des années 1950, popularisée surtout par Sinatra. C’est un signal vers une époque. Pourquoi avoir choisi de situer l’action à ce moment précis ? 

Jean-Luc Bertin : L’action du spectacle se situe dans les années 1968-69 donc après la chanson de Sinatra. Nous avons choisi ce titre car notre personnage masculin Jack rêve d’aller sur le lune et veut devenir astronaute et que notre personnage féminin Maggy ne peut sortir de chez elle à cause de sa maladie. Tous les deux communiquent à distance par téléphone, l’un au Etats-Unis et l’autre à Londres. Cette chanson de Bart Howard fait donc référence à une promesse de voyage sur la Lune, ce qui sera le cas en 1969 avec Apollo 11.

Virginie Mathelin : Comme le souligne Jean-Luc, notre spectacle fait référence aux paroles magnifiques de cette chanson mythique, rendue célèbre par l’interprétation de Franck Sinatra et qui illustre la thématique de notre projet: croire en ses rêves. 

Il ne faut pas oublier que les années 68-69 marquent un tournant majeur dans la société: la remise en question globale des règles artistiques, culturelles et sociétales pré-établies à travers la libération de la parole des jeunes et l’exploration de l’inconnu. Je fais notamment référence au projet Apollo lancé par la NASA qui relance un idéal collectif: l’homme est capable de réaliser l’impossible. Aux Etats-Unis, la Civil Right Act permet également à la fin des années soixante, la mise en place de nouveaux droits (tout simplement le droit pour les Afro-Américains à être considérés comme un alter ego), notamment par leur accès aux universités et à certains métiers qui étaient l’apanage des Blancs.

Chanson d’amour, maladie de la lune, NASA : la métaphore est filée. Pourquoi ? 

Jean-Luc Bertin: Si la métaphore est filée, c’est dans le hasard de notre écriture, car nous ne savions pas au départ en créant le personnage de Maggy atteinte de la maladie des enfants de la lune, que la NASA avait en premier  fabriqué des combinaisons spéciales pour les enfants atteint de cette maladie.

Virginie Mathelin : J’ajoute que notre intuition dans l’écriture a également pressenti un autre fait réel: l’existence du premier astronaute Afro-Américain qui aurait pu durant cette période avoir l’âge de notre personnage Jack. 

On peut voir la pièce comme un conte mettant en scène deux enfants. Pourquoi avoir choisi de représenter cet âge-là ? 

Jean-Luc Bertin: Nos deux adolescents de 12 ans sont tous les deux remplis d’espoir sur leur avenir mais  se retrouvent confrontés à une réalité beaucoup plus dure que ce qu’ils avaient imaginé. La ségrégation pour lui, la maladie pour elle. Nous avons toujours avec la Compagnie du Semeur était sensible au thème de la différence. L’adolescence est le premier pas vers la construction de soi et nous voulions parler de l’isolement que certains enfants peuvent ressentir à cet âge là. Comment il peut être difficile de s’insérer dans un groupe lorsqu’on est tout de suite rejeté à cause de son apparence.

Virginie Mathelin : L’adolescence est une période charnière où l’être est particulièrement sensible à son environnement, au regard des autres, et où il confronte le réel à ses idéaux. C’est malheureusement l’âge où de nombreux jeunes souffrent de harcèlement en raison d’une forme de différence que les autres leur renvoient (différence physique, intellectuelle, sociale, matérielle, ou relationnelle). Ce qui fait qu’il nous a semblé très important de mettre en exergue cet âge-là, afin que les adolescents puissent s’y identifier. 

Tout part d’une erreur téléphonique. Dans quelle mesure le hasard joue-t-il un rôle dans ce contexte de révolution sociale et culturelle ? 

Jean-Luc Bertin : Nous voulions raconter une histoire d’amitié à distance à l’époque où les réseaux de communication étaient moins développés qu’aujourd’hui. Maggy,en voulant appeler son père aux États-Unis,  fait un faux numéro et tombe sur Jack qui entend pour la première fois son téléphone sonné. 

C’est une rencontre extraordinaire pour l’époque et comme le dit Jack dans la pièce, “il y avait une chance sur un milliard pour qu’elle le rappelle”.  

Virginie Mathelin : Comme a pu l’écrire le philosophe Charles Pépin, le hasard est finalement une ouverture à cet autre que moi. C’est l’acceptation de l’inattendu, c’est une rencontre qui fait que l’avenir ne ressemblera plus jamais au passé. C’est un risque de l’ailleurs et du disruptif. N’est-il pas après tout volontaire ce hasard ? Et c’est bien ce dont parle notre spectacle: une rencontre qui va changer deux êtres en se confrontant l’un et l’autre à leurs différences. 

Pourquoi aborder de front les sujets de la maladie et du racisme ? 

Jean-Luc Bertin : Nous voulions aborder ses sujets car les jeunes d’aujourd’hui peuvent y être confrontés, car l’acceptation de la différence est un combat quotidien. C’est aussi à travers une histoire d’amitié et de solidarité que nos deux jeunes adolescents vont pouvoir surmonter leurs fragilités pour avancer l’un l’autre.

Parlez-moi de la mise en scène : vous dites vouloir transmettre un nouveau regard sur le monde de l’enfance. Que voulez-vous dire par-là ? 

Jean-Luc Bertin : Dans les années 68-69 la révolution sociale et culturelle bouleverse le monde et surtout la jeunesse qui s’insurge contre la guerre du Vietnam, qui se bat pour les droits civiques, pour avoir accès à plus de liberté et pour faire entendre leurs voix.  Le message que nous voulons transmettre à travers ce spectacle et notre mise en scène qui fait un bond dans le temps  avec des images d’archives (Les Beatles, les missions Apollo, Martin Luther king) est de montrer que de tout temps des hommes et des femmes ont décidé de se réunir pour ne pas se résigner à leur sort. Qu’il nous ait permis de rêver et que nos différences ne sont pas une fatalité.

Virginie Mathelin : Un nouveau regard ? Disons plutôt la volonté d’être raccord avec les codes visuels des jeunes afin qu’il se laissent embarquer dans nos histoires en proposant de l’animation ou des moments chantés par exemple. 

Le théâtre est-il un moyen de rompre l’isolement ? 

Jean-Luc Bertin : Oui clairement. Le fait de se réunir dans une salle et de partager une histoire avec des inconnus est un premier pas vers le collectif, vers ce qui nous réunit, ce qui nous fait rire, ce qui nous émeut. C’est un partage d’émotions.

Virginie Mathelin : Oh que oui !! Je fais partie de celles et ceux qui pensent que le spectacle vivant devrait être remboursé par la sécurité sociale (je plaisante à moitié). Le théâtre est une porte d’accès vers l’altérité, vers l’humain, vers le langage émotionnel. J’aimerais à cette occasion parler d’un moment particulièrement émouvant que nous avons vécu à la suite d’une représentation scolaire: un enfant de 9 ans discutait à bâtons rompus avec notre comédien. Nous observions la scène avec Jean-Luc. Une enseignante est venue nous parler de cet enfant: « C’est mon élève, sachez qu’il est autiste et que je ne l’avais jamais vu interagir ainsi. Merci pour lui ! » 

C’est pour ce genre de moments humains que nous continuons à créer des spectacles. 

Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur la compagnie du Semeur ? 

 La compagnie du Semeur a été créée en 2001 et s’est très vite tournée vers     l’écriture et la création de spectacles à l’adresse de la jeunesse. Ses premiers spectacles sur le thème du l’alphabet avec “ U a disparu” et “U et le secret du langage” s’adressaient aux maternelles et primaires, puis aux plus grands avec une adaptation de l’Avare de Molière intitulée “Fric, Mensonge et Vidéo” et enfin “Fly me to the Moon” créé en 20218. La Compagnie va commencer une nouvelle création en 2024 : “Juste une Foi” sur les thèmes de la laïcité et des croyances à l’adresse des collèges et lycées.

Plus d’infos sur : https://www.compagniedusemeur.com/

Jusqu’à quand peut-on voir la pièce ? Peut-on venir avec ses enfants, ses neveux et nièces, ses petits-enfants ? 

La pièce se joue jusqu’au 27 janvier 2024 tous les samedis à 17H au Studio Hébertot – 78 bis Bd des Batignolles, 75017 Paris – Réservations au 01 42 93 13 04

Elle partira ensuite en tournée en régions et en Île de France 

Plus d’infos sur ici. La pièce s’adresse à toute la famille, enfants à partir de 7-8 ans, neveux, nièces, parents, grands-parents sont évidemment les bienvenus. Durée : 65 mn