© Renée Kotti
C’est au Golden Birthday de l’Homopatik, par une belle journée de juin, que je découvrais le disc jockey et producteur Akirahawks. Enchantée par son set disco, je lui propose quelques mois plus tard de l’interviewer. Un gris jour de février, nous nous retrouvons au Vögelchen. C’est un bar intimiste de Kreuzberg (Berlin) fourni de canapés en velours et d’une mini salle disco. L’artiste a un peu de retard et je me dis que ça fait du bien parfois les gens en retard. C’est rafraîchissant, surtout dans un contexte où les autochtones tendent à être en avance car “être à l’heure, c’est déjà être en retard” m’avait-on-dit une fois à l’armée (c’était un stage de trois jours, pas l’opération Sangaris). Cinq minutes plus tard, je le vois arriver. Il porte un bonnet vert, qu’il ne quittera pas, et un anorak beige. Il sourit légèrement et me serre la main. Me voyant m’affairer à rassembler mes affaires pour les transporter vers un coin où nous pourrons discuter tranquillement, il prend mon sac et me suggère de me détendre. “Relax, rien ne presse” rit-il posément. Il commande un café noir, je prends un thé vert. Nous faisons tourner les cuillères dans nos boissons respectives et commençons à converser.
TOKYO-BERLIN : L’ALLER SIMPLE
Originaire de Tokyo, Akirahawks n’est pas de ceux dont le destin storytellé était de devenir DJ. Lui, a commencé par travailler pour une chaîne de télé japonaise diffusant des films hollywoodiens. Après quelques années dans ce business où il a “appris quelques choses”, Akira décide de quitter Tokyo. “C’est trop dur pour moi au Japon.” Il m’explique que s’il y vivait encore, il travaillerait de 8 heures du matin à 8 heures du soir. Un rythme diamétralement opposé à celui de Berlin qui est, comme ses journées, “very easy”. “La journée, je fais de la musique, je vois mes amis, je prends des cafés… très relax.”
© Easy – Renée Kotti
Après une seule visite touristique à Berlin, il décide de s’y installer. C’était “en 2006 ou 2007”, “novembre ou décembre” dit-il évasif. Mais pourquoi Berlin ? “Berlin était tellement pas cher !”. Aussi par goût de la culture européenne et de l’histoire de la ville qui le fascine depuis qu’il a vu à la télévision la chute du mur. Son dessein n’était néanmoins pas de devenir DJ. “Je n’ai jamais pensé que je deviendrais DJ. Mais il n’y a pas de job à Berlin” me déclare-t-il simplement. Il raconte : “Des japonais vivant à Berlin m’ont dit que les japonais ici doivent soit être artiste, soit travailler dans un restaurant japonais. Alors ok, j’ai choisi DJ”. Akira fait ses débuts dans le bar aujourd’hui définitivement fermé Sanatorium 23. Le bar était situé dans le quartier de Friedrichshain, bouillon de culture techno. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Akira s’est formé sur le tas. En lui demandant quels conseils il donnerait à un apprenti DJ, celui-ci me rétorque qu’il ne sait pas. “Je n’ai jamais été formé. Je n’ai qu’une platine vinyle chez moi”.
DJ PAR HASARD ET PAS RASÉ
Devenir DJ est ainsi parfois la chose la plus sensée à faire. Tout comme se spécialiser en house et disco. C’est dans sa WG (signifie colocation en allemand) à Prenzlauer Berg qu’Akira tombe sur des galettes disco abandonnées par le précédent locataire. “OK, je vais en faire quelque chose”. Au même moment, il se lie d’amitié avec Daniel Wang et Boris (résident du Berghain) qu’il cite comme références et sources d’inspiration musicales. Tous deux passent du disco et de la house alors qu’à cette époque, la techno minimale règne en maître absolu dans la capitale allemande. Mixer du disco et de la house était alors “plus alternatif”. Il confie aussi préférer les émotions colorées même si parfois “un peu trop psychédéliques” de la house et du disco à la noirceur de la techno. C’était “plus drôle” en somme. En 2008, il crée avec Shingo Suwa le label House Mannequin « pour faire des choses amusantes”. Leur ligne éditoriale ? Si un morceau est drôle, ils le sortent. Et c’est vrai qu’en écoutant leurs productions A2 Deathmood, A1 Flesh ou encore B2 FS, on se marre plutôt pas mal.
© Renée Kotti
LA FIÈVRE HEXAGONALE
Le duo sort aussi des tracks sous le nom Love Comedy sur le label lyonnais That Place (entre autres labels). Depuis sa rencontre avec son fondateur Juliano, Akirahawks sillonne l’underground hexagonal, d’autant plus que son agence de booking, On Board Music, est française. Il a ainsi joué au Dock des Suds à Marseille, à la Bellevilloise, à la Rotonde Stalingrad et au Batofar à Paris, au Weather Festival au Bourget, au Bootleg à Bordeaux, au Jardin Des Berges à l’Ile De Nantes, à l’Ambassade Club et à Le Sucre à Lyon… Lyon où Akirahawks sent qu’il y a plus de “renaissance et d’énergie” au niveau de la scène club qu’à Paris : “à chaque fois que je vais à Lyon il y a un nouveau club ou une nouvelle soirée.” Même s’il reconnaît que “bien sûr à Paris il y a la Concrète”, il dit ne jamais s’y pointer, lui préférant le 11ème arrondissement.
LE BERLIN D’AKIRA
En conversant avec Akira, c’est son portrait mais aussi celui de sa ville d’adoption qui se dessine. Arrivé en plein boom de la scène techno berlinoise, il remarque qu’avant “il y avait plus de fêtes qui duraient du lundi au vendredi. “Tous les jours, il y avait un endroit où faire la fête, il y avait beaucoup de fêtes en appartement”. Si la ville et sa scène club ont changé, Akira, pas filloniste pour deux sous, ne tient nullement le discours du “c’était mieux avant”. On comprend que c’était probablement plus fou, plus radical et qu’aujourd’hui “c’est plus professionnel” .“Par exemple concernant le sound system, la door policy et le checkage des drogues” dit-il en riant. Au lieu de consulter Resident Advisor, les clubeurs s’inscrivaient au listing de Restrealitaet, communauté en ligne de la vie nocturne berlinoise où les gens pouvaient se tenir au courant des événements à venir. Désormais, selon lui, la scène underground se passe aujourd’hui à des endroits comme le club Griessmühle qui “soutient la culture jeune et la nouvelle musique”. Le club accueille entre autres la très populaire soirée gay Cocktail d’Amore où il mixe régulièrement. Akira a depuis joué au Panorama Bar et au très chaud sous-sol du Berghain, le Lab.Oratory (il m’informe au passage que le club est ouvert au moins une fois par an aux femmes, soit au nouvel an, histoire de passer une bonne année). CF : la recommandation très éclairante du Petit Futé.
© Renée Kotti
ICH BIN AKIRAHAWKS
Engagé sans le revendiquer, Akira mixe régulièrement aux soirées Buttons, Pornceptual ou Gegen. Dans ces soirées queers, le dancefloor devient un lieu de libre expression de la diversité du genre humain. Par leur intense hédonisme mais aussi parfois leurs “thèmes”, ces soirées s’inscrivent dans une forme de résistance LGBT très vivace à Berlin contre certaines idées politiques conservatrices telles que celles défendues par Donald Trump. À plusieurs reprises, le thème de la soirée Buttons concernait l’élection américaine et moquait explicitement le président Américain, par exemple en l’affublant d’une verge au milieu du visage dans les décors spécialement fabriqués pour l’occasion.
Quand je lui demande s’il est engagé politiquement Akira me répond : “Je dois être un DJ quoi qu’il arrive dans le monde, dans cette ville. C’est le but. Je dois être moi. Je dois être Akirahawks.”
SÉLECTION MUSICALE POUR S’AGITER LE COCOTIER
https://soundcloud.com/user-63985133/radio-buttons-2-akirahawks-live-at-coktail-damour